François Gauthier, Ambassadeur de France en Équateur (1)
«Lors de l´exposition bilingüe (espagnol-français): “Conmémoration du 50e anniversaire de la visite du Général De Gaulle en Équateur” présentée à la gallerie Gangotena-Michaux de la l´Alliance Française de Quito, du 16 septembre au 10 octobre 2014, les différents exposants: madame Hélène Bekker, Déléguée Générale de l´Alliance Française de Quito; le docteur Iván Torres, son Président; François Gauthier, Ambassadeur de France en Équateur; Monsieur Serge Bardy, Député français ont disserté sur plusieurs facettes de cette commémoration:
“-L’impact des voyages du Général de Gaulle, en 1964, en Amérique latine et dans le monde;
-Les liens entre la France et l’Équateur durant la Seconde Guerre Mondiale à travers le prisme de la résistance équatorienne et du soutien de l’Équateur à la France libre, avec des personnalités comme Clemente Ballén de Guzmán, Alfredo Gangotena et José María Velasco Ibarra (voir annexe 1: 14 juillet 1944 Fête civique équatorienne);
-Un regard sur les conséquences de la visite du Général de Gaulle dans les relations diplomatiques entre la France et l’Équateur;
-Un moment marquant de l’amitié franco-équatorienne à travers la culture et la politique” (2);
A. Darío Lara dans son livre: Clemente Ballén de Guzmán- un notable condenado a muerte por la Gestapo a révélé aux Équatoriens cette notabilité, non seulement en tant que déporté-résistant, recevant le 10 décembre 1945 la Croix de Guerre 1939- étoile vermillon ainsi qu´officiellement ce titre le 22 juillet 1952, mais aussi comme: “grand patriote”, intellectuel, écologiste, animateur de sociétés locales: “La Voix de la Forêt”, “Les Amis de la Forêt”, Président du SyndicaT d´iniciative, (voir annexe 2).
Dans cette recherche nous avons traduit la note de présentation du livre déjà cité de A. Darío Lara et, grâce à la traduction de Nicole Fourtané (4) de l´épilogue de Sixto Durán Ballén -un proche parent-, qui a commenté sa correspondance, nous connaîtrons mieux sa famille et les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. Et pour la première fois, il nous semble, nous reproduirons les différents jugements militaires allemands sur sa condamnation et la réduction de sa peine.
>NOTE DU LIVRE DE A. DARÍO LARA (5)
Du fait de la parution d´une courte page dans la revue «Vistazo» N° 688 du 25 avril 1996, certains lecteurs qui ont pu connaître le nom de Clemente Ballén de Guzmán, intéressés par un fait si inattendu, n´ont cessé de me demander: comment êtes-vous arrivé à connaître un fait totalement inconnu? Je n´ai pas donné plus de détails. Aujourd´hui je crois qu´il est nécessaire de donner plus d´informations et comme on le verra, rien n´a été facile.
Durant les cours d´été de l´année 1948 que je suivais au King´s College de l´université de Londres, entre des centaines d´étudiants venus de plus de quatre-vingts pays, en quelques mois, je me suis lié d´amitié avec une jeune allemande Eldine E… qui était très intéressée aux problèmes de l´Amérique latine. Cette amitié s´est prolongée grâce à quelques cartes de Noël et de Nouvel An, et plus encore lorsqu´ en 1949 nous nous sommes retrouvés en suivant les mêmes cours. Tout paraissait donc terminé.
Les années passèrent lorsque je travaillais déjà à l´ambassade de l´Équateur à Paris. Vers 1960, Eldine m´annonça qu´elle viendrait à Paris en voyage de noces et qu´elle désirait me présenter son jeune époux. Il m´a été agréable de les recevoir, de m´occuper d´eux et de passer en leur compagnie quelques heures de franche amitié. Le jeune allemand Johan-Alexander G…, qui grâce à Eldine connaissait mon nom et ma nationalité, m´informa qu´il travaillait aux archives de la dernière guerre et qu´un des documents attira son attention, du fait qu´il se rapportait à un certain citoyen équatorien. Il ne me donna pas plus de détails, mais il m´offrit la possibilité de m´envoyer une copie de ce document. Quelques mois plus tard il tînt son engagement et sur mon bureau arriva le fameux «Dossier de Clemente Ballén de Guzmán, condamné à mort par le Tribunal militaire allemand, le 3 juin 1942», document en allemand, fait à Berlin, le 31 janvier 1946.
Mon ancienne élève, par la suite Secrétaire administrative de notre ambassade, Katy Marchal, résidente à Strasbourg se chargea de la traduction en français de ce document avec un professeur d´allemand. Ce fut facile pour moi de le traduire du français à l´espagnol et de rédiger l´étude que je présente. Comme on pourra le constater: «une coïncidence qui a toujours un antécédent et un destin».
(5) A. Darío Lara: Clemente Ballén de Guzmán –un notable guayaquileño condenado a muerte por la Gestapo. Crear Gráfica editores, Quito-Ecuador, 2007; pp. 9-10.
Pour mieux comprendre et apprécier la personnalité de Clemente Ballén de Guzmán nous avons décidé de présenter l´épilogue écrit par Monsieur Sixto Durán Ballén, parent proche, et traduit par madame Nicole Fourtané.
Architecte Sixto Durán-Ballén C.
Épilogue
Mon jeune ami, le ministre Claude Lara Brozzesi, de notre Service extérieur, de sa propre initiative et au nom de son père le Docteur A. Darío Lara, m’a demandé, en raison de mon lien de parenté avec Clemente Ballén de Guzmán, d’ajouter un épilogue à l’étude que ce livre présente sur cet Équatorien illustre mais oublié. Très honoré par cette demande, j’ai accepté, je dois le reconnaître, avec un certain sens de l’obligation mais, après avoir pris connaissance de son texte et révisé la correspondance et la documentation variée aux mains de plusieurs membres de ma famille, j’ai préparé ces notes avec beaucoup d’enthousiasme, convaincu que Messieurs Lara présentent au pays une facette de notre Histoire totalement inconnue (1).
Normalement un épilogue est un complément, généralement analytique, de l’œuvre en question, mais dans ce cas-ci j’ai pensé qu’il devait être un complément informatif sur mon «parent». Mais commençons para éclairer ce que je viens d’écrire: mon parent.
Le Docteur A. Darío Lara nous rappelle que le second Clemente fut un des huit enfants du premier Clemente (fils du Docteur Nicolás Ballén de Guzmán y Riaño) ; une de ses filles fut Carmen Ballén qui épousa mon arrière-grand-père Sixto Liborio Durán Borrero, ils eurent aussi à leur tour huit enfants : Sixto Ignacio Durán Ballén, le seul garçon, et sept filles, dont six se marièrent à Paris avec des citoyens de cinq nationalités européennes et une avec un Uruguayen ; la septième mourut célibataire. Sixto Ignacio épousa Isabel Romero Febres-Cordero, ils donnèrent la vie à huit enfants: Sixto, Enrique, Juan, Leticia, Clemente et Carmen.
Sixto Enrique épousa María Eugenia Cordovez Caicedo (mes parents); Sixto Alfonso, César Alberto † et Isabel Eugenia sommes leurs enfants. Un second mariage de mon père avec Margoth Araujo donna naissance à mon quatrième frère Diego Tomás. (J’ajouterai que mon fils Sixto Javier, à son tour, a un fils, Sixto Andrés, encore célibataire). Voilà notre lien de parenté.
Deux des frères Ballén (de Guzmán) Millán, Leonidas et Juan, avaient émigré au Pérou et Clemente en France. Peu avant de mourir, mon grand-père Sixto I. Durán Ballén demanda à ses fils de conserver le patronyme Ballén car, en Équateur, il avait disparu. Du fait que le troisième Clemente n’a pas eu de descendance, même avec les cousins Valdez Ballén, puisque Lucha n’a pas d’enfant et Ramón a eu trois filles, Magaly, Isabel et Pacífica †, il appert que lesdits membres de notre côté Ballén, en Équateur, furent les derniers à porter ce nom si prestigieux.
Quand, en 1962, comme fonctionnaire de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), j’ai passé plusieurs semaines en mission au Pérou, notre parente María Luisa Ballén de Beltrán m’a fait rencontrer lors d’un déjeuner très agréable trente-deux membres de cette branche. Par pure coïncidence, quand mon père Sixto Enrique était ambassadeur d’Équateur à Panama, son cousin Pablo Ballén exerçait la même fonction en représentation du Pérou.
Suite à la révision de plusieurs documents et la lecture de quelques lettres, j’ai tiré les informations suivantes qui obligeront le Docteur Lara à apporter quelques précisions, par exemple, Clemente Ballén de Guzmán Voltaire et sa sœur María Luisa Ballén de Valdez (Paris, 1884-Quito, 1974) sont réellement Woltér et non Voltaire (B). D’après son inscription à notre Consulat de Paris, il n’est pas né à Guayaquil mais à Paris, ainsi que l’on le lit dans l’inscription au Registre civil de Guayaquil: «… en la ville de Paris, le 26 octobre 1888, à deux heures de l’après-midi est né un enfant qui est le fils légitime de don Clemente Ballén de Guzmán et de Magdalena Woltér à qui on a donné le nom de Clemente Evaristo José Ballén de Guzmán Woltér… cette déclaration de naissance est inscrite au Consulat de l’Équateur avec le numéro 3369». Clemente a probablement voyagé en Équateur pour la première fois soit lorsqu’il était adolescent ou soit même lorsqu’il était majeur, après le début de la guerre de 14, quand il vint à Guayaquil en mission pour la Croix Rouge française. Il a probablement effectué plus d’un voyage dans sa patrie.
Le troisième Clemente dut considérer que Ballén de Guzmán était le patronyme complet de son ancêtre paternel et c’est la raison pour laquelle il s’identifia ainsi.
La référence sur la stèle du Mausolée familial à madame «Ballén de Guzmán (?)», (décédée en 1933), pourrait concerner sa sœur Anita, née à Guayaquil, ou la mère de Clemente (C).
Une question m’assaille: à quelle fille fait allusion la mention «sa fille» dans l’invitation aux obsèques (1939) de l’épouse de Clemente? Il est sûr qu’il n’a pas eu de fille. Était-ce la fille de madame Louise Baugy de Ballén de Guzmán d’un mariage précédent? Ou Anita, sa demi-sœur, était-elle encore en vie? (D).
Le fait que l’on indique dans ladite invitation qu’elle a «reçu les sacrements de l’Église» nous informe qu’elle n’est pas morte comme on l’a raconté, mais d’une autre façon car une personne qui s’était suicidée n’avait pas cette possibilité à cette époque-là.
Dans les archives de ma cousine María Luisa Valdez de Cornejo (Lucha, Riobamba, 1921), j’ai eu accès à dix enveloppes: neuf d’entre elles contiennent des lettres écrites annuellement à sa famille et une autre qui contient une coupure de journal probablement envoyée avec une lettre qui se serait égarée. Les trois premières du 3-XII-1945, du 16-I-1946 et du 27-VIII-1946 envoyées à Rochester Minnesota, où vivait la sœur de Clemente, María Luisa, ont été rédigées par des tierces personnes à la demande de Clemente. Les autres du 26-XII-1947, du 29-XII-1947, du 3-VIII-1948, du 30-V-1949, du 18-X-1950 et la dernière du 14-V-1964 sont écrites par Clemente lui-même, toutes en français, avec une écriture et une rédaction très intelligibles, qui dénotent un être plein de bonté et d’une grande intelligence
La première des trois lettres écrites par des tiers, à la demande de Clemente, répond apparemment à un courrier que lui a écrit sa sœur María Luisa après qu’il a été libéré en Allemagne par les Alliés. Il s’agit d’une communication en termes très dramatiques qui non seulement révèle l’état de santé précaire de Clemente mais aussi la dureté de la vie en France après la Libération.
Au début il indique la joie de se voir à nouveau dans un endroit chaud (il se réfère au chauffage) et bien alimenté, car il est dans un sanatorium, dans un lieu très pittoresque, d’avoir retrouvé de vieux amis et d’avoir fait la connaissance de nouveaux. Il raconte le voyage depuis Meudon en train, un long voyage d’une distance de plus de 1 100 kilomètres. Il est arrivé très fatigué et pour comble, en raison de l’heure, le terminal ferroviaire était fermé, ce qui supposa un temps supplémentaire pour récupérer les valises. Bien qu’il utilise des cannes (des béquilles?), il perd l’équilibre facilement en raison de la faiblesse de ses jambes. Il redoute une chute, qui pourrait avoir de graves conséquences.
Mme Mariane Trianon qui écrit ajoute que son rétablissement sera très long en dépit des «progrès de la médecine moderne».
Il est content d’être revenu, vu le grand nombre de prisonniers qui ne sont pas rentrés. Il note qu’il a vu Lola (Aspiazu?) qui pourrait attester du mauvais état dans lequel il se trouve.
Il ressort de la lecture de la deuxième lettre que son état de santé continue à être très délicat; il a dû revenir au sanatorium (il n’indique pas lequel); il fait référence à un voyage (il ne dit pas où, peut-être se réfère-t-il au retour de sa prison) qui a occasionné une grande fatigue, il se considère comme revenu de la mort! Il se plaint d’avoir été rejeté par beaucoup d'»amis» connus; d’où la qualification d’hypocrites.
La troisième lettre signée par une personne autre que la précédente (on peut lire «Mariane Trianon» comme la première) remercie sa sœur María Luisa pour l’envoi de Rochester (où le docteur Cornejo (E) effectuait un stage médical à la Clinique Mayo) d’une brosse à dents et de savons, étant donné la situation difficile en France en raison du rationnement après la guerre et il loue la qualité des savons américains. Il commente qu’il est revenu à Fontainebleau et porte à la connaissance du gendre de celle-ci le docteur Cornejo qu’il ne souffre ni d’asthme ni de bronchite mais qu’il se fatigue beaucoup, surtout à cause des «heures régulières» qu’il effectuait dans un travail mal payé (non spécifié). Il souhaiterait aller mieux pour avoir un meilleur emploi car il n’a pas l’âge pour prendre sa retraite.
Il l’informe qu’il doit aller à l’hôpital occasionnellement car il a de nombreuses douleurs aux extrémités mais il ajoute qu’il prend tout cela avec sérénité.
Il prétend que deux lettres à sa sœur María Luisa (probablement les deux dernières citées) non pas reçu de réponse. Il fait des commentaires très affectueux sur l’arrivée de sa petite-nièce Magaly et il demande qu’on lui envoie des photographies.
Il note qu’il se sent bien mais «très diminué», il rapporte qu’il a retrouvé son emploi antérieur au Club de golf de Fontainebleau, où il s’occupe de diverses activités sportives et il mentionne qu’il est revenu à la pratique du golf.
Quito, abril 2007.
Architecte Sixto A. Durán-Ballén C.
Président de la République (1992-1996)
(A) Idem. Nota 5; pp. 145-157.
(1) Pendant mon mandat présidentiel, le gouvernement national a décoré le Dr. Lara de l’Ordre national de San Lorenzo, au grade de Commandeur, par le biais du décret N. 2.165 du 30 septembre 1994, dont la copie est jointe en appendice de cet épilogue, idem nota 5 p. 157.
C´est la seule note de M. Sixto Durán-Ballén et nous remercions celles qui ont été ajoutées par Nicole Fourtané.
(B) Note de la traductrice: Cette erreur que répercute A. Darío Lara p. 20 de son livre est due à la transcription erronée du nom alsacien Woltér selon Rodolfo PÉREZ PIMENTEL dans Diccionario Biográfico del Ecuador.
(C) Note de la traductrice: Cette référence renvoie à la p. 64 du livre de A. Darío Lara où l’auteur énumère les noms des personnes figurant sur la stèle du Mausolée familial. Anita est la demi-sœur de Clemente Ballén de Guzmán. Fille de Clemente Ballén y Millán, elle est née à Guayaquil mais sa mère est inconnue. Elle est venue en France au moment où son père s’y est installé vers 1875 et exerça la fonction de Consul général de l’Équateur à Paris. Anita épousa un banquier (pp. 13-14, idem note A).
(D) Note de la traductrice: Ce point renvoie au faire-part de décès de l’épouse de Clemente Ballén de Guzmán, Louise, dont la reproduction figure à la p. 34 du livre et qui est retranscrit p. 35. L’allusion à son suicide figure dans la déclaration de Clemente au Tribunal militaire de la Wehrmacht en 1942 (pp. 33-34, idem note A).
(E) Note de la traductrice: Le docteur Cornejo est le gendre de la sœur de Clemente, il a épousé sa fille María Luisa (Lucha) Valdez Ballén.
(F) Note de la traductrice: La photographie en question se trouve à la p. 154, idem nota A
(G) Note de la traductrice: Ce numéro est en contradiction avec celui qu’il déclare au Tribunal militaire: 1 rue Saint-Honoré et que mentionne A. Darío Lara à plusieurs reprises, citant même des en-têtes de lettres signées de l’intéressé (p. 34, p. 50, p. 67, p. 78, p. 79, p. 92, p. 93, p. 116, idem note A). Avait-il déménagé?
Annexe: REMISE DE L´ORDRE DE SAN LORENZO À DARÍO LARA
N° 2165-A
SIXTO DURÁN BALLÉN
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
CONSIDÉRANT:
Qu´en août 1809, les patriotes de Quito ont créé l´ORDRE DE SAN LORENZO, destiné à récompenser les services extraordinaires faits à la République au nom de la liberté et de la fraternité des peuples;
Que le Docteur Darío Lara s´étant illustré comme éducateur, historien, homme de lettres et qu´il a été pendant plus de 50 ans le plus grand promoteur de la culture équatorienne à Paris, non seulement à travers ses publications et ses recherches historiques, mais ausi comme professeur de littérature hispano-américaine et équatorienne des Universités Catholique et de Paris-X Nanterre de la capitale Française.
Que c´est la volonté du Gouvernement national de manifester son attachement à l´éminente personnalité du Docteur Darío Lara, ainsi qu´à son œuvre extraordinaire en faveur de la diffusion de la culture de l´Équateur.
Conformément aux décrets numéros 737 du 29 avril 1968, publié au journal officiel n° 387 du 29 mai 1968, et 104 du 16 juillet 1970, publié au journal officiel n° 45 du 25 août 1970, à travers lesquels est réglementé l´octroi de l´Ordre National de San Lorenzo.
DÉCRÈTE:
Diego Paredes Peña
Ministre des Affaires Étrangères
Une fois ces précisions apportées, nous transcrivons maintenant les différentes pièces du: “Dossier Clemente Ballén de Guzmán condamné à mort par le Tribunal militaire allemand”.
Le Tribunal a reconnu:
L´accusé est condamné à mort pour intelligence avec l´ennemi du fait d´avoir produit et distribué des tracts, d´avoir propagé des informations hostiles à l´Allemagne et d´avoir incité l´armée à la corruption.
Les biens de l´accusé sont saisis.
Ces tracts dont le contenu était plus ou moins le même à chaque fois, portaient diverses signatures.
“Les troupes qui reviennent de RUSSIE prennent en moyenne 6 semaines de repos en FRANCE, profitez de ce fait, si vous connaissez des soldats allemands, démoralisez-les par tous les moyens posibles”.
“Attention, la ligne de démarcation est actuellement renforcée, n´entreprenez que peu de passages, en revanche, on entre presque librement en ALSACE”.
“Lorsqu´en FRANCE, on discute de la RUSSIE avec des Allemands, on peut entendre certains officiers dont la moral est bas, dire qu´on les envoie à la mort”.
“Dans certains hôpitaux parisiens, il y a beaucoup de malades de retour de RUSSIE, choquée nerveusement ou à moitié déments, devant lesquels on ne même plus prononcer le nom de ce pays”.
“Dans une gare de PARIS, on a vu des wagons fermés et plombés, dans lesquels se trouvaient les cadavres de personnes qui revenaient d´un centre de renfort pour la RUSSIE et qui ont été fusillées pour rébellion”.
“Les trains en ALLEMAGNE sont dans un tel mauvais état, en partie en raison de la persistence du mauvais temps mais aussi à cause de la densité du trafic férroviaire qui a décuplé, à tel point que le trajet du voyage à partir de la frontière française jusqu´aux lignes reculées du front russe (côté allemand) dure environ six semaines.
“L´hiver en ALLEMAGNE était tellement dure qu´il a fallu atteler des chevaux pour tirer les camions, la qualité exécrables de l´essence synthétique ne supportant pas les basses températures”.
“Les troupes qui reviennent de RUSSIE sont fortement démoralisées; à l´arrêt dans les gares il est fréquent de voir qu´on retire des voitures-hôpital 15 à 20 cadavres, de plus les pertes journalières se montent à 15-2000 tués, ce qui secoue fortement la population boche”.
“Notre but est d´encourager à la résistance, de relever le moral de ceux qui se laissent aller… de rassembler des amis… aidez-nous, communiquez votre (illisible) à vos mais proches, ils se rallieront à nous”.
Le tract conclut avec ces mots: “On les aura les boches”.
Ces tracts qu´il avait confectionnés, il les distribuait dans la rue et en jetait également quelques-uns dans les boîtes aux lettres. Il en donna un à une de ses connaissance: René MICHEL. Il n´a pas pu être établi à quelle date cela s´est produit. L´accusé pense que c´était en février 1942, mais MICHEL est plutôt d´avis que cela s´est passé il y a deux mois ou deux mois et demi.
Ces constatations ont été faires sur la base des affirmations de l´accusé, des déclarations du témoin MICHEL et du tract dont le résumé a été porté à connaissance lors des débats et dont l´accusé s´est déclaré être l´auteur. Il n´a pas pu être constaté si l´accusé avait aussi fabriqué voir distribué le tract que le secrétaire de police TUCHEL a lu, en tant que témoin, lors des débats. L´aide policier KORF, également pris à témoin, n´a rien ajouté d´essentiel.
L´accusé a invoqué pour sa défense, qu´il avait confectionné et distribué les tracts uniquement par bêtise et qu´il ne savait pas qu´en agissant ainsi il aidait les puissances ennemies et qu´il portait préjudice à l´armée du REICH.
L´accusé semble cependant assez avisé, d´après son niveau d´instruction et selon l´impression qu´il a donnée lors des débats, pour realiser quelles conséquences la distribution de ces tracts pouvaient avoir sur la population.
Le Tribunal a par ailleurs constaté, sans aucun doute posible, que le but de l´accusé, en distribuant ces tracts, était de semer la discorde entre les Français et les troupes d´occupation, de fortifier leur volonté de résistance et de les inciter à se rapprocher des soldats de la Wehrmacht afin d´altérer leurs sens de la discipline, il a constaté également que l´accusé était conscient des conséquences certaines du tort qu´il causait à la Wehrmacht.
Quant aux motifs qui pouvaient le pousser à agir ainsi, ils sont sans objet.
L´accusé est par conséquent coupable, au premier chef, d´intelligence avec l´ennemi du fait d´avoir entrepris de porter prejudice aux armées du REICH lors d´une guerre contre les puissances enemies.
L´accusé est aussi coupable d´avoir transgressé l´interdit de confectioner et de distribuer des tracts ainsi que d´avoir propagé des informations radio hostiles à l´ALLEMAGNE et d´avoir commis en même temps le crime de démoralisation
Si l´accusé a comencé à produire les premiers tracts au printemps 41 et il a commencé à écouter les émetteurs anglais qu´en février 41 et s´il n´est devenu actif qu´en février 42, le Tribunal a tout de même admis que ses agissements étaient une suite d´actes homogènes et progressifs.
Au début, l´accusé a suivi ses impulsions pour aigir ainsi, il a par la suite, rassemblé du matériel qu´il a rentabilisé.
Par ailleurs, il ressort que l´accusé a agi ainsi à dessein.
L´acusé doit être puni en vertu du droit allemand et des dispositions pénales en vigueur en territoire occupé.
Le Tribunal a requis la peine de mort pour intelligence avec l´ennemi aux motifs que la propagande que l´accusé faisait au moyen de tracts pouvait, à sa façon, être particulièrement dangereuse et avoir de lourdes conséquences, d´autant que la population française est particulièrement influençable par les informations d´émetteurs anglais que seule l´application, en pays ennemi, des peines les plus sévères pourra servir en matière de dissuasion.
Le Tribunal a également prononcé selon le & 93, la confiscation des biens de l´accusé.
Certifié véritable, le 3 juin 1942.
Signé: HATESUR
Le Tribunal du Commandement de Campagne 680 au Commandement des Forces Militaires en FRANCE à PARIS.
EXPERTISE EN DROIT
Affaire contre Clemente Ballén de Guzmán de FONTAINEBLEAU condamné pour intelligence avec l´ennemi et autre.
(Jugement du Tribunal de la Feldkommandatur 680 à Melun DU 3.6.42.)
Il ne subsiste aucun doute quant a la légalité de la procédure judiciaire, à la constatation des faits, à la reconnaissance du droit et à la portée de la peine.
En particulier, les déclarations du défenseur de l´accusé n´ont rien apporté qui puisse altérer le jugement rendu.
La question se pose cependant de savoir s´il s´avérait nécessaire de procéder à la confiscation des biens ou s´il ne valait pas mieux confier à une autre juridiction le soin de prendre ces mesures. Dès lors que le jugement a ordonné ces mesures, je ne vois pas de motif valable pour procéder à l´abrogation du jugement rendu.
Une éventuelle décision de grâce serait sans fondement.
En conséquence, je propose de:
1) confirmer le jugement rendu,
2) ordonner immédiatement sa peine application.
Signé: illisible.
Du Tribunal de l´administration en chef des Forces Militaires du District à ST GERMAIN
Au Tribunal de la Feldkommandatur 680 à MELUN
Concernant l´affaire contre Clemente Ballén de Guzmán, je vous fait parvenir une copie du jugement avec les dispositions prises ce jour pour confirmation.
Le Conseiller auprès du Tribunal Militaire du REICH.
—————————————————-
PARIS, le 5 juin 1942
Le Commandant des Forces Militaires en FRANCE
Au Haut-Commandement de l´État-major
Clemente Ballén de Guzmán, de nationalité équatorienne, né le 21.11. 1888, à Guayqquil en Équateur, a été condamé à mort par le jugement du Tribunal de la Feldkommandatur 680du 3.6.42, pour intelligence avec l´ennemi du fait d´avoir produit et distribué des tracts interdits, d´avoir propagé des informations hostiles à l´ALLEMAGNE et d´avoir incité les forces armées à la corrruption, ses biens ont été confisquées selon le &93 RstGB (Bl. 16ff.d.A.).
J´ai confirmé ce jugement aujourd´hui même et suspendu l´exécution jusqu´à une décision relative à une demande de grâce.
Ci-joint: demande de grâce motivée
Document soumis pour décisión quant à la confirmation du verdict et suite à donner à la demande de grâce déposée par l´accusé.
Le Conseiller du Tribunal Militaire.
—————————————————-
PARIS, le 11 juin 1942
Le Commandant des Forces Militaires en FRANCE
Au Haut-commandement de l´ÉTAT-MAJOR
Suite à votre rapport du 5.6.42, je vous fait parvenir une demande de grace motivée.
En accord avec le Président du Tribunal, je me prononce contre toute mesure de grâce étant convaincu que l´exécution du verdict est impérative pour des raisons militaires.
Le Commandant des Forces Militaires en FRANCE.
——————————————————–
Le Commandant d´État-major
NOTE
Le ressortissant équatorien Clemente Ballén de Guzmán a été condamné à mort le 3.6.42 par le Tribunal de Campagne de MELUN pour intelligence avec l´ennemi du fait d´avoir produit et distribué des tratcs, d´avoir propagé des information hostiles à l´ALLEMAGNE et d´avoir incité les forces armées à la corruption.
Aux dires de Clemente Ballén de Guzmán, son père était Consul Général d´Équateur PARIS. Nous n´avons pas connaissance que l´accusé soit en famille avec l´Ambassadeur d´Équateur auprès du VATICAN.
Le verdict n´a pas encoré été exécuté. La demande de grâce est soumise au Commandant des Forces Militaires qui s´est prononcé, en accord avec le Président du Tribunal contre une mesure gracieuse
Signé: illisible.
auprès du Commandant des Forces Militaires en FRANCE
À l´Ambassade d´Allemagne à Paris
À l´attention de Major HUMMEL
Les documents concernant la demande de grâce transmise le 25.6.42. au Commandant des Forces Militaires en FRANCE pour décision ne nous sont pas parvenus en retour.
Le Conseiller en Chef du Tribunal Militaire
En vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés par le Fuhrer, le Maréchal KEITEL, Commandant suprême de l´État-major a décidé le 20.7.42:
P.J: un dossier
Pour prendre connaissance et retour à l´envoyeur
NOTE VERBALE
La peine de mort prononcée à l´encontre de l´accusé a été commuée, par décision de grâce du 20.7.42, en une peine d´emprisonnement de 12 ans.
Le temps passé en prison à la suite du jugement ainsi que le temps accompli en temps de guerre, dans l´attente du jugement soient pris en compte dans la durée de la peine.
pour information:
Section III. Les documents ont été transmis au service du contre-espionnage en FRANCE
concerne: mesure gracieuse à propos d´un ressortissant équatorien
concerne: mesure gracieuse à propos d´un ressortissant équatorien condamné pour intelligence avec l´ennemie.
Dans l´affaire concernant Clemente Ballén de Guzmán, nous vous prions de bien vouloir nous faire connaître le lieu de la détention de l´accusé.
concerne: affaire contre le ressortissant équatorien Clemente Ballén de Guzmán condamné pour intelligence avec l´ennemie par le Tribunal de la Feldkommandatur 680 à MELUN le 3.6.42.
concerne: affaire contre le ressortissant équatorien Clemente Ballén de Guzmán
concerne: mesure gracieuse de ressortissant équatorien Clemente Ballén de Guzmán
concerne: affaire contre Clemente Ballén de Guzmán emprisonné à FRESNES
concerne: affaire contre ressortissant équatorien Clemente Ballén de Guzmán
en référence à vos lettres du 14 et 30.12.42. et notre lettre du 18.12.42.
du Tribunal de ST. GERMAIN (District A)
1) du fait que le Maréchal KEITEL, dans sa décsion du 20.7.42, n´a pas ordonné que l´accusé purge sa peine dans une prison allemande sans aucun contact avec l´extérieur, celui-ci ne tombe pas sous les directives du & IX de la jurisprudence du 7.12.41. Vous pouver autoriser que ses proches aient un droit de visite.
Le Conseiller en chef du Tribunal militaire.
Annotations manuscrites:
PARIS, le 20.01.43
CONFIDENTIEL
Jugement du tribunal militaire de l´État-major 680
1) du fait que le Maréchal KEITEL, dans sa décision du 20.7.1942, n´a pas ordonné que l´accusé purge sa peine dans une prison allemande sans aucun contact avec l´extérieur, celui-ci n´est pas soumis aux directives de l´Article IX de la jurisprudence 2. DVO concernant les applications du 7.12.1941. Par conséquent, un droit de visite peut être accordé à ses proches.
1ère annotation (en haut à gauche)
2ème annotation (en bas à gauche)
3ème annotation (en bas à droite)
Clemente Ballén de Guzmán est un témoin essentiel de l´amitié franco-équatorienne et, pour les 130 ans de sa naissance (1888-2018) ou les 50 ans de son décès (1968-2018), il devrait faire l´objet d´un hommage bien mérité de la part de l´Équateur et de la France. Pour conclure sur ce point, rappelons cette citation de A. Darío Lara, son divulgateur:
Annexe 1: DÉCRET No 373 DU 22 JUILLET 1944 PUBLIÉ AU REGISTRE OFFICIEL: Déclaration du 14 juillet 1944, Fête civique équatorienne
Considérant:
Décrète:
Le Ministre de l´Intérieur
** Décret traduit par Fanny Pagès, Directrice culturelle de l’Alliance Française de Quito et l’auteur.
… Clément Ballén de Guzman fait ses études au collège Carnot, à Fontainebleau et s’y installe. Artiste doué dans de nombreux domaines, conférencier de talent, Il fonde La Voix de la Forêt et anime de multiples sociétés locales. Passionné de chasse à courre, membre de l’équipage Vernhes-Lebaudy, il s’intéresse à la protection de la forêt de Fontainebleau, qu’il appelle «la grande sylve», où il organise les premiers ramassages de détritus «rallye papiers gras», à cheval puis à pied. Très actif, pendant plus de 50 ans, dans l’association des Amis de la Forêt, il en devient tout naturellement, secrétaire puis président (1960). Il y crée la section des secouristes forestiers. Il est aussi président (1940-) du Syndicat d’initiative, où il développe le tourisme local, président de la Fédération des syndicats d’initiative de la région parisienne. Il défend efficacement le massif des Trois pignons contre l’autoroute et obtient la modification de son tracé.