Par Claude Lara
 
En France nous ne connaissons pas assez l’œuvre remarquable de diffusion de la culture française en langue espagnole -qui, soulignons-le, est la deuxième langue internationale dans le monde- de la part des écrivains, des diplomates sud-américains, au cours des XIXe et XXe siècles.
 
En ce qui concerne M. Darío Lara (1), écrivain, diplomate, universitaire ayant vécu en France de 1947 à 2009, nous montrerons plusieurs facettes de cette franco-équatorianité, en nous appuyant sur une trentaine de ses livres et plusieurs centaines de ses articles. Pour illustrer notre propos, nous ordonnerons cette présentation comme suit:
 
– D’abord sa contribution à la littérature française, avec deux études et de nombreuses traductions de poèmes d‘Alain Fournier et d’Yvan Goll (2).
 
– Ensuite, l’attention portée à des personnalités françaises (voyageurs, scientifiques et diplomates) intéressant tout particulièrement l’histoire équatorienne avec l’édition de cinq livres sur: René de Kerret, Ernest Charton, Eugène Souville, Gabriel Lafond de Lurcy (Annexe N°1), Charles Marie de La Condamine (3), Pierre Bouguer (Annexe N°2) (4), Washington de Mendeville et Amédée Fabre.
 
– De plus de nombreuses études sur des personnalités et des écrivains ayant vécu en France et écrit sur sa culture, ses mœurs et sa vie politique (Juan Montalvo (5), Jorge Carrera Andrade, Gonzalo Zaldumbide (6), Antonio Flores et Clemente Ballén de Guzmán).
 
Ainsi que des récits littéraires, reflets de sa vie en France, avec deux recueils de nouvelles: “Cuentos de la Ciudadela de los músicos” (7) et “Escenas parisienses” (8) que nous ne ferons que mentionner.
 
Par ailleurs, des narrations, des descriptions et des témoignages portant sur la culture française avec plus de 300 articles de journaux parus dans les plus grands quotidiens équatoriens de 1958 à 1993, sous l’intitulé “Vigía de la Torre Eiffel”.
 
Et finalement, de son œuvre diplomatique et d’enseignant en France, 1949-1989, quarante années de diffusion culturelle, mais faute de temps, nous ne retiendrons que la création du Centre d’Études Équatoriennes de l’université de Paris X Nanterre (9).
 
Afin d’apprécier la consistance de cette œuvre franco-équatorienne, soulignons cette reconnaissance de l’État équatorien ce qui va nous permettre de mieux délimiter le cadre de cette recherche. En effet au plus haut niveau politique, le Président de la République M. Sixto Durán Ballén, par décret nº 2165-A, le 30 septembre 1964 considéra :
 
“Qu’en août 1809, les patriotes de Quito ont créé l’ORDRE DE SAN LORENZO, destiné à récompenser les services extraordinaires faits à la République, la liberté et la fraternité entre les peuples;
 
Que le docteur Darío Lara s’étant illustré comme éducateur, historien, homme de lettres et qu’il a été pendant plus de 50 ans le plus grand promoteur de la culture équatorienne à Paris, non seulement à travers ses publications et ses recherches historiques mais aussi comme professeur de littérature hispano-américaine et équatorienne des Universités Catholique et de Paris-X Nanterre de la capitale française…” (10).
 
Commençons ce survol, en présentant plusieurs aspects de cette œuvre franco-équatorienne, avec ses études sur Yvan Goll et Alain Fournier.
 
Pour Ivan Goll, poète né à Saint-Dié-des Vosges le 29 mars 1891 et aussi lorrain par sa mère, rappelons que ce fut l’un des créateurs du Surréalisme, avant André Breton. Voilà ce qu’écrivit Louis Marcel Raymond à ce sujet:
 
“Bien qu’Yvan Goll ait été le premier poète ayant prononcé le mot surréalisme, en le donnant même comme titre à la revue qu’il fonda en 1924, on se tromperait lourdement si on assimilait ce surréalisme tel que le comprenaient et le définissaient André Breton et ses amis. Le manifeste composé par Yvan Goll est, sur ce point, explicite. Il écrivit au début de sa revue: “le surréalisme c’est la transposition de la réalité à un plan supérieur, l’art ” (11).
 
Le témoignage de Darío Lara nous éclaire sur l’importance et la richesse de l’œuvre d’Ivan Goll, ainsi que sur le cercle intellectuel qui l’entourait:
 
“En effet quand Yvan et Claire s’installèrent à Paris, en 1919, ils s’intégrèrent parfaitement aux groupes d’artistes, de peintres, de poètes et d’écrivains. Les grands noms de cette époque avaient reconnu la poésie d’Yvan comme l’une des plus originales. Une amitié très étroite les liait avec Aragon, Cocteau, Max Jacob, Elsa Triolet, Maiakovski, Apollinaire, Cendrars, Picasso, Dali, Léger, Foujita, André et Claire Malraux, entre d’autres noms célèbres. Il était habituel que les époux Goll passent leurs dimanches chez Chagall et Malraux. Depuis 1925, les livres d’Yvan et de Claire étaient fréquemment illustrés par Foujita, Léger, Picasso et Chagall. Durant l’une de mes visites, lorsque je préparais la traduction des Chansons Malaises, pour demander l’avis de Claire qui me recevait avec sa gentillesse habituelle, elle disait au revoir à un ami qui lui semblait très cher. Elle fit les présentations. Claire insista sur ma nationalité et mon enthousiasme pour la poésie d’Yvan. C’est ami c’était Marc Chagall. Nous avons parlé pendant plusieurs minutes. Par la suite j’ai su par Claire que Chagall, impressionné pour mon culte pour Yvan et mon intérêt de le traduire en espagnol, lui avait proposé d’inclure un de ses dessins dans mon étude. Ce fut ainsi qu’avec un Matisse, mon livre s’enrichit d’un portrait d’Yvan, dessiné par ce grand artiste. Ce ne fut pas la seule fois que j’ai eu le privilège de rencontrer Chagall dans la résidence de Claire Goll. Mes visites se multiplièrent, ainsi, après la publication d’un premier livre, à la demande de Claire, j’ai commencé la traduction de ‘Cercles Magiques’ ainsi que l’admirable dialogue amoureux d’Yvan et de Claire dans le livre ‘Dix mille aubes’. Pour ces études elle m’avait proposé des dessins de Léger, Picasso et Chagall…” (12).
 
Il s’agit de la première traduction à l’espagnole des Chansons Malaises, et ce livre intitulé Yvan Goll poeta del amor y del exotismo a été publié à Madrid, en 1958; cependant, cette œuvre n’est pas encore terminée:
 
“Cette visite que l’on ne peut comparer à tant d’autres et que nous réalisions quotidiennement, en plus de me faire découvrir la poésie d’Yvan Goll et de m’orienter dans la traduction de deux de ses livres: Chansons Malaises et Cercles Magiques, encore inédits, m’a permis d’avoir la chance de lier une longue et étroite amitié avec Claire, à qui plus tard j’ai constamment rendu visite dans sa chambre de l’hôtel particulier du Palais d’Orsay, devenu actuellement un célèbre musée, et plus tard à son domicile de la rue Varenne” (13).
 
Cette originalité s’exprimera une nouvelle fois avec Alain Fournier, car Darío Lara va réaliser la première traduction en espagnole de sa poésie et, plus particulièrement, celle éditée dans le livre Miracles, publication posthume de Jacques Rivière en 1924, puisque rappelons-le Alain Fournier est mort au tout début de la première guerre mondiale à l’âge de 28 ans et que son unique roman c’est le fameux Grand Meaulnes, véritable best-seller, édité en 1913.
 
Miracles, huit poèmes et dix-neuf récits en prose, écrits entre 1905 et 1911, est aussi une excellente introduction au Grand Meaulnes et son auteur nous fait comprendre que grâce à la poésie il a trouvé son style dans une prose claire, précise et musicale. Retenons de cette étude ces quelques observations:
 
“Ces poèmes en prose sont très difficilement analysables. Ils échappent à une définition scrupuleuse. Translucides, purs, mystérieux, baignant dans un climat d’émotion poétique, un art fait d’élégance et d’effusion y donne une portée quasi fantastique à de simples faits de la vie journalière. Une chose est sûre –c’est un grand poète qui écrits ces contes. Un style personnel, harmonieux, très lyrique” (14).
 
Soulignons que ce livre, intitulé Alain Fournier, poeta (1886-1914) a été édité par la Casa de la Cultura Ecuatoriana, à Quito, en 1963.
 
Cinq autres livres viendront enrichir cette œuvre franco-équatorienne, en abordant tout d’abord, l’étude de personnalités françaises qui ont découvert et mieux fait connaître la société équatorienne en France au XIXe. Le Vicomte René Keret avec le Journal de ses voyages autour du monde: 1852, 1853, 1854, le peintre Ernest Charton en publiant de nombreux dessins et en écrivant “Quito: République de l’Équateur” et “Vol d’un navire dans l’océan Pacifique, en 1848” et le Capitaine de frégate Eugène Souville avec Mes souvenirs maritimes 1837-1863.
 
Une fois de plus, laissons parler notre auteur qui, dans Viajeros franceses al Ecuador en el siglo XIX (15), édité en 1972 et réédité en 1987 nous livre des confidences bien intéressantes sur d’autres aspects de son œuvre franco-équatorienne:
 
“… Paris est aussi le musée et la bibliothèque universels où tous les peuples, pour lointains et anciens qu’ils nous paraissent, peuvent trouver des vestiges riches de leur passé. Et quel bonheur, qu’un jour un document portant sur la terre natale nous soit dévoilé! En de nombreuses occasions j’ai vécu des moments si exaltant en ayant dans mes mains de vieux livres ou de précieux documents inédits de voyageurs français qui au cours du XIXe ont parcouru l’Équateur en nous laissant les fruits de leurs aventures bondées de péripéties dans des pages délicieuses concernant notre pays… (16) recherchant des livres anciens, feuilletant d’anciennes revues… patiemment à la recherche d’un renseignement ou simplement pour étouffer la nostalgie inguérissable qui plus d’une fois harcèle ceux qui, pour des motifs mystérieux, vivent éloigné de la terre natale! ” (17).
 
L’apport de cette œuvre a été très bien mis en valeur par l’académicien Carlos de La Torre Reyes dans son prologue:
 
“Les récits de voyages qui apparaissent dans ce volume sont totalement inconnus, exceptés les articles publiés par ce même auteur dans les colonnes du ‘Comercio’ de Quito il y a quelques années» (18) et “… Des récits étranges, originaux qui traduisent le choc de deux mondes totalement opposés au sujet de leurs coutumes, leurs mentalités et la façon d’aborder les réalités qui les entourent. Pages palpitantes de nouveauté où le voyageur témoigne en fonction de sa formation culturelle sur les faits, les choses et les hommes qui font partie de la société équatorienne du XIXe…” (19).
 
Ensuite, un voyageur particulièrement important pour l’histoire de l’Équateur, ce sera le second tome sur ce même sujet: Lafond de Lurcy, viajero y testigo de la historia ecuatoriana, édité par la Banque Centrale de l’Équateur, en 1988. On ne pouvait mieux définir une des caractéristiques de cette œuvre franco-équatorienne qu’en reproduisant ce qu’affirma dans son prologue M. Edmond Giscard d’Estaing de l’Institut de France:
 
“Cette remarquable étude intéresse évidemment les Français puisqu’il s’agit de leur compatriote et les Équatoriens, puisqu’il s’agit d’un homme qui a joué un rôle important dans les guerres d’Indépendance. Mais j’ajouterai, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus curieux, qu’il intéresse aussi les Français pour leur faire mieux connaître l’Histoire de l’Équateur et les Équatoriens pour leur faire mieux connaître ce qu’est, en réalité, la France” (20).
 
Voyons l’importance de cette personnalité. Gabriel Lafond de Lurcy a été le témoin des années qui ont suivi la libération de Guayaquil ; ville cruciale dans l’indépendance sud-américaine, rappelons que c’est la seule ville oú se sont reunís plus d’une fois les deux Libérateurs: Simón Bolívar et José de San Martín. Le Français a aussi été un acteur de cette même indépendance, puisqu’il a été décoré lors de la Victoire de Carabobo, le 24 juin 1821, et a reçu également “las estrellas de la Libertad de Cundinamarca” (21). Par ailleurs, il a connu personnellement les deux Libérateurs sud-américains ainsi qu’une vingtaine de personnalités de tout premier plan, aussi bien américaines que françaises. De plus, son nom est lié à l’une des plus fameuses polémiques de l’histoire hispano-américaine: “la Carta Lafond”, la fameuse lettre du 29 août 1822 de San Martín à Bolívar. Ajoutons qu’en 1848, Lafond de Lurcy publia une monographie intitulée “Études sur l’Amérique espagnole sous le rapport du commerce maritime de la France. De l’Équateur”. Poursuivons en rappelant que Lafond de Lurcy, en parcourant le territoire équatorien de 1820 à 1830, a laissé d’importants témoignages, décrit des paysages et les différentes coutumes de ses habitants. Finalement il est un véritable précurseur du développement des relations commerciales et économiques entre la France et les pays hispano-américains indépendants, notamment en publiant, en 1855, “le Guide général des assurances maritimes et fluviales” (22).
 
Continuons notre survol, en présentant une autre facette de cette oeuvre franco-équatorienne, la diplomatie. Avec ce beau titre La vitrina de un país sobre el mundo –informes de los diplomáticos franceses del siglo XIX qui inaugurait la Collection “Biblioteca del Pensamiento Internacional del Ecuador” de l’association des diplomates et des employés du Ministère des Affaires Étrangères équatorien, l’auteur nous dévoilait les préoccupations, les initiatives et les réalisations des diplomates français: Washington de Mendeville, d’Émile Trinité avec ses communication portant sur la demande d’un protectorat français de la part du Président García Moreno et les notes diplomatiques d’Amédée Fabre, ainsi que des récits inédits et fascinants sur plusieurs points ô combien importants de la mission diplomatique équatorienne en France avec des textes de Gonzalo Zaldumbide et d’Antonio Flores. Ce passage reflète bien l’œuvre entreprise et tout le travail qu’il reste à faire:
 
“Après m’être intéressé en trois volumes à certains voyageurs français qui ont visité l’Équateur au courant du XIXe et nous ont laissé des données intéressantes sur l’histoire, les coutumes, la société, les paysages… en faisant des recherches dans les archives de grande valeur du Quai d’Orsay j’ai été surpris par la quantité de documents que les représentants diplomatiques français: Consuls, Chargés d’affaires qui, presque dès la naissance de notre République, ont remis tant d’informations au Ministère des Affaires Étrangères.
 
Entre 1837 et 1895 au catalogue ÉQUATEUR nous trouvons dans les archives du Quai d’Orsay 12 volumes dédiés à la ‘Correspondance politique’; 10 volumes à la ‘Correspondance commerciale’ (1834-1901), remise depuis Quito et 3 volumes (1835-1890), remise depuis Guayaquil. Si nous prenons en compte que chaque volume fait à peu près 400 pages, les 25 volumes mentionnés représentent plus de 10.000 pages d’un matériel de recherches remarquable. Et ce n’est pas tout. Si nous nous souvenons que l’histoire de l’Équateur avant 1830 était tout particulièrement liée aux Vice-royaumes de Bogotá et de Lima on pourrait consulter aussi une dizaine de volumes d’archives sur la Colombie et le Pérou. Et ceci c’est seulement au Quai d’Orsay. Si on y ajoute les Archives de France, les Archives de la Marine et ceux de la Bibliothèque Nationale de Paris on comprendra que cette tâche serait réalisable uniquement par une équipe de chercheurs se passionnant pour ce type d’investigation” (23).
 
Concluons cette phase diplomatique, avec ce nouveau titre: Histórica conmemoración: 40 años de la primera comisión mixta franco-ecuatoriana, 1966-2006 (24). Dans cette nouvelle étude, publiée en 2006 par la Présidence de la République de l’Équateur, notre auteur aborde un point culminant de la diplomatie culturelle franco-équatorienne en faisant une synthèse de l’œuvre diplomatique de l’Ambassadeur équatorien Jorge Carrera Andrade lorsque ce dernier signa, à Paris le 5 juillet 1966, l’accord culturel entre l’Équateur et la France, et le précurseur des relations diplomatiques franco-équatoriennes, M. Claude Buchet de Martigny. Rappelons ce passage si éclairant de son livre:
 
“Du 23 mai au 3 juin 2006 on célébrera le 40ème anniversaire de la première réunion de la ’Commission Mixte Franco-Équatorienne’, celle-là même qui ‘en raison des projets qui y ont été discutés et des conclusions auxquelles elle a abouti, peut être considérée sans le moindre doute comme la plus importante qui ait jamais existé dans toute l’histoire des relations entre l’Équateur et la France’, comme le reconnurent et l’affirmèrent à la fin de cette même réunion les Présidents des deux Délégations… Il est important de souligner que les documents signés en 1966 venaient réaffirmer l’amitié séculaire qui avait uni la France et l’Équateur alors que le pays commençait à peine à s’organiser en République indépendante au cours des premières années du gouvernement du Général Flores. Quittant Bogota où il occupait les fonctions de Consul Général et de Chargé d’Affaires et se rendant en Bolivie pour y exercer les mêmes charges, le célèbre diplomate Claude Buchet de Martigny suggéra au Ministère français des Affaires Etrangères qu’il pourrait lors de son passage par l’Équateur réaliser une visite à Quito afin d’avoir un entretien avec le Général Flores. Paris accepta pleinement cette suggestion et c’est ainsi que fut signée le 8 avril 1834 la première « Convention provisoire souscrite entre Sa Majesté le Roi de France et l’État d’Équateur ». Ce document fut signé par Buchet de Martigny et le Ministre des Finances du Général Flores, Juan Garcia del Rio…” (25).
 
Au sujet de sa franco-équatorianité, nous attirons l’attention sur le fait que notre auteur a de plus mis en valeur des personnalités équatoriennes qui ont vécu en France aux XIX et XXe siècles et qui par leurs écrits et leur connaissance de la culture française ont été de véritables ambassadeurs de la France en Équateur.
 
Des essais de notre écrivain, nous aborderons quelques facettes de ces grandes figures: Juan Montalvo, Jorge Carrera Andrade et Clemente Ballén de Guzmán.
 
Dans son étude Montalvo en París, 2 volumes, publiés par le Secrétariat de la Culture et la Municipalité d’Ambato, en 1983 (26), rappelons tout d’abord que Juan Montalvo a vécu en France de 1857 à 1860 comme Secrétaire à la Légation de l’Équateur à Paris, ensuite en tant que réfugié politique de 1869 à 1870, avant de quitter la France à cause de la guerre franco-prussienne et, de 1881 à 1889, de nouveau comme réfugié politique, où il y mourut.
 
Mentionnons cette belle scène parisienne qui se passe à Paris au marché de timbres, situé au Rond-point des Champs Elysées:
 
“-Monsieur avez vous un timbre de cette série de Juan Montalvo? demanda un adolescent qui avait dans sa main un timbre équatorien avec l’effigie du célèbre écrivain.
 
-Pourquoi t’intéresses-tu à Juan Montalvo? demanda à l’adolescent [le Chargé des affaires culturelles de l’Ambassade du Venezuela, M. Pardo de Leygonnier, académicien, historien, conférencier… philatéliste amateur lui aussi]… Surpris par cette question, l’adolescent répondit: mon papa m’a raconté que nous appartenons à la famille de Juan Montalvo et à ce qu’il paraît ce fut un grand écrivain…
 
-Si tu veux des timbres sur Juan Montalvo et en savoir plus sur lui ajouta le diplomate vénézuélien, adresse toi à ce monsieur et sur une carte de visite il écrivit: Monsieur A. Darío Lara Ambassade de l’Équateur 34, avenue de Messine Paris 8º, tél.: Laborde 10-21” (27).
 
Ainsi grâce à cet heureux hasard, notre auteur a découvert en France le fils de Juan Montalvo: Jean Contoux, en septembre 1963, et toute une correspondance s’établira entre eux et elle sera publiée en espagnol dans Este Otro Montalvo, en 1996. Sur ce point vous pouvez lire sur le blog, dédié aussi aux échanges culturels entre la France et l’Équateur, l’article intitulé: “Au sujet de Jean Contoux, fils de Juan Montalvo” (28). Les paragraphes suivants montrent bien tout l’importance de cette découverte :
 
“Paris, le 25 septembre 1963
 
Monsieur Jean CONTOUX Villa Elvina Cannes
 
À Paris, depuis 1947, une de mes tâches principales a été de recueillir le plus grand nombre possible d’informations au sujet de la vie et de l’œuvre du plus célèbre de nos écrivains et grand classique de la langue: Juan Montalvo, Équatorien célèbre qui a donné un éclat immortel à la langue castillane et à notre lointain et méconnu pays et, du fait de la valeur universelle de son œuvre, un rayonnement continental.
 
 
Pour cette raison et veuillez excuser mon audace, je me permettrai de vous demander certains détails que vous devez connaître sur la vie de Juan Montalvo à Paris, ainsi que le lieu, la date de naissance, de décès, etc. … de votre chère mère, madame Augustine Contoux. Il est possible que vous ayez des documents inédits sur votre illustre Père. Vous ne devez pas les laisser plus longtemps méconnus et mon pays vous serait reconnaissant de bien vouloir les faire connaître. Certainement, vous conservez aussi des documents photographiques, aussi bien de vos illustres parents que d’autres descendants, puisque je sais que dans d’autres villes de France, et à Paris, vivent également des membres d’une famille si mémorable. L’Équateur serait honoré de connaître leurs noms et tout ce qui se rapporte à l’immortel écrivain” (29).
 
À cette découverte s’ajoute dans le deuxième tome la publication de nombreux articles et de critiques sur son œuvre dans la revue hispano-américaine: «Europa y América ». Par ailleurs y sont reproduites des chroniques inédites sur Juan Montalvo et ses écrits liés à sa présence en France. Finalement y sont édités, des articles de la revue «Europa y América» non signés, mais que notre auteur attribue à Juan Montalvo.
 
Un autre Équatorien attire tout particulièrement son attention c’est Jorge Carrera Andrade, à qui il consacre deux ouvrages en cinq volumes et de nombreux articles (30).
 
Dans Jorge Carrera Andrade Memorias de un Testigo en deux tomes, (31), et Correspondencia de Jorge Carrera Andrade con intelectuales de lengua francesa en trois tomes (32), son témoignage nous rappelle que cette personnalité est avant tout un écrivain, un diplomate, un fonctionnaire international et que son œuvre d’historien, d’essayiste, de traducteur et de poète est considérable. Comme l’a si bien écrit Alain Bosquet lorsque le Cercle Paul Valéry rendait un hommage au poète équatorien, à la Sorbonne en novembre 1952:
 
“C’est non seulement un grand honneur pour moi que de vous parler de Jorge Carrera Andrade, c’est aussi une tâche difficile. Il me faudra me hisser au niveau de ce que la poésie a de plus pur et de plus exigeant… Carrera Andrade m’en voudrait de ne parler que de lui, que de ses poèmes. Je préfère donc, au risque de paraître peu rigoureux, vous entretenir des problèmes que soulèvent ses vers, problèmes qui dépassent ceux de l’art poétique, touchent à la métaphysique et en même temps, par un retour sur eux-mêmes nourris de richesses qu’ils ont puisées dans l’homme, dans la planète, dans l’espace interstellaires, reviennent au poème, pour en donner une nouvelle définition” (33).
 
En tant que quasi secrétaire particulier de Jorge Carrera Andrade (1951 à 1960 et 1964 à 1966) je voudrais attirer l’attention sur cet ouvrage Poesía francesa contemporánea (34, voir annexe N°3) où le poète traduit en espagnol, déjà la deuxième langue internationale dans le monde, 228 poèmes de 55 poètes de langue française (35) et où il présente aussi brièvement ces mêmes écrivains, chronologiquement de Saint Paul Roux (1893) jusqu’à Aimé Césaire (1951). Apparaît ainsi en langue espagnole la poésie du nancéen André Spire et d’Yvan Goll, le poète de Saint-Dié-des-Vosges (36).
 
Cette œuvre considérable reflète admirablement cet attachement à la culture française et dans son introduction, lorsque Jorge Carrera Andrade nous en parle c’est en des termes très touchant:
 
“Ma dette envers la France est immense. Grâce aux écrivains du XIXe siècle j’ai appris l’élan généreux envers le peuple, à explorer les profondeurs spirituelles, à respecter la conscience en toute honnêteté. Cette grande dette envers la France –particulièrement sa poésie que j’ai appelée autre part la plus grande entreprise spirituelle de l’homme- j’ai essayé de la payer même si c’est d’une façon minime avec mes traductions en langue espagnole, réalisée durant plusieurs années et qui font partie maintenant d’un volume Poesía francesa contemporánea” (37).
 
Ces Memorias de un Testigo sont une mine d’informations, de témoignages, d’anecdotes, de révélations diplomatiques, d’éloges à la poésie équatorienne et à la culture française. Un livre incontournable pour connaître, apprécier et valoriser la franco-Equatorianité du plus grand poète équatorien du XXe siècle et, dans ce livre même, notre auteur, nous offre «une étude du poète équatorien et les lettres françaises, ces relations avec le monde intellectuel français et les influences de la poésie française sur son œuvre (Jules Renard, Paul Valéry, Gidde, Francis Jammes, etc.)» (38).
 
Une autre œuvre clé ce sont les trois tomes de Correspondencia de Jorge Carrera Andrade con intelectuales de lengua francesa où non seulement plus de 800 lettres échangées (39) avec des intellectuels de langue française d’Afrique, d’Europe et d’Amérique, dont 551 sont traduites pour la première fois en espagnol, mais aussi annotées par celui qui fut le témoin, le confident, l’observateur et le critique de ses rencontres, de ses échanges épistolaires, de ces actes culturels en son honneur ou pour connaître, exposer et partager ses vues sur les échanges culturels entre la France, l’Équateur et l’Amérique latine (40).
 
On pourrait parler de ces trois tomes pendant des heures. Imaginer ce que représente le commentaire de toutes ces lettres et le contenu de toutes ces annotations au sujet des auteurs, des traducteurs, des critiques, des revues, des lieux, des circonstances. Heureusement que ces 3 tomes sont lisibles sur Internet et bientôt disponibles à la bibliothèque de l’Université de Nancy 2! Nous y reviendrons lors de notre conclusion.
 
Nous terminerons ce survol de quelques personnalités équatoriennes avec ce livre Clemente Ballén de Guzmán, un notable guayaquileño condenado a muerte por la Gestapo (41) qui est aussi l’histoire d’une rencontre et où le hasard a une fois de plus sourit à notre auteur:
 
“Au cours de l’été 1948, au King’s College de l’université de Londres, entre des centaines d’étudiants venus de plus de 80 pays, je me suis lié d’amitié avec une jeune allemande, Eldine E. qui s’intéressait beaucoup à l’Amérique latine…
 
Les années passèrent, je travaillais déjà à l’Ambassade de l’Équateur à Paris, vers 1960, quand Eldine m’annonça qu’elle viendrait à Paris pour son voyage de noce et qu’elle désirait me présenter son époux. Le jeune allemand, Johan-Alexander G… qui grâce à Eldine connaissait mon nom et ma nationalité, m’apprit qu’il travaillait dans les archives de la dernière guerre et qu’un des documents attira son attention s’agissant d’un citoyen équatorien. Il n’en ajouta pas davantage et il me proposa de m’envoyer une copie de ce document. Quelques mois plus tard il tint sa promesse et je reçus dans mon bureau le fameux ‘Dossier de Clemente Ballén de Guzmán’ condamné à mort par le Tribunal allemand, le 3 juin 1943” (42).
 
Un résistant équatorien! Voyons brièvement ce qu’écrivit le Ministère des anciens combattants et des victimes de guerre, le 18 septembre 1996:
 
“… Il était domicilié en France depuis 1890. De plus, selon certaines déclarations, Monsieur Ballén de Guzmán a fait partie du réseau des Forces Françaises Combattantes de Velité-Thermophyles jusqu’à son arrestation le 29 mai 1942 à Fontainebleau par la police allemande, et a été dénoncé du fait de ses actes de résistance envers l’ennemie. Pour ces motifs le 10 décembre 1945, il a reçu la Croix de Guerre 1939 -étoile vermillon- ainsi que la qualification de déporté-résistant, le 22 juillet 1952. Monsieur Ballén de Guzmán a certifié qu’après son arrestation le 29 mai 1942 il a été détenu à la prison de Fresnes et interné successivement en Allemagne à: Karlsruhe, Koblentz, Rheinbach et Hameln, jusqu’à sa libération le 17 avril 1945 par les troupes états-uniennes…” (43).
 
Cet homme s’est aussi profondément impliqué dans la vie associative de Fontainebleau avant et après la deuxième guerre mondiale, et ce, malgré son invalidité de 70% du fait des conditions d’emprisonnement déplorables dans l’Allemagne nazi. Il fera partie des instances dirigeantes de la Société de Golf et de Tennis de l’Association sportive de Fontainebleau, du Syndicat d’Initiatives, de l’Automobile Club de l’Ile de France (vice-président), des Amis de la Forêt de Fontainebleau où il créa les brigades de secouristes des bois et le Prix des Amis du bois. Ce livre qui est maintenant en ligne, nous permet de mieux connaître et apprécier cette œuvre associative exercée pendant plus de 30 ans, ainsi que ses nombreuses relations avec le monde intellectuel français qu’avait noué cet Équatorien-Bellifontain (44).
 
De sa production journalistique dans les plus grands quotidiens équatoriens de 1958 à 1993, sous l’intitulé très suggestif de “Vigía de la Torre Eiffel”, la note de la rédaction du «Comercio » au lecteur, le 8 juin 1958, montre bien le contenu et l’ampleur de cette nouvelle facette de sa franco- équatorianité qui, cette fois-ci, s’adressait au grand public:
 
“À partir d’aujourd´hui, chaque dimanche nous publierons dans ce supplément une chronique de M. Darío Lara, éminent Équatorien qui vit à Paris. Le lecteur trouvera dans cette colonne des informations et des commentaires sur la vie européenne et principalement à Paris. Sciences, littérature, musique, arts plastiques seront les sujets abordés par monsieur Lara, un homme qui s’est pleinement consacré à la vie culturelle” (45).
 
Finalement, au sujet de son œuvre diplomatique et d’enseignant, nous allons analyser brièvement la création du Centre d’Études Équatoriennes qui est le fruit d’un long travail universitaire et diplomatique, commencé l’année 1949 à l’Université Catholique de Paris afin de diversifier et consolider les échanges culturels entre la France et l’Équateur à travers une structure universitaire parisienne (46).
 
En effet, au mois de novembre 1972, lors de l’inauguration du Centre à l’Université de Paris-X Nanterre, notre cofondateur pouvait écrire, certainement avec joie, et une profonde satisfaction:
 
“De cette façon pour la première fois dans une université française (et je crois européenne) des études sur l’Équateur ont été instaurées; et avec sa propre UER, l’Équateur sera présente comme d’autres pays, de même que le Chili avec Pablo Neruda, l’Argentine avec José Luis Borges et Julio Cortázar, le Guatemala avec Miguel Ángel Asturias, la Colombie avec José Eustasio Rivera et le Mexique avec le roman de la révolution mexicaine…” (47).
 
Ce nouvel aspect de la franco-équatorianité est clairement défini dans ces documents: la Déclaration concernant le Centre et ses statuts.
 
Selon la Déclaration, l’Objet du Centre est de:
 
“Faciliter et développer les études portant sur la République de l’Équateur en vue de resserrer les liens entre Équatoriens et Français, rendant en cela plus effectif l’Accord Culturel signé entre la France et l’Équateur le 5 juillet 1966 à Paris.
 
Faciliter des échanges entre étudiants et chercheurs équatoriens et français tant sur le plan intellectuel (par l’accès aux Bibliothèques et Archives équatoriennes et françaises) qu’au point de vue de leur logement pendant leur séjour dans le pays correspondant”.
 
L’article II-des statuts précise la finalité de l’Association:
 
“Cette association a pour but:
 
1) De contribuer au développement des études concernant la République de l’Équateur.
 
2) De faciliter les échanges culturels entre la France et l Équateur.
 
3) D’établir des contacts réguliers entre Universitaires et Chercheurs français et équatoriens afin de faciliter leur connaissance des pays réciproques” (48).
 
De plus, ce témoignage de l’une des professeures de ce Centre, Joëlle Griffon du Bellay dans le journal de Quito, “El Tiempo”, reflétait déjà tout son dynamisme:
 
“La 2e année des études de lettres et de civilisation équatoriennes de l’U.V. 319 ayant pris fin, il m’a paru intéressant d’informer les lecteurs de ce lointain pays des résultats de cette expérience qui a complété la création du Centre d’Études Équatoriennes dans notre Université de Paris-X Nanterre. Nous sommes un groupe de quatre professeurs ; trois de nationalité française: M. Gabriel Judde, M. Charles Albert Jézéquiel, moi même, et un collègue de nationalité équatorienne, le Professeur Darío Lara qui nous a transmis son enthousiasme pour son pays, en charge de cinq heures de cours par semaine consacrée à l’Équateur… Le Professeur Lara a choisi pour l’année 1972-1973 A la Costa de Martínez et il a proposé el Éxodo de Yangana de Angel Felicísimo Rojas avec des cours complémentaires sur l’histoire, l’économie et la culture de l’Équateur de 1925 à 1950. Ce vaste programme nous a permis d’offrir à nos étudiants un ample panorama géographique, historique et littéraire de l’Équateur, les préparant ainsi non seulement au programme de Licence en Lettres, mais aussi à de possibles thèses doctorales de 3e cycle que le Professeur Charles Minguet, Directeur du Centre, a proposé depuis l’année dernière…” (49).
 
En 2009, grâce à l’Ambassade de l’Équateur en France et les Professeurs de l’Université de Paris Ouest Nanterre, sa Présidente Mme Emmanuelle Sinardet écrivait à l’Ambassadeur M. Marco Erazo (50):
 
“Mes collègues et moi même tenons de nouveau à vous remercier de nous avoir reçu le jeudi 26 mars 2009, en vue de relancer les activités du Centre d’Études Équatoriennes. Afin d’institutionnaliser le Centre, nous avons composé un comité de direction. Pour mieux l’inscrire dans la durée, ce comité sera composé du Directeur de département d’espagnol de l’Université, du sous-directeur du département ainsi que de l’enseignant chercheur amené à suivre les étudiants Dans leurs travaux et études sur l’Équateur…” (51).
 
Depuis lors de nombreuses activités ont vu le jour (52):
 
Si nous avons initié ce survol par une décoration équatorienne, il est tout naturel de conclure ces quelques traits de cette franco-équatorianité, en rappelant ce fragment de la lettre que M. Dominique Frelaut, Maire de Colombes écrivit à son administré (je cite):
 
“Cher ami,
 
Monsieur Hubert Védrine, Ministre des Affaires Étrangères, vient de me faire part de votre nomination au grade de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur. Je tiens à vous adresser, personnellement, et au nom de toute l’équipe municipale, mes plus sincères félicitations.
 
En effet cette nomination vous distingue et montre une reconnaissance forte de votre implication personnelle dans vos responsabilités diplomatiques, universitaires et journalistiques, dans une carrière où vous avez su valoriser les liens en la France et l’Équateur.
 
À travers vous, c’est aussi notre commune qui se trouve honorée et je vous en remercie…” (53).
 
La franco-équatorianité de M. Darío Lara, nous permet de tirer quelques conclusions au sujet de ce transfert et ces emprunts culturels entre la France et l’Équateur:
 
– Lors de cette présentation nous avons pu mieux faire connaître la variété, l’originalité et la densité de cette production au cours d’une longue carrière universitaire, diplomatique et intellectuelle (1947-2009), mais il manquerait sans doute une dimension que nous pensons avoir trouvé en citant cette très belle pensée de José María Velasco Ibarra, francophile notoire, en tant que Président de la République, universitaire et écrivain: “France, France, un homme remarquable de l’Amérique du Nord a dit que tout homme doit avoir deux patries: la sienne, celle de naissance, et celle qu’offrent ton esprit et ton sol généreux. La patrie même nous donne la vie et le pain, le soutien et la protection indispensables pour que la pensée jaillisse. Mais toi, tu donnes à la pensée l’élévation et la clarté nécessaires à l’ennoblissement de la vie. Aussi existe-t-il des personnes qui, outre l’amour pour leur patrie, te consacrent un amour reconnaissant et profond. Tu donnes hospitalité à ceux qui sont victimes des tyrans, lesquels foisonnent à travers le monde. Ton affabilité fait que l’étranger ne ressent presque plus l’absence de sa terre… Tu es une harmonie humaine. Art et sciences, esprit et matière, ascétisme et joie mondaine, tout sur ton sol vit et prospère. Tu respectes la tradition, tout en étant à la tête du progrès. Aussi ceux qui viennent te visiter le font-ils avec ferveur et ceux qui s’éloignent de toi ressentent la morsure de la mélancolie” (54).
 
– Cette œuvre franco-équatorienne de M. Darío Lara a été remise dans de nombreuses bibliothèques, essentiellement européenne et américaine. À Nancy nous donnerons en fin de matinée une quinzaine d’ouvrages parmi les deux cents qui le seront par la Délégation de l’Équateur auprès de l’Unesco (55), mais ils sont toujours difficiles d’accès. Heureusement grâce à internet et à la création du blog «apuntes: Ecuador, arqueología diplomacia» (56), huit livres, une vingtaine d’articles ainsi que de nombreuses traductions sont disponibles en français et en espagnol (57). De cette façon, grâce à la technologie actuelle et à notre travail, nous nous sommes donc fixés comme objectif de diffuser une grande partie de son œuvre, et que l’auteur n’a pu faire lui-même au XXe siècle.
 
Malgré le scepticisme ambiant? quelle chance d’être au XXIe siècle! En effet, rappelons que l’espagnol est plus que jamais la deuxième langue internationale dans le monde. De plus, l’Amérique latine de langue espagnole connaît un moment historique, c’est la première fois dans son histoire républicaine que l’analphabétisme est en voie de disparition. Selon l’UNESCO (58), en 2008, 93 à 95% des enfants latino-américains sont scolarisés et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, la parité entre filles et garçons, non seulement a été atteinte dans le primaire, mais aussi elle progresse plus vite dans de nombreux pays, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire (59). Vous voyez, lire, écrire et publier en espagnol favoriseront comme jamais les transferts et les emprunts culturels entre l’Équateur et la France (60).
 
NOTES :
 
(A) L’auteur remercie très chaleureusement de leur invitation les organisatrices, mesdames Michèle Guiraud et Nicole Fourtané, au Colloque intitulé «Emprunts et transferts culturels : du monde luso-hispanophone vers l’Europe». Voir le programme.
 
 
 
 
(4) A. Darío Lara: «Les hommes et la nature de l’Équateur vus par Pierre Bouguer» Revue France-Ecuador N°3, 2000, pp. 30-49.
 
 
 
(7) A. Darío Lara: Cuentos de la Ciudadela de los Músicos, Quito-Ecuador, editorial Casa de la Cultura Ecuatoriana, 1985.
 
(8) A. Darío Lara: Escenas parisienses, Quito-Ecuador, editorial Casa de la Cultura Ecuatoriana, 2008.
 
 
 
(11) A. Darío Lara: Ivan Goll, Poeta del Amor y del Exotismo. Paris, Taller gráfico cies-hermosilla 141 Madrid, 1958, p. 35.
 
(12) A. Darío Lara: Jorge Carrera Andrade: Memorias de un Testigo, tome I, Quito-Ecuador, Casa de la Cultura Ecuatoriana, 1998, pp. 144-145.
 
(13) Ibidem p. 144.
 
(14) A. Darío Lara: Alain Fournier, Poeta 1886-1914. Casa de la Cultura Ecuatoriana, 1963, Quito-Ecuador, p. 74.
 
(15) A. Darío Lara: Viajeros Franceses al Ecuador en el Siglo XIX, Quito-Ecuador, Casa de la Cultura Ecuatoriana, 2º édition, 1987.
 
(16) Ibidem, p. 17.
 
(17) Ibidem, p. 19.
 
(18) Ibidem, pp. 10-11.
 
(19) Ibidem, p. 11.
 
(20) A. Darío Lara: Gabriel Lafond de Lurcy, viajero y testigo de la historia ecuatoriana. Quito-Ecuador, Banco Central del Ecuador, 1988, p. 9. Voir annexe N° 1 de cette conférence: Préface du livre Lafond de Lurcy.
 
(21) Ibidem, p. 157.
 
(22) Ibidem, pp. 30, 31 et 32.
 
 
 
(25) Ibidem, pp. 9-10.
 
(26) A. Darío Lara: Montalvo en París, tome I. Ecuador, Subsecretaría de Cultura et Municipio de Ambato, 1981, pp. 8-9.
 
(27) Claude Lara: Este otro Montalvo. Quito-Ecuador, Abya-Yala, 1996, pp. 8-9.
 
 
(29) Ibidem.
 
 
(31) Ibidem note 12, tomes I et II (1998 et 1999).
 
 
 
(34) Jorge Carrera Andrade: Poesía Francesa Contemporánea. Ecuador, Casa de la Cultura Ecuatoriana, 1951.
 
 
(36) Ibidem, pour les traductions en espagnol de la poésie d’André Spire, nous avons les poèmes suivants: Las diez bendiciones, Versículos, Matanzas de judíos, Tú que estás aquí. Pour Yvan Goll : Estación Montparnasse, Elegía de Ihpetonga (I-X),
 
(37) Ibidem note 12, p. 17.
 
(38) Ibidem tome II, pp. 221-373.
 
 
 
(41) Idem note 10.
 
(42) Ibidem, pp. 9-10.
 
(43) Ibidem, pp. 47-48.
 
(44) Ibidem, pp. 24-25 et 92-111.
 
(45) El Comercio de Quito, 8 de junio de 1958.
 
 
(47) A. Darío Lara: «Inauguración del Centro de Estudios Ecuatorianos en la Universidad de París X». El Tiempo de Quito, domingo 24 de diciembre de 1972.
 
 
(49) Joëlle Griffon du Bellay : «Mis impresiones sobre los estudios ecuatorianos de la Universidad de París». El Tiempo (Gaceta) de Quito, 14 de julio de 1974.
 
 
(51) Ibidem note 46.
 
(52) – Un colloque, en décembre 2009, intitulé : L’Équatorianité en question(s): Journées d’études scientifiques à l’occasion du bicentenaire du ‘Primer Grito de Independencia’ du 10 août 1809, dont les travaux ont fait l’objet d’une publication par la revue d’Histoire de l’Amérique Latine et cette manifestation a été accompagnée d’une importante donation d’une centaine d’œuvres à la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine. Consulté le 8 juin 2012 – En novembre 2010, une rencontre littéraire consacrée aux écritures équatoriennes contemporaines avec la présence de quatre auteurs équatoriens: Rocío Durán-Barba, Telmo Herrera, Alfredo Noriega et Ramiro Oviedo, suivi d’une nouvelle donation de livres. – Un autre colloque, en décembre 2011, intitulé «France-Équateur: regards croisés» et qui fera l’objet d’une nouvelle publication. – Journée scientifique internationale Formations culturelles de la Nation en Équateur et au Mexique : Regards interdisciplinaires sur Benjamín Carrión et José Vasconcelos, mars 2012.
 
(53) Document inédit, collection particulière de l’auteur.
 
 
(55) Voir le bulletin de presse de l’Université de Lorraine, du 31 mai 2012 : DONATION DE LIVRES PAR LA DÉLÉGATION DE L’ÉQUATEUR AUPRÈS DE L’UNESCO.
 
La donation des livres à la Bibliothèque Universitaire du Campus Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Lorraine (ex-Nancy 2) est l’aboutissement de la collaboration qui s’est établie entre la délégation équatorienne auprès de l’UNESCO, dirigée par Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Lautaro Pozo et Madame Nicole Fourtané, professeur émérite, spécialiste de l’Amérique latine. Cette synergie s’est précisée par la proposition de Monsieur Claude Lara, ministre délégué auprès de cette instance internationale, de profiter du colloque «Emprunts et transferts culturels : du monde luso-hispanophone vers l’Europe» pour doter la BU de deux cents ouvrages sur l’Équateur dans quatre domaines principaux : histoire, littérature, relations internationales, art. Étant donné la faiblesse du fonds de la BU sur ce pays, cette donation est un atout majeur pour l’Université. Elle constitue un premier jalon pour que les enseignants-chercheurs du groupe luso-hispanophone et les étudiants trouvent sur place une documentation de qualité qui les incite à initier des recherches sur ce pays.
 
La remise officielle de la donation a eu lieu, le 31 mai 2012, en présence de Monsieur Claude Lara, représentant Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Lautaro Pozo, de Madame Pascale Fade, directrice par intérim du Campus Lettres et Sciences Humaines et directrice du Collegium Arts, Lettres, Langues, de Madame Frédérique Péguiron, responsable de la BU, représentant Madame Anne-Pascale Parret, directrice des bibliothèques de l’Université de Lorraine, de Monsieur Dominique Adrian, chargé des achats, de Madame Michèle Guiraud, directrice du groupe «Culture et histoire dans le monde luso-hispanophone» et de Madame Nicole Fourtané, professeur émérite.
 
Les ouvrages remis constituent le Fonds Équateur. Celui-ci contient les documents qui figurent dans la liste annexe remise par la délégation permanente de l’Équateur auprès de l’UNESCO.
 
 
 
(57) Oeuvres de M. Darío Lara en ligne (consulté le 8 juin 2012), ainsi que les inédits
 
(58) Au sujet de l’analphabétisme en Amérique latine (consulté le 8 juin 2012)
 
(59) En ce qui concerne «L’égalité des genres dans l’éducation» (consulté le 8 juin 2012)
 
(60) «Nueva biblioteca virtual» (consulté le 8 juin 2012)
 
ANNEXE N°1: PRÉFACE DU LIVRE LAFOND DE LURCY
 
Cher Monsieur,
 
Je suis dans l’admiration de votre Thèse sur Lafond de Lurcy et j’aurais pris un grand papier pour vous le dire longuement si je n’avais pensé, à cause de votre amour pour la France, sa province, son esprit, que vous préféreriez voir notre demeure d’Auvergne où je lis votre ouvrage et d’où je vous écris. La précision et l’ampleur de votre documentation sont hors de pair, et vous aportez une contribution précieuse à la connaissance non seulement de l’Équateur de 1820, mais de la France éternelle. Je vous donnerai bien entendu avec joie la Préface que vous me demandez pour l’édition espagnole, mais je n’ai pas ici de secrétaire. Si vous ne pouviez pas attendre la fin de septembre, je l’écrirai ici à la main. Mais ce serait plus difficile pour vous. Dites moi votre préférence, et coryez, cher monsieur, à mes sentiments les plus sympathiques et amicalement dévoués.
 
s) Edmond Giscard d’Estaing 22 juillet 1977
 
Monsieur Darío Lara 34 Avenue de Messine Paris 8è
 
———————————————
 
101 avenue Henri Martin (16è) Le 18 Novembre 1977
 
Cher Monsieur,
 
J’ai écrit avec beaucoup de plaisir l’introduction que vous m’aviez demandée pour votre très beau livre et j’espère que ce texte vous plaira. Appelez-le Introduction ou Préface, comme vous préférerez, mais il faut employer le même mot dans le titre et dans la deuxième ligne de l’article, pour éviter toute confusion.
 
Je suis heureux que votre santé soit rétablie, après le long voyage que vous avez fait dans votre pays, et j’espère que la seconde opération que vous envisagez aura d’aussi bons résultats que la première.
 
Et je vous prie de croire, cher Monsieur, à mes biens sympathiques et très cordiaux sentiments.
 
s) Edmond Giscard d’Estaing de l’Institut
 
Monsieur Darío Lara
Conseiller d’Ambassade Ambassade de l’Équateur
34 Avenue de Messine
75008 Paris
 
PRÉFACE
 
Connaissant depuis de longues années M. Darío Lara, j’ai accepté bien volontiers d’écrire une préface pour son dernier livre. Mais j’avoue que je ne pensais pas trouver un aussi extrême intérêt à sa lecture et ce sont les raisons de mon admiration que je voudrais exprimer ici.
 
Cette remarquable étude intéresse évidemment les Français puisqu’il s’agit de leur compatriote et les Équatoriens, puisqu’il s’agit d’un homme qui a joué un rôle important dans les guerres d’Indépendance. Mais j’ajouterai, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus curieux, qu’il intéresse aussi les Français pour leur faire mieux connaître l’Histoire de l’Équateur et les Équatoriens pour leur faire mieux connaître ce qu’est, en réalité, la France.
 
M. Darío Lara a vécu chez nous un quart de siècle environ. Des étrangers habitant Paris connaissent la capitale, mais il est rare qu’ils connaissent aussi bien la province. C’est pourtant le cas de M. Darío Lara; il est certain que la croissance de Paris, cette petite Île de la Cité où s’est élaborée la notion même de la Monarchie Française, et la vue de tant de monuments aussi parfaits que Notre-Dame de Paris, le Château de Vincennes, la Cour du Louvre, le Dôme des Invalides, le Château de Versailles évoquent une civilisation; mais le tissu français est riche en toutes ses parties. Ceux qui ont goûté la qualité de chacune de ses régions, qui vont de la houle de l’Atlantique au clapotis de la Méditerranée, de la rudesse hautaine du Massif Central à la douceur angevine des bords de la Loire; de la mélancolie des Landes aux rêves des Vosges boisées, seront sensibles au tableau que M. Darío Lara, en a si élégamment tracé, profitant surtout de l’origine de son héros: le capitaine Gabriel Lafond de Lurcy né à Lurcy-Lévis, au voisinage du pays de Jeanne d’Arc, du domaine de rêve du Grand Meaulnes, de la forêt de Tronçais, de la Métropole de Souvilly. Ce pays le Bourbonnais, petit par ses dimensions, porte, en effet le nom de la famille qui durant, des siècles, a patiemment construit la Monarchie Française et, en même temps et à travers elle, ce qui est aujourd’hui la France.
 
Le jeune Français qui vint au jour le 25 Mars 1801 connut les agitations et les grandeurs de la France Impériale. À vrai dire, son père mourut dès 1807, en pleine bataille, et ce petit garçon de six ans était déjà voué aux grandes aventures, que ce fussent celles de l’épopée militaire ou celles des voyages autour du monde; ce sont les secondes qui furent sa voie. Quand il s’embarqua pour la première fois comme apprenti marin, il avait juste dix-sept ans et rois mois. Son bateau partait pour la Chine, mais son nom est déjà un extraordinaire symbole, puisqu’il s’agit du Fils de France. C’était bien, en effet, un enfant de la terre française qui partait à la découverte du monde dont il allait faire le tour. Ses voyages dureront quinze années et le conduiront en Chine, au Japon, aux Philippines, aux Indes, dans le Pacifique, au Mexique et en Équateur.
 
Ce sont évidemment les randonnées de Lafond de Lurcy en Amérique Latine qui constituent les enseignements les plus précieux que nous devons aux mémoires de ce grand navigateur. Nul ne savait, lorsqu’il quittait le 4 juin 1819 Hong-Kong, puis qu’il s’arrêtait à Manille pour gagner le Mexique, que ce voyage allait alors se passer en terre historique. Il écrit à San Blas lorsqu’il apprit la révolte de Riego à Cadix. Le voici à Guayaquil lorsque, en Octobre 1820, la ville déclare son Indépendance, pour combattre encuite les troupes espagnoles. Les événements se précipitent; le général Sucre arrive à Guayaquil et libère Quito. En 1822, Bolívar rallie le pays à la Grande Colombie et c’est le 26 et 27 Juillet la célèbre entregue de Guayaquil entre Bolívar et San Martín, venu de Lima. Les années 1822-1830 connaissent les mouvements les plus contradictoires et c’est en 1830 que, le 19 Mai, Bolívar renonce à son oeuvre. Quatre mois avant sa mort, le 14 Août, à la naissance de la République de l’Équateur.
 
Ces événements servent à jalonner la vie de Lafond de Lurcy qui a participié avec passion à cette naissance des États Indépendants de l’Amérique Latine. Le livre de M. Darío Lara nous apporte, date après date, année après année, les renseignements les plus précis, mais aussi les plus précieux. Certes, nous découvrons tant d’épisodes romanesques dans la vie de cet homme que séduit l’Amérique Espagnole. L’aventure de Matralla est touchante comme l’histoire de Paul et Virginie. La Jeune Luisa, dont le père vient de mourir dans un précipice, n’a que dix-sept ans et son désespoir la conduirait à la mort si le Jeune Lafond, qui n’a que vingt ans, ne la soutenait pas et ne la conduisait pas à Galengo, où le curé qui célèbre les funérailles du père, révèle être le frère jumeau du père de Luisa qu’il n’avait pas vu depuis sa naissance… La Jeune fille meurt bientôt et c’était la fin naturelle, et l’on peut dire inévitable de cete idylle à la Chateaubriand ou à la Bernardin de Saint Pierre, car on hésite entre Atala et Paul et Virginie.
 
Mais à ces récits si humains s’ajoutent ceux relatifs aux rapports des grands hommes qui vont fonder la liberté des nouveaux États. C’est grâce au livre Études sur l’Amérique espagnole que l’on découvre les lettres de Bolívar à Flores. Il connaît les deux hommes qui bâtiront les nouveaux États: l’Argentine, le Chili avec San Martín, la Grande Colombie, en souvenir de Christophe Colomb et la Bolivie avec Bolívar; il s’en ait fallu de peu, peut-être, que l’Équateur ne s’apelle Floriane en souvenir de Flores… Pour s’écarter des hypothèses et pour en revenir aux documents, le lecteur sera passionné par la célèbre lettre de San Martín à Bolívar, relative à l’entrevue si discutée de Guayaquil, le 26 juillet 1822.
 
Laffond de Lurcy quitte l’Amérique en 1828, mais il ne rentre en France qu’en 1831 et sa vie désormais, va se passer à écrire et à enseigner, plus simplemente, à vivre. Il se marie en 1838 et meurt en 1876. Pour nous il a été, suivant son expresión un “témoin de l’histoire hispano-américaine”, objectif, imparcial, pittoresque et humain.
 
Ce résumé attirera, espérons-nous, l’attention des Français et des Équatoriens sur le livre de M. Darío Lara. Ils découvriront, au surplus, que son oeuvre est celle d’un véritable historien et qu’elle mérite pleinement d’avoir été une thèse de doctorat valant à son auteur la plus haute consécration universitaire. On ne peut qu’être plein dádmiration pour la documentation rassemblée par l’auteur et par le soin avec lequel les documents ont été photocopiés de façon à restituer à chaque personne, à chaque événement, à chaque site, sa véritable réalité.
 
Les derniers mots de cette Préface se référeront donc aux premiers: que le lecteur soit un homme politique, un historien, un romancier, un psychologue ou un voyageur, qu’il soit Équatorien ou qu’il soit Français, il trouvera dans ce beau livre un instrument de précision historique et un instrument de rêve romantique.
 
Edmong Giscard d’Estaing De l’Institut de France
 
Paris, Novembre 1977
 
ANNEXE N°2: LES HOMMES ET LA NATURE DE L’ÉQUATEUR VUS PAR PIERRE BOUGUER*
 
A. Darío Lara
 
La commémoration du troisième centenaire de la naissance de Pierre BOUGUER nous rappelle un des plus grands événements du 18è siècle: le voyage et les travaux scientifiques accomplis par la Mission des Académiciens français envoyés, lisons nous dans le «Passeport du Roi Luis XV, signé le 13 février 1735, pour faire sous l’Équateur même des observations qui puissent conduire à découvrir la véritable forme de la terre; ce qui serait non seulement avantageux pour le progrès des sciences, mais aussi fort utile au commerce, en rendant la navigation plus sûre et plus facile…»
 
Les travaux que les Académiciens accomplirent dans l’Audience Royale de Quito (aujourd’hui la République de l’Equateur) concernant la mesure d’un arc du méridien, mais aussi la quantité incroyable de travaux scientifiques dans les domaines de la géographie, de l’archéologie, de l’ethnographie, de la botanique, de la sociologie, de l’histoire…, nous font comprendre parfaitement que D’Alembert eut raison d’écrire de cette Mission qu’elle fut «l’entreprise la plus grandiose que les Sciences ont jamais tenté».
 
Nous comprenons ainsi qu’en 1836, premier centenaire de l’arrivée de la Mission à Quito, celle-ci fut commémorée d’une façon toute particulière. Le président de la République, Vicente Rocafuerte, ancien élève du Lycée de Saint-Germain en Laye voulut lui donner un éclat particulier. De même, en 1936, à l’occasion du deuxième centenaire, les fêtes de la commémoration furent solennelles. La délégation envoyée par la France à Quito était présidée par un héros de la guerre de 1914-18, le général George PERRIER, historien et membre de l’Institut.
 
Nous ne pouvons oublier qu’à la fin du 19è siècle et les premières années de notre siècle, une deuxième Mission fut envoyée par la France pour vérifier et compléter les travaux de la Mission de 1736. Elle fut confiée à l’Armée française et dirigé par le colonel R. BOURGEOIS. J’ai le plaisir de rappeler qu’un de ses membres était un jeune médecin appelé à un grand destin, puisqu’il trouve dans les Andes équatoriennes sa vocation de scientifique: archéologue, ethnologue, historien. J’ai nommé l’illustre Paul Rivet, fondateur du Musée de l’Homme à Paris, et initiateur des «études américanistes» qui ont connu un si brillant succès au cours de ce siècle. Paul Rivet resta particulièrement attaché à l’Équateur qu’il considérait comme sa «deuxième patrie»; il épousa même une Équatorienne de Cuenca. J’ai eu le privilège de le fréquenter dans sa résidence du Palais de Chaillot et d’écouter sa conversation et ses souvenirs des longues années passées dans les pays andins, l’Equateur en particulier.
 
1986, année du 250ème anniversaire de la Mission historique de 1736, fut particulièrement riche dans la commémoration qui nous occupe. Il suffit de rappeler les Colloques organisés en France et en Equateur. Le premier le fut un peu avant les 22 et 23 novembre 1985, par le «Centre d’Études de l’Équateur» à l’Université de Paris X-Nanterre (1). Plusieurs historiens et chercheurs français et équatoriens y participèrent; leurs travaux ont été publiés dans «Actes del Coloquio Internacional de Paris -Instituto Panamericano de Geografía e Historia» (México, 1987). Les 29-31 janvier 1986, avec l’aide de l’Institut National des Sciences de l’Univers, du Ministère de l’Education Nationale et de la Culture, pour célébrer le 250ème anniversaire des expéditions de l’Académie en Laponie et en Amérique Equatoriale, eut lieu à l’Institut de France le «Colloque National sur la Figure de la Terre». Membres de l’Académie, scientifiques, chercheurs de plusieurs pays firent de cette réunion une manifestation du plus haut niveau. Finalement, le Colloque ou Symposium Franco-Espagnol-Equatorien qui se déroula à Quito, du 7 au 11 juillet 1986, permit d’écouter de savantes communications des historiens et chercheurs venus d’Europe et de plusieurs pays d’Amérique Latine. Ces travaux, d’une qualité exceptionnelle, ont été publiés -section historique- dans les deux volumes du Boletín de la Academia Nacional de Historia, de l’Équateur (620 pages), et -section scientifique- dans les trois tomes de la revue CULTURA, publiée par le Banco Central del Ecuador (1289 pages).
 
Après cette rapide mention, et contrairement à ce qu’on a parfois écrit au sujet de l’importance de cette Mission dans l’histoire, nous pouvons constater qu’elle a été l’objet de nombreux travaux à travers le temps. Les historiens équatoriens en particulier, n’ont cessé de consacrer d’intéressants travaux à la Mission du 18è siècle et de reconnaître l’influence qu’elle a eue dans l’histoire du continent (2). Isaac Barrera, un de nos grands historiens des lettres et de la culture, écrivit:
 
«Au début du 18è siècle, un événement se produit dans ses provinces qui devaient donner des résultats de tout premier ordre pour le mouvement culturel. Cet événement fut l’arrivée des Académiciens Français à Quito. L’Audience Royale de Quito allait entrer en contact avec la pensée qui surgissait dans le vieux monde… Les Académiciens apportaient la nouveauté des doctrines philosophiques, des discussions littéraires, des découvertes scientifiques, des principes politiques qui annonçaient l’arrivée d’une ère nouvelle… La révolution qui éclata ensuite devait être la conséquence de la préparation philosophique qui arrivait en Amérique avec les Académiciens».
 
Mais il est temps de suivre les activités de Pierre Bouger dans sa mission en Équateur. Je ne suis certes pas qualifié pour vous parler ici, chez vous, au Croisic, de ce savant extraordinaire et je ne me reconnais pas les compétences adéquates pour analyser l’œuvre du mathématicien, du géographe, du physicien, de l’astronome, de l’auteur de si nombreux ouvrages scientifiques maintes fois couronné par l’Académie des Sciences, du brillant professeur enfin, appelé à juste titre «le Pascal du 18è siècle». Que pourrais-je ajouter à la gloire de Pierre Bouguer, à sa connaissance après tout ce que j’ai eu le privilège d’écouter des académiciens, des astronomes, des géophysiciens éminents qui à l’Institut de France lui rendirent un si grand hommage, au mois de janvier de 1986; ou après les éloges et savantes études des polytechniciens et spécialistes réunis à l’Université de Paris X, à l’Université de Quito ?
 
Souhaitant correspondre à votre aimable invitation, j’ai pensé plus conformément à ma formation historique et littéraire, que je pouvais vous parler non pas de Bouguer le scientifique, mais simplement de l’humaniste, de l’homme de son siècle, ce siècle des encyclopédistes; bref du philosophe qui fonde sa connaissance sur l’homme, sur sa situation, attentif à ses semblables et au milieu dans lequel ils vivent; un philosophe qui a pour centre d’études et de préoccupations non pas des idées abstraites, mais l’homme concret avec lequel il vit ou partage ses préoccupations. C’est ce qui m’a frappé en lissant sur les lieux même de ses travaux La Figure de la Terre.
 
Évidemment, c’est un livre essentiellement scientifique, préoccupé comme il était de mesurer la longueur du méridien sous la ligne équinoxiale pour confirmer la théorie de Newton, selon laquelle la figure de la terre est aplatie aux pôles et renflée à l’équateur, contrairement à Cassini pour qui la terre était allongé selon l’axe des pôles. M’éloignant des si hautes questions et peut être avec l’étonnement de certains, j’ai trouvé dans ce livre des pages admirables qui montrent bien que ce scientifique était avant tout un humaniste, en homme préoccupé par ses semblables et leur milieu; par les hommes et la nature de mon pays.
 
Dans les premières lignes de sa «Relation abrégée du Voyage fait par Messieurs de l’Académie Royale des Sciences pour mesurer les degrés du méridien aux environs de l’Equateur et en conclure la Figure de la Terre», Bouguer nous rappelle qu’ils s’embarquèrent à la Rochelle, le 6 mai 1735; après la Martinique, «ils firent un assez long séjour à Saint-Domingue et, le 30 octobre, se rendirent à Cartagène-des-Indes». Une fois traversé l’isthme, à Panama ils s’embarquèrent sur la Mer du Sud, l’Océan Pacifique et, le 9 mars 1736, touchèrent pour la première fois les terres su continent du Sud, exactement dans le village de Manta, sur les côtes de l’Audience Royale de Quito.
 
Ce nom de Manta est très important car, comme celui de Bahía de Caráquez, il désigne le berceau de la civilisation des Caras, immigrants de vieilles civilisations, probablement des Mayas de l’Amérique Centrale, qui avant l’an mille de notre ère furent à l’origine du Royaume de Quitus, ou les Shyris (sir) de Quito; l’Audience Royale de Quito pendant les siècles de la domination espagnole, l’Etat ou République de l’Équateur en 1830, lors de la sécession de la grande Colombie organisée par Bolivar.
 
Dans ce village de Manta, aujourd’hui ville moderne, le deuxième ou troisième port de l’Équateur sur l’Océan Pacifique, «Monsieur de La Condamine et moi-même (écrit Bouguer) nous nous séparâmes alors du reste de la compagnie, parce que nous crûmes pouvoir faire quelque usage de notre temps dans cette partie de la côte où les grandes pluies avaient déjà cessé», écrit Bouguer. Confirmant ainsi une flagrante rupture des dispositions espagnoles selon lesquelles le groupe des Académiciens devait toujours rester ensemble. Et tandis que Bouguer et La Condamine restaient à Manta, Godin et les autres membres de la Mission s’embarquèrent pour Guayaquil, port principal et chemin obligé pour se rendre à Quito.
 
Nous voilà donc avec nos deux Académiciens jetés dans une folle aventure, au milieu d’un pays inconnu, «parce que nous crûmes pouvoir faire quelque usage de notre temps dans cette partie de la côte… au lieu qu’on nous assurait que les pluies continueraient encore longtemps plus loin ou plus vers le midi, et que le chemin de Quito serait interdit (à cause des pluies) jusqu’au moins de juin», ajoute Bouguer. Au moins durant quelques semaines, les deux Académiciens resteront ensemble et comme l’écrit Bouguer : «Nous n’eûmes pas lieu de nous repentir du parti que nous avions suivi; notre séjour nous valut une connaissance assez parfaite de cette côte, qui étant la partie la plus avancée vers l’Occident de l’Amérique méridionale, demandait à être déterminée avec une exactitude particulière. Nous examinâmes la longueur du pendule sous l’Équateur et je m’y occupai beaucoup en mon particulier des réfractions astronomiques». De Manta ils se rendirent à Montecristi, «village au pied de la montagne de même nom qui est fameuse dans toutes ces Mers et qui offre aux Navigateurs qui viennent de loin un point de reconnaissance. C’est la demeure des anciens habitants de Manta, qui pour se soustraire aux insultes des Pirates, se sont éloignés de la côte où ils demeuraient auparavant». Ils sont logés à la «Casa Real» (la Maison du Roi), une sorte d’Hôtel de Ville. Toute de suite les deux Académiciens sont l’objet des attentions de ses habitants. «Le jeudi 15 au matin les Indiens vinrent nous trouver; ils avaient à leur tête leurs Alcaldes ou Magistrats tenant à la main leur baguette, qui est la marque distinctive de leur autorité. Ils nous présentèrent quelques fruits et nous annoncèrent que Dom Joseph de Olabès y Gamaroa, Commandant de Puerto Viejo, leur avait donné ordre par ses lettres d’avoir pour nous les mêmes attentions que pour lui-même». Avec leur aide, les Académiciens trouvent un poste qu’ils choisissent comme «observatoire» et peuvent commencer quelques expériences sur le terrain.
 
Mais bientôt Bouguer, laissant de côté pour un moment les observations astronomiques, les mesures et calculs mathématiques, commence à s’intéresser aux villages, aux habitants, aux produits de la région, et au lieu des triangles, des méridiens, des toises, est attiré par les occupations des habitants «Ils cultivent assez de cacao et de tabac pour envoyer un peu au-dehors». Mais Bouguer reconnaît les difficultés: «le manque de chemins et le défaut de navigation rendent leur commerce très languissant». Il parcourt l’endroit et observe «quelques maisons fort jolies, qui sous un toit couvert de paille ou de feuilles de palmiers, contenaient un assez grand nombre de pièces et qui joignaient à leurs autres embellissements» (3). Ces descriptions de l’habitat sont fort intéressantes pour reconstituer la vie des habitants de toute cette région côtière.
 
Bouguer et La Condamine ont été à Puerto-Viejo les hôtes d’une riche famille espagnole et après avoir passé quelques jours ils vont visiter d’autres sites : Cabo Pasado, Bahía de Caráquez, «port dont la nature a fait toutes les avances»; ils y font des observations qui nous permettent de connaître la vie de ces gens, leur alimentation, les produits de la terre qui sont les aliments de tous les jours: «Nous trouvons pour ressources, dans tous les lieux qui n’étaient pas absolument déserts, des bananes, quelques autres fruits, du laitage, des œufs et quelques volailles. Dans les autres endroits, nous subsistions de riz et de provisions que nous portons avec nous; les bananes et les galettes de maïs, qui n’ont de défaut que d’être extrêmement sèches, nous tenaient lieu de pain».
 
À l’intérieur, ils se déplaçaient grâce aux «indiens qui nous fournissaient les chevaux dont nous avions besoin». Et cette explication qui en dit long: «Ce pays s’est trouvé très propre pour la multiplication des chevaux; ils y sont en assez grand nombre, depuis que les Espagnols en ont transportés d’Europe. Car n’est pas au soin qu’on en prend qu’on doit leur bonté; c’est à peu près comme dans nos îles. On les laisse toujours dehors, même pendant la nuit; on ne les ferre jamais…» Naturellement soit par la mer, soit par les rivières, écrit Bouguer: «Nous avions encore, lorsqu’il s’agissait de suivre la côte, un autre genre de voiture. Nous trouvions quelques pirogues qui sont des canots ou bateaux formés d’un seul tronc d’arbre, dans lesquels on ne laisse pas de s’éloigner assez considérablement de terre, et même d’entreprendre de doubler les Caps, lorsque la mer n’est pas agitée».
 
Bouguer précise clairement: «Nous nous proposions par toutes nos courses de mieux connaître le pays: mais en même temps que nous avions en vue la perfection de la Géographie, nous ne négligions pas les autres remarques qui se présentaient; c’était même pour en multiplier les occasions, qu’étant dans l’Hémisphère austral, nous nous acheminions peu à peu le long de la côte vers le Nord…»
 
Mais le géodésien cède sa place à l’observateur de la nature et des hommes. La visite de Manta lui fournit l’occasion d’une longue digression sur l’histoire de la région(4) « La plupart des endroits dont nous venons de parler sont fameux dans l’histoire ancienne. Manta était du temps des Incas la métropole de toute cette contrée, qui était plongée dans une grossière idolâtrie. On y reconnaissait une divinité qui ne pouvait faire aucun bien, mais qui aussi n’était pas malfaisante; une émeraude grosse comme un œuf d’autruche, à laquelle on avait consacré un temple et attaché un collège de prêtres pour prendre soin de son culte. Toutes les émeraudes d’une grosseur ordinaire participaient un peu à sa divinité… on en apportait souvent de très loin pour les déposer dans le même lieu, afin qu’elles rendissent hommage à la déesse de leur mère. Cette dernière se perdit à l’arrivée des Espagnols: apparemment les Indiens la cachèrent…»
 
Effectivement, cette région à l’extrémité nord-ouest de l’Équateur forme la province de Esmeraldas et l’émeraude était le distinctif qui brillait dans la couronne des Shyris de Quito.
 
À nouveau Bouguer nous introduit dans ces forêts pour nous signaler l’absence des arbres qu’on voit communément en France: ormes, chênes; mais on trouve par contre quantité de chênes verts, d’orangers, de citronniers, d’oliviers… d’arbres transportés par les Espagnols, de même figuiers, grenadiers qu’on trouve dans les endroits cultivés. Et de signaler bon nombres de plantes «que nous n’avons point en Europe et d’autres qui croissent beaucoup mieux dans ces pays». Suit une liste impressionnante d’arbres qu’un botaniste de nos jours saurait certainement apprécier. Ce à quoi il faudrait ajouter quantité et variété d’oiseaux, animaux qui peuplent la forêt de la côte de l’Audience Royale de Quito.
 
Durant un mois et demi Bouguer et La Condamine explorent la région, puis décident de se séparer. La Condamine poursuivra sa route dans ces forêts, traversera le versant occidental de la cordillère des Andes (5) et arrivera à Quito par le Nord. Bouguer prend le chemin de Guayaquil, «ville considérable et une des plus florissantes de tout le pays. Sa situation avantageuse en fait l’entrepôt du commerce de Panama et de Lima et elle est à proprement parler le port de Quito, quoiqu’elle en soit considérablement éloignée…» Trois jours après Godin, Bouguer laissent Guayaquil et entreprennent le voyage de Quito où ils arrivent le 10 juin 1736.
 
Le récit que Bouguer nous donne de cette longue traversée de la côte tropicale aux plateaux des Andes, où se trouve la capitale de l’Audience Royale, ressemble étrangement à ceux des grands voyageurs qui aux 18ème et 19ème siècles, avant l’ère du train, de la voiture et de l’avion, nous ont laissé des pages merveilleuses de pittoresque et d’enseignements. Ainsi ces paragraphes: «Je découvrais au loin des terres assez bien cultivées, un grand nombre de bourgs et villages habités pas des Espagnols ou par des Indiens, de petites villes assez jolies et tout le pays qui est découvert et sans bois, peuplé comme le sont quelques-unes de nos Provinces. Les maisons ne sont plus faites de roseaux comme elles étaient en bas, elles sont bâties solidement, quelques fois en pierre, mais le plus souvent avec des grosses briques séchées en pierre, mais le plus souvent avec des grosses briques séchées à l’ombre. Chaque village est toujours orné d’une très grande place dont l’église occupe une partie d’un des côtés…»
 
Il reconnaît que l’agriculture est négligée, bien que les terres sont si fertiles, peut-être que les cendres jetées par les volcans contribuent beaucoup à augmenter la fécondité, après qu’elles se sont parfaitement incorporées avec les terres (6).
 
Le récit des sept jours du voyage de Bouguer, de Guayaquil à Quito (aujourd’hui on la fait en moins d’une heure d’avion ou de cinq à six heures en voiture) est digne des textes les plus curieux et pittoresques du 18ème siècle. Pendant ce voyage, il a supporté toutes les peines de ces chemins qui ne méritent pas ce nom; supporté la chaleur, la pluie des tropiques et ensuite, les difficultés de l’escalade, l’ascension des montagnes escarpées, couvertes de neige, victimes du froid, sans aucun abri, pour dominer le haut plateau de la «sierra» ou région interandine, avec ce changement de températures au-dessus de deux, trois mille mètres d’altitude. En soudain, il se voit «transporté tout à coup dans une zone tempérée; je croyais voir, écrit Bouguer, la France et les campagnes dans l’état où elles sont ici pendant la belle saison». La Condamine, l’Académicien, futur membre de l’Académie Française, écrira de phrases semblables lorsque, laissant les forêts de la côte, il descendit dans la vallée interandine:
 
« Parvenu au haut de la côte, je fus saisi d’un étonnement mêlé d’admiration, à l’aspect d’un long vallon de cinq à six lieux de large, entrecoupé de ruisseaux qui se réunissaient pour former une rivière : je voyais, tant que ma vue pouvait s’étendre, des campagnes cultivées, diversifiées de plaines et prairies; des couteaux de verdure, des villages, des hameaux entourés de haies vives et jardinages; la ville de Quito, dans le lointain, terminait cette riante perspective. Je me crus transporté dans nos plus belles provinces de France; à mesure que je descendais, je changeais insensiblement de climat, en passant par degrés, d’un froid extrême à la température de nos beaux jours de mai. Bientôt j’aperçus tous ces objets de plus près et plus distinctivement. Chaque instant ajoutait à ma surprise: je vis, pour la première fois, des fleurs, des boutons et des fruits, an pleines campagne, sur tous les arbres: je vis semer, labourer et recueillir dans un même jour et dans un même lieu. Je me suis laissé entrainer au souvenir de la première impression que je reçus alors: j’oublie qu’il n’est ici que de ce qui regarde nos travaux académiques… » (7).
 
Quito, évidemment, attire son attention et les pages que Bouguer consacrent à cette capitale sont dignes de celles que nous ont laissées les grands voyageurs de tous les siècles. «La province de Quito est située dans la Cordillère au septentrion et au Midi de cette capitale, qui est d’ailleurs digne de ce titre par sa grandeur, par ses édifices et par la multitude de ses habitants…elle est le siège d’un Evêque, le séjour du Président de l’Audience Royale, elle a un grand nombre de Communautés religieuses et deux Collèges qui sont deux espèces d’Universités, l’une dirigée par les Jésuites et l’autre par les Dominicains. Cette ville a trente ou quarante mille habitants, dont plus d’un tiers sont Espagnols ou d’origine espagnole…» (8).
 
Bouguer de même que La Condamine et tous les autres membres de la Mission font les éloges de cette ville (la première capitale du continent sud-américain fondée par les Espagnols, en 1534); ils admirent la qualité et le nombre de ses temples, couvents et édifices qui ont mérité la plus grande admiration des artistes et critiques d’art, espagnols, italiens. Quito a été appelée «La Florence des Andes», ou «la Tolède de l’Amérique espagnole».
 
Plusieurs pages seraient nécessaires pour essayer de donner une très brève idée de tout ce que lui inspire «la situation de cette ville, les bonnes qualités qu’il a aux environs de Quito», ses particularités et «plusieurs raisons qu’il a de préférer les environs de Quito». Le climat, ses produits, «les gras de pâturage dans les campagnes immenses», tout est fait pour le séduire et il nous communique son enthousiasme et la joie de sa découverte. Il décrit le climat de Quito comme un printemps, un automne perpétuel, grâce à la chaleur tempérée par l’altitude. Il se fait ainsi l’écho de ceux qui bien avant avaient appelé cette région du continent comme «la terre toujours verte» (9).
 
Ces réflexions concernant le climat des pays andins, ces descriptions de forêts vierges, parmi les premières de la littérature française de son siècle, «toutes ses observations conduisent Bouguer à réfléchir sur la nature et la portée de l’influence que les conditions matérielles peuvent exercer non seulement sur le règne végétal et le règne animal, mais sur l’organisation physique et sur l’esprit de l’homme». Cette analyse attentive, ces réflexions sur le climat et ses répercussions ont conduit à mentionner le nom de Bouguer comme un des premiers qui au 18è siècle a contribué «à l’établissement de la théorie des climats sur des bases scientifiques».
 
Il y a encore quelque chose de plus intéressant, de plus important dans les travaux de Bouguer, car il ne s’est pas contenté uniquement de la nature, du monde physique, des plantes, des animaux (10). Il nous a présenté aussi l’homme, les hommes qu’il a rencontrés au cours de son voyage à l’Audience Royale de Quito.
 
Plus de 250 ans après l’arrivée des Académiciens à Quito, comme l’écrit un commentateur: « … les calculs qui occupent la plus grande partie des ouvrages de Bouguer, de la Condamine n’intéressent plus aujourd’hui que l’histoire de la science» (Roger Mercier). Mais, d’après ce même auteur: «…leurs introductions historiques nous offrent à la fois les premiers documents scientifiques sur ces populations et des témoignages précieux sur la personnalité de leurs auteurs». De sorte que le lecteur de cette fin de siècle est surtout attiré dans les ouvrages de Bouguer, comme La Condamine, par les jugements de ces voyageurs sur la description de la société américaine, quiténienne, qu’ils ont côtoyé, les témoignages sur les habitants, la vie, les mœurs des différentes classes sociales qui composaient ce monde colonial. Témoignages d’autant plus importants qu’ils sont garantis pas des hommes de formation scientifique, dont la haute intelligence est la garantie d’une objectivité.
 
Il est connu que bien avant les Académiciens d’autres voyageurs -parmi lesquels quelques Français- visitèrent ces régions et nous ont laissé des témoignages abondants. Il me suffit de citer le nom d’un de vos compatriotes, François-Amédée Frézier (1682-1773), si attaché à la Bretagne. Il fut envoyé en «mission secrète», en pleine guerre franco-anglaise, sur les côtes de l’Océan Pacifique. Il parcourut sur toute leur longueur les côtes de la Mer du Sud et dans sa Relation du voyage de la Mer du Sud…1712, 1713, 1714; il ne se contenta pas d’un simple récit de voyage. Dans un style spirituel et facile, il révèle à l’Europe les caractéristiques des pays qu’il a visités; il s’intéresse surtout aux habitants espagnols, métis, mulâtres, à leur vie sentimentale, aux problèmes de la contrebande et aux mille autres aspects de l’esprit créole, gai, fin et créateur.
 
Trente ans avant Frézier, en 1679, de Dieppe, sous les ordres du capitaine Laurent de Graff, le sieur de Raveneau de Lussant fait partie du groupe de flibustiers qui attaquèrent, entre autres ports de l’Océan Pacifique, la ville de Guayaquil (1686). De retour en France, de Raveneau de Lussan publia son journal de voyage dans lequel nous lisons les noms des villes que Bouguer visita: Manta, Montecristi, Portoviejo, Esmeraldas, les îles Puná, Galápagos, etc.… Sans oublier aussi que bien avant Frézier, François de Coréal, entre 1666 et 1697, pendant trente ans parcourut le continent du Mexique à l’Argentine, et à son retour, en 1738, publia à Amsterdam et en français ses Relations de voyage de François Coréal aux Indes Occidentales. Naturellement, il visita Quito et le pays. «Les Montagnes de la province de Quito, écrit-il, donnent autant d’or que de terre».
 
Mais il est certain que ces voyageurs continuèrent à donner de nos pays une idée plus imaginaire que réelle; l’intérêt qui domine chez les auteurs, aujourd’hui presque inconnus, dans leurs récits de voyage réels ou imaginaires, c’est l’exotisme. Je ne citerai, comme exemple, que La jeune Alcidienne, (París, 1651) de Martin le Roy de Gomberville (1600-1674), de l’Académie Française; La princesse Alcidienne (Paris, 1661), de Gauthier de Costes de La Calprenède (1610-1663); et certainement le plus célèbre Le faux Inca, de l’érudit évêque d’Avranches, ami de La Fontaine et membre de l’Académie Française, Pierre Daniel Huet (1630-1721). Ces œuvres du 17ème siècle trouvèrent un écho dans quelques autres œuvres du 18è siècle, annonciatrices du pré-annonciatrices du pré-rousseaunisme: Les Incas (1777) de Jean François de Marmontel (1723-1799) et le best-seller de l’époque: Lettres d’une Péruvienne, de Françoise d’Issembourg de Graffigny. Œuvres dans lesquelles, comme l’écrit Estuardo Núñez: «l’essentiel n’était pas la fidélité historique, mais la flatterie du goût public, français et européen, grâce à l’emploi d’un décor exotique».
 
La lecture des œuvres de Bouguer, de La Condamine, change fondamentalement la connaissance, la vision de la nature et de l’homme américain; ils ont ouvert une voie qui nous fait passer du mythe à la connaissance scientifique. En d’autres termes et d’après la confession d’un historien équatorien: «L’année 1735 doit être considérée comme celle de la découverte de l’Amérique pour la Science» (José María Vargas). S’il est vrai que dans son livre La Figure de la Terre, Bouguer ne consacre qu’une petite section aux études «des habitants et de mœurs» (pages 98 à 110), douze pages en total, il n’est pas moins exact qu’à travers presque toutes les pages antérieures nous trouvons de nombreux détails, observations curieuses sur la nature, sur les habitants de l’Audience Royale de Quito.
 
Nous l’avons constaté dès les premières lignes de la Relation abrégée de ce Voyage. Bouguer nous rappelle la civilisation des Mantas; nous trouvons des détails sur «la maison de Roy» (la casa real); il nous présente ces Indiens ou «Alcaldes» avec «leurs baguettes» à la main, adressant aux Français leurs respects et attentions; des indiens prêts à leur fournir des chevaux ou des pirogues pour leur déplacement. S’il est vrai que Bouguer ne s’arrête pas à nous décrire les techniques indiennes de construction, cependant nous trouvons à chaque moment des observations sur les constructions des maisons depuis les simples huttes sur pilotis, jusqu’aux matériaux plus solides: briques et pierre pour les édifices et temples de Quito. De même nous lisons à plusieurs reprises, ici et là, plus d’une observation, des notes sur les habitants, sur leur vie quotidienne, leur alimentation, leurs occupations ordinaires.
 
En effet, les pages de sa Relation abrégée de ce Voyage présentent une étude assez importante sur les habitants, sur l’homme de notre pays. Et tout d’abord, cette remarque pertinente avec laquelle on nous introduit dans ce chapitre. Bouguer écrit: «Si le pays peut offrir tant de singularités physiques, leurs mœurs et les coutumes des peuples ne seraient pas moins capables d’attirer notre attention, et pourraient donner matière à un très long récit». En quelques mots, il rappelle que le pays est habité par les Espagnols qui «en ont fait la conquête, et par les Indiens qui en sont les anciens habitants, et qui ne diffèrent pas de ces autres hommes qu’on connaît sous le nom de sauvages». Il faudrait se souvenir qu’un siècle plutôt, Montaigne avait écrit dans ses Essais: «Il n’y a rien de barbare ni de sauvage dans ces nations; il arrive que chacun appelle barbarie tout ce qui est différent de ses coutumes».
 
Très clairement, Bouguer distingue deux espèces d’Espagnols dans l’Amérique. «On nomme Chapétons tous ceux qui sont nés en Europe. Les autres sont les Créoles, qui souvent descendent de ceux qui passèrent dans ce pays là il y a plus de deux siècles, du temps de la conquête… ». Et cette observation assez exacte : « On y trouve des cadets des meilleures maisons d’Espagne ; et ce sont eux qui y jouissent encore de plus grands biens, au moins en possession de terres. Ils ont ordinairement reçu de l’éducation dans leur première jeunesse; ils sont d’un caractère simple et d’un très bon commerce». Parmi les qualités que Bouguer souligne particulièrement dans la classe espagnole, qualité que j’ai trouvée confirmée pas d’autres voyageurs: «C’est l’endroit du monde où on exerce le mieux l’hospitalité» et d’ajouter: «Les jeunes qui y passent d’Europe y sont accueillis de la manière la plus obligeante: ils y sont reçus comme d’anciens amis ou comme des frères. On prend soin de leur fortune; ils y trouvent presque toujours des établissements avantageux… » Je suis très heureux de constater et je puis affirmer: ce sens de l’hospitalité est toujours en vigueur dans mon pays.
 
Je pourrais m’étendre sur ce chapitre des qualités que Bouguer vante et plus encore quand il entre en contact avec les habitants de Quito. Ce qui ne l’empêche pas de parler aussi et longuement des aspects négatifs. Par exemple: «La plus grande tache dans ce pays-là c’est d’être d’un sang mêlé: mais l’examen est tout à fait à l’égard d’un homme qui a traversé la Mer et qui ne vient pas d’Afrique; il est tout prouvé à son égard qu’il est réellement de chair blanche et dés cet instant, il peut figurer avec tout le monde… »
 
Naturellement, Bouguer consacre plusieurs pages aux aborigènes et signale avec justesse: «Quant aux Indiens, il m’a paru qu’il fallait distinguer: les uns sont retirés en bas dans leurs forêts, où ils forment comme de petites Républiques, dirigés par leur Curé qui est Espagnol et par le Gouverneur assisté de quelques autres Indiens qui lui servent d’Officiers». Ce sont les habitants de la zone torride, nos «montuvios» des régions tropicales, sur lesquels il nous donne une longue série des qualités: « Ils vivent tous dans une aussi grande union qu’ils paraissent vivre dans une parfaite innocence. Ils sont prévenants et honnêtes, ils ne sont capables d’aucune défiance et il ne leur tombe pas même dans l’esprit qu’on puisse jamais avoir l’intention de tromper… Leur sort ne laisse pas d’être assez heureuse… Ils ont aussi l’avantage de joindre aux fruits de la terre qui leur fournissent d’abondantes ressources…».
 
«La condition des Indiens qui vivent en haut dans la Cordillère n’est pas la même et ce sont aussi des hommes tout différents». Bouguer, qui ne trouvait que des qualités chez les Indiens de la région basse, ne voit que des vices chez les habitants de la montagne. Ils sont d’une paresse extrême, ils sont stupides, ils passent des journées entières à la même place, sans bouger, sans rien dire… Indolents, ils aiment trop boire… Ils servent comme domestiques dans les villes ou on les envoie aux champs, travailler des terres. Evidemment, c’est un peu schématique et on pourrait faire quelques réserves ou ajouter des explications aux jugements de notre Académicien. On comprend aussi comment certains critiques ont trouvé trop négative et même injuste sa vision générale des aborigènes. Ce qui le conduit à s’interroger: «On ne peut pas comprendre comment ils ont pu élever les murailles de leur temple du Soleil… ces édifices qu’ils nommaient Tambos… ce magnifique chemin qui conduisait du Cuzco à Quito… ces sépulcres d’une grandeur étonnante comme dans ce lieu de Cochasquí, au nord de Quito…».
 
Bouguer, qui a consacré plusieurs pages aux Indiens «d’en bas dans leur forêts » et les autres «d’en haut dans la Cordillère» ; qui nous a donné d’abondantes descriptions de la société espagnole: «chapétons » et «créoles», finalement nous présente une troisième classe sociale, pourtant de plus en plus importante. Il écrit: «De leur mélange (des indiens) avec les Espagnols il résulte une troisième espèce, celle des Métis qui forment maintenant la plus grande parti des habitants, et qui savent ordinairement les deux langues, l’Espagnol et l’ancienne du pays, celle des Incas. Ces Métisses, dont la naissance et presque toujours illégitime, ne sont pas plus Espagnols qu’ils son Indiens; ils jouissent néanmoins de tous les privilèges des premiers, ils sont à divers égards réputés hommes blancs; et ils ne manquent pas de talents naturels. Ce sont eux qui exercent dans les villes tous les arts dont le public a besoin…».
 
«Ni Indiens, ni Espagnols»; mais ce mélange inévitable de deux races originaires et qui ont contribué à former ce que les anthropologues et sociologues ont appelé les «Américo-Indiens». Certes, pour des raisons historiques et politiques, qu’il serait trop long d’expliquer ici, une de ses classes s’est imposée plus puissamment par sa langue, sa culture, sa religion, et les peuples hispano-américains parlent l’espagnol et ont assimilé la culture occidentale gréco-latine et chrétienne. Mais, de plus en plus dans notre siècle on s’intéresse aux racines précolombiennes et aborigènes. Et d’ailleurs, les hauts représentants de notre histoire, de notre culture ont été fiers de nous rappeler cette double ascendance:
 
«Je ne veux pas choisir entre Teotihuacán et la cathédrale», confessait le grand poète mexicain, Octavio Paz, Prix NOBEL, décédé il y à quelques jours (le 19 avril); tandis qu’un autre poète romantique se proclamait «Una mitad yo soy Inca la otra mitad Virrey» (José Santos Chocano) «Une moitié comme Inca et l’autre comme Vice-roi ».
 
Évidemment on a fait remarquer aussi que Bouguer s’est peu intéressé à l’architecture, aux arts en général… de la ville de Quito, par exemple, où il a séjourné assez long temps. A ces critiques on pourrait rappeler, et Bouguer lui-même l’a fait, quand il écrivit: «Les limites dans lesquelles je suis obligé de me renfermer ne me permettent pas d’entrer dans un plus grand détail. Je renvoie à un autre temps les remarques que j’ai faites… Mais je dois me souvenir que cette Relation n’est qu’une simple ébauche et qu’il ne s’agissait principalement ici que de donner une idée exacte, quoique tracée avec un crayon très grossier, du pays dans lequel nos opérations ont été faites ».
 
Pierre Bouguer n’était pas un historien et son propos n’était pas d’écrire une histoire. Mais, les pages qu’il nous a laissées, quoique succinctes, sont riches et montrent combien il a été touché par la nature, par les habitants du pays dans lequel il devait entreprendre des travaux, oh! combien différents et importants. La lecture de ses pages, quand on les compare à celles de voyageurs du 19è siècle -je pense à votre compatriote le vicomte René de Kerret, qui, en 1853, visita l’Equateur en compagnie de son cousin le compte de Kersaint et remplit une mission diplomatique à Quito, le 10 juin 1853; je pense au capitaine Gabriel Lafond de Lurcy, dont la mère, Jacquette Mayet, était originaire de Paimboeuf, et aux pages admirables qu’il nous a laissées après un long séjour en Equateur, entre 1821 et 1828; ou mieux encore, aux rapports envoyés au Quai d’Orsay en 1834, par Claude Buchet de Martigny, que j’ai appelé «le précurseur des relations diplomatiques franco-équatoriens», dans mon discours de réception à l’Académie Nationale d’Histoire, le 22 janvier dernier- et bien après une lecture attentive des pages de Bouguer qui m’ont servi pour cette présentation, dans son livre La Figure de la Terre (Paris, MDCCXLIX), je suis en état d’affirmer que Pierre Bouguer par ses pages sur les hommes et la nature de l’Audience Royale de Quito, dont je vous ai donné un aperçu, peut être considéré comme un précurseur de ses explorateurs, voyageurs, diplomates qui, au cours du 19è siècle, ont révélé à la France, à l’Europe, la République de l’Équateur.
 
Au terme de cette causerie, je voudrais vous présenter un projet ou mieux faire une suggestion. J’ai mentionné le nom de mon compatriote Pedro Vicente Maldonado qui fut un grand ami et protecteur généreux des Académiciens pendant leur séjour en Equateur. Il fut le compagnon de La Condamine à son retour en France. A Paris, La Condamine présente Maldonado à l’Académie des Sciences dont il fut nommé Membre Correspondant. Maldonado était né dans la ville de Riobamba, ainsi qu’Isabel de Casamayor qui, en 1741, épousa Jean-Baptiste Godin des Odonais, cousin de Louis Godin, le chef de la Mission. Vous connaissez certainement l’extraordinaire aventure d’Isabel qui, pour rejoindre son mari à Cayenne, après vingt-un-ans de séparation, traversa seule l’immense forêt amazonienne. Cet aventure émut les courtisanes de la cour de Versailles, fut le sujet de conversations dans les salons parisiens et a inspiré plusieurs écrivains… Godin des Odonais et son épouse rentrèrent en France et s’installèrent à Saint-Amand Montrond, dans le Berry, ville d’origine des Godins des Odonais, et ils y décédèrent en 1792. En 1984, la ville de Riobamba et Saint-Amand se jumelèrent; dans cette dernière se créa un «Centre Culturel Isabel Godin», et depuis une grande activité culturelle, sociale, touristique, fonctionnaire entre les deux villes; des échanges entre la France et l’Equateur se sont organisés et des jeunes de deux pays maintiennent des relations amicales (11).
 
Je me demande si à l’occasion de ce troisième centenaire de Pierre Bouguer il ne serait pas possible d’envisager le jumelage du Croisic avec une ville équatorienne. Laquelle? Et bien, je pense à Manta, deuxième ou troisième port de l’Equateur sur le Pacifique. C’est à Manta que le 9 mars 1736, les académiciens abordèrent pour la première fois; ils y débarquèrent Bouguer et La Condamine restèrent à Manta et dans cette ville commencèrent leurs observations et études du pays. Ils déterminèrent le point de la côte coupée par la ligne équinoxiale, sur le point appelé Palmar; sur un rocher ils inscrivirent la date et la mention de leurs observations.
 
Ce jumelage du Croisic et de Manta pourrait contribuer à développer les échanges entre votre ville et l’Equateur. Au Croisic comme à Manta on pourrait organiser un Centre Culturel comme celui de Saint-Amand. Le modus operandi serait très simple. Il suffirait que Monsieur le Maire, les Notables de cette ville, adressent une communication à Monsieur Galo Galarza, Ministre Chargé des Affaires Culturels de l’Ambassade de l’Équateur à Paris pour faire état de leur décision. Monsieur le Ministre informerait les Autorités de Quito, le Maire de Manta et le projet pourrait devenir une réalité. Un projet de voyage en Équateur étant prévu en 1999, pourquoi ne pas envisager une visite à Manta et peut-être le jumelage officiel des deux villes.
 
C’est un projet que je soumets à votre considération et auquel je suis disposé à collaborer de toutes mes forces.
 
Mesdames, Messieurs :
 
Nous sommes à la fin de ce siècle. «Ce siècle de fer et de feu qui s’éloigne», comme l’a écrit Henri Amouroux. Nous assistons à cette révolution de fin de siècle qui transforme tout: culture, mœurs, vie quotidienne, idéologies politiques; une révolution entraînée par l’irrépressible tourbillon scientifique et technique… L’histoire sereine étend son regard avec toujours la préoccupation de l’essentiel, c’est-à-dire, la durée de la culture, de l’art, l’évolution des mœurs et des religions, sur les activités journalières, les relations internationales. Et l’historien, «mémorialiste du siècle», porte-voix de l’humanité, continu à proclamer, après Charles de Gaulle, que :

« la seule querelle qui vaille est celle de l’homme».

 
Que la célébration de ce troisième centenaire de la naissance de Pierre Bouguer, évoquant l’extraordinaire aventure de la Mission Française du 18è siècle, soit l’occasion de resserrer ces liens tissés entre la France et l’Equateur. C’est pour nous un devoir de mémoire et nous y serons fidèles en incitant nos jeunes générations à mieux se connaître, à ne pas oublier notre passé commun. En se rappelant, comme l’a écrit Raymond Aron, que: « la découverte ou redécouverte du passé exprime un dialogue qui continuera comme l’humanité et qui définit l’essence même de l’Histoire».
 
Nous avons intérêt, vous Français et nous Equatoriens, à ne pas oublier les liens qui ont uni depuis des siècles la France à l’Amérique Latine, à l’Equateur tout particulièrement. Que la collaboration de la France, afin que sa technique moderne dompte notre nature, soit bienvenue… Mieux encore, «Nous avons besoin d’écouter la voix de la latinité -disait en recevant la Légion d’Honneur, notre Président José María Velasco Ibarra- et la France est et sera toujours la grande inspiratrice de la race latine».
 
Paris, Avril 1998.
 
*“Les hommes et la nature de l’Équateur vus par Pierre Bouguer” – Comunicación en el Coloquio organizado por el tercer centenario del nacimiento (1698-1998) INSTITUTO CULTURAL DE BRETAÑA. Le Croisic, 9 de mayo de 1998, in “France-Ecuador”, Allianza Française N° 3 (science et culture); Laser Editores, Quito-Équateur, 2000.
 
NOTES:
 
(1) Évocation du Professeur Charles Minguet (1925-1998), fondateur –Premier Président du CEE. « Alexandre Humboldt : Historien et Géographe de l’Amérique Espagnole (1799-1804) ».
 
(2) Parmi nos grands historiens: Joseph-Marie Le Gouhir y Raud (Rodas) 1871-1940. Né le 9 mai 1871, à Ploemeur (Lorient-Morbihan). A los 16 años, Sussex (Inglaterra), el 7 de agosto 1889, en España (será Jesuita), en febrero 1890, el Ecuador su Segunda Patria “era un gran profesor” –Riobamba, Quito (Colegio San Gabriel) HISTOIRA DE LA REPUBLICA DEL ECUADOR.
 
(3) «… embellissement, si l’on peut se servir de ce terme, des galeries et des balcons » (p.X).
 
(4) Bouguer cite Pedro Cieza de León, Garcilaso de la Vega, Bartomé de Las Casas, des Missionnaires…
 
(5) La Condamine rencontre alors le «Gobernador» de Esmeraldas: Don Pedro Vicente Maldonado, le géographe de Riobamba.
 
(6) Bouguer écrit: «…l’agriculture malgré la belle apparence des campagnes est comme toutes les autres arts extrêmement négligée dans l’Amérique Espagnole et on y renonce sans le savoir à divers avantages dont il ne couterait rien de profiter » (p.63).
 
(7) Pour Bouguer: « … la largeur suffisante de la vallée et son exposition à l’égard du soleil devraient y rendre la chaleur insupportable, mais d’un autre côté la grande élévation du terrain et le voisinage de la neige doivent tempérer le chaud; les deux contraires, si on peut le dire, sont mariés ensemble et, cette alliance ne doit pas moins produire un automne qu’un printemps continuel» (p.33).
 
(8) En réalité il y a trois universités: San Gregorio des Jésuites, Santo Tomás des Dominicains et San Fulgencio des Agustins.
 
(9) Bouguer donne la réponse à ceux qui parlent du « chaud » ou du « froid » de Quito, de l’Equateur :
 
«…La sphère y étant sensiblement droite, les jours y sont toujours à peu près égaux aux nuits ; c’est un perpétuel équinoxe, et le degré de température dans le même endroit y est aussi à peu près le même pendant toute l’année; ce sont seulement les pluies qui y distinguent les saisons; il y pleut depuis le mois de Novembre jusqu’au mois de mai, à peu près comme en bas dans les forêts… J’ajouterais à ce que j’en ai déjà dit qu’on y a souvent le plaisir de voir les arbres chargés à la fois de fleurs, de boutons et de fruits…» (p.67).
 
(10) Dans les pages que Bouguer consacre à la nature, j’ai trouvé: 36 noms de plantes et fruits, 32 d’animaux, 37 sites, villages, villes, noms géographiques… Parmi ces énumérations de montagnes, plantes, fruits, oiseux… comment ne pas être captivé par cette perle qu’on dirait de Jammes, de Supervielle -poètes de la nature, du réel- quand Bouguer donne cette description d’un fruit typiquement équatorien: la chirimoya (le corossol ou l’anone). Ecoutons-le: « … Ce fruit que je ne puis comparer à aucun des nôtres et que je serais tenté de mettre au-dessus, se nomme chirimoya. Il est souvent plus gros que nos plus grosses pommes. L’écorce n’est guère plus forte que celle de nos figues, quoiqu’elle soit un peu plus épaisse, et elle a une couleur un peu foncée. Mais elle est comme sculptée, elle est comme couverte d’écailles légèrement formées, ou qui n’auraient été que tracées par le ciseau. La pulpe en est blanche et par fibres, mais d’une délicatesse infinie… » (p.63).
 
Perle littéraire que je mettrais volontiers près d’un poème de notre plus grand poète de ce siècle, Jorge Carrera Andrade, quand il écrit dans Lieu d’origine : « Yo vengo de la tierra donde la chirimoya talega de brocado, con su envoltura impide, que gotee el dulzor de su nieve redonda ». (Je proviens de la terre où la chirimoya, sac de brocart, par son enveloppe empêche que s’égoutte le miel de sa neige sphérique).
 
(11) Voici le dernier numéro (N°12) du BULLETIN DE LIAISON RIOBAMBA-ST. AMAND (Février 1998). 30 pages en français et espagnol.
 
ANNEXE N°3: POESIA FRANCESA CONTEMPORANEA
 
LE COURRIER IBÉRO-AMÉRICAIN
 
12e ANNÉE – N°11 1er trimestre 1952
 
TRIMESTRIEL
 
ORGANE DU COMITÉ FRANCE-ESPAGNE et Bulletin des activités spirituelles, intellectuelles et culturelles, publié par le
 
CENTRE D’ETUDES IBÉRO-AMÉRICAINES DE L’INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
 
Directeur : Pierre JOBIT. Rédacteur en Chef : Charles PICHON
 
11
 
Carrera Andrade et les Lettres Françaises
 
Sous le titre de Poésie Française Contemporaine, le poète équatorien Jorge Carrera Andrade vient de publier son dernier ouvrage.
 
L’œuvre poétique de Carrera Andrade est assurément l’une des plus importantes, non seulement de la poésie hispano-américaine, mais encore des lettres espagnoles contemporaines. Les critiques se plaisent à reconnaître dans ses poèmes, dont les traductions ont paru en France, en Belgique, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Allemagne, la saveur de sa terre natale, et de l’Amérique latine tout entière.
 
La caractéristique essentielle du poète est sans doute l’influence des Lettres françaises sur toute son œuvre. Dès son enfance, à côté des classiques espagnols, Verlaine et les Symbolistes furent ses lectures préférées. «Un enfant, lisant les Symbolistes français parmi les eucalyptus de la Cordillère des Andes, doit nécessairement ressentir douceur, finesse, transparence…», écrit le poète lui-même. Et il continue: «Puis André Gide, Rodenbach et Francis Jammes complétèrent mon apprentissage d’humilité poétique… » Beau sujet pour les Lettres équatoriennes, que l’étude de la vision gidienne et la simplicité de Jammes dans la poétique de Carrera Andrade.
 
Et…un jour après avoir publié quelques œuvres de jeunesse, il s’embarque pour l’Europe; arrive en France; s’arrête à Paris, rendez-vous des poètes et des artistes de tous les pays. Dès lors Paris fut pour le journaliste et le poète, pour le diplomate et le représentant de sa Patrie à de nombreuses Conférences internationales, le centre de ses activités et de son œuvre littéraire. Là, peut-être, comprit-il définitivement sa vocation: «Dès ce moment parmi les hommes européens, vivant comme le plus dépossédé d’entre eux, je compris que j’avais en plus deux fardeaux à porter sur mes épaules: le fardeau poétique et le fardeau de la mélancolie indigène américaine. Ce poids se fit de plus en plus lourd dans la solitude des villes».
 
Après Ruben Darío, il serait très difficile de trouver dans la poésie d’Amérique latine contemporaine un cas de si grande fidélité, de tant de dévotion à cette culture et à cet art, autant d’adhésion à la France, tout en conservant une personnalité si bien définie, si distincte, que celui de Carrera Andrade. Il connaît les Lettres françaises comme celles de sa Patrie et de l’Amérique latine. Il a lu et relu les poètes français; il a fréquenté bon nombre d’entre eux et bien que poète d’imagination et d’inspiration surprenantes, il les a tant aimés que «pour son propre régal» il s’est mis à les traduire en espagnol, prenant patiemment, pour ce travail, des mois et des années de son propre labeur poétique.
 
« De la culture française, écrit-il dans l’introduction de son œuvre, la poésie est la fleur la plus précieuse, l’expression la plus délicate et originale ». Poète lui –même, il sait parfaitement que la poésie française, comme celle de n’importe quel pays, « n’est pas seulement un ensemble de formes et de musiques, mais aussi et surtout une direction de l’esprit humain, un chemin de liberté, par où l’homme va à la découverte des secrets essentiels, des énigmes éternelles ».
 
C’est deux cent vingt-huit poèmes, de cinquante-cinq poètes, que nous présente la traduction de Carrera Andrade. Ces chiffres peuvent déjà donner une idée de l’immense travail enfermé dans ce précieux volume de 582 pages, artistiquement imprimé par la «Casa de la Cultura Ecuatoriana», à Quito.
 
Mais, il y a plus que ces chiffres. L’auteur ne présente pas seulement au lecteur de langue espagnole l’essentiel de cinquante années de poésie française, puisque les auteurs traduits commencent avec Saint-Paul-Roux (dont le premier livre est de 1893) jusqu’à Aimé Césaire. Le livre de Carrera Andrade nous donne aussi une vue de toute une génération, du Symbolisme à nos jours, et nous met en contact, non seulement avec des noms immortels comme ceux de Valéry, Gide, Claudel, Max Jacob, Milosz, Apollinaire, mais aussi avec d’autres peu connus et parfois injustement oubliés.
 
Le problème de la traduction a été extrêmement délicat et épineux. Traduire est, en un certain sens, faire mourir pour rendre à la vie. Et que dire de la grave responsabilité du traducteur? pour entreprendre une tâche de cette classe, surtout dans les conditions de Carrera Andrade: cinquante-cinq auteurs de tendances variées, d’écoles diverses, d’époques différentes et, par cela même, de difficultés multiples, il fallait, non seulement le talent d’un poète de qualité de Carrera Andrade, mais encore une profonde connaissance des deux langues, de l’histoire littéraire et même de la psychologie des poètes traduits. De cette façon, il a pu respecter dans ses traductions la fidélité du poème original, la forme et le vocabulaire le plus varié et le plus personnel, ainsi que le «style intransmissible» de chaque auteur, les influences d’école, et même l’exacte expression de l’image dans l’esprit de la création poétique.
 
La critique française a d’ailleurs hautement apprécie ces traductions. Dans la revue Hommes et Mondes, Francis de Miomandre remarque: «Il serait à souhaiter que certaines anthologies qui ont paru en France même, et dans notre langue, fussent aussi complètes et, dirais-je, aussi honnêtes, aussi dénuées de parti pris extra-littéraire…».
 
L’œuvre de Carrera Andrade suffira pour confirmer au monde hispano-américain que l’avenir est assuré d’une littérature qui sait rester ouverte et libre, féconde de toute la sève accumulée en elle par des siècles d’art. et cela sera sans doute un des plus grands mérites du poète équatorien : son œuvre aura la valeur d’un témoignage, il sera un acte de foi dans la pensée, dans la sensibilité esthétique d’un « peuple bon et loyal, d’un des plus riches et merveilleux pays de notre planète, où la nature et l’art s’unissent harmonieusement pour produire les manifestations les plus variées de la beauté».
 
L’œuvre de Carrera Andrade, après avoir prouvé à l’étranger la vitalité et la richesse de la poésie française, sera une nouvelle confirmation de l’influence que les Lettres françaises ont toujours en Amérique Latine. A la vérité nous ne sommes plus à l’époque où la France avait le monopole de la direction esthétique et culturelle. Deux guerres ont passé. La France a connu des années graves et difficiles. Mais l’influence que la pensée française continue d’exercer en Amérique Latine est indéniable. Il suffit pour cela de parcourir un peu les Revues, les Journaux, qui nous arrivent de l’autre côté de l’Atlantique; et de s’informer des livres qui se publient; de parler avec ses intellectuels: la philosophie, le théâtre, la poésie des rives de France sont encore imités, commentés de toute part.
 
Vue sous cet angle, l’œuvre de Carrera Andrade servira à prouver une fois de plus que les Lettres françaises continuent d’inspirer, d’informer une grande partie des Lettres hispano-américaines.
 
Avec Poesía Francesa Contemporanea, où cinquante poètes français renaissent en espagnol, le vin exquis de France se déverse dans de précieuses coupes de Castille, et l’esprit français se communique à nous à travers la langue de Cervantès.
 
L’auteur d’un tel livre a bien mérité de la France et de l’Amérique Latine.
 
Professeur A. DARIO LARA
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