Le complexe archéologique de Pikillacta se situe au nord du bassin hydrographique du fleuve Lucre (sud de la vallée de Cusco), sur le versant du mont Huchuy (à 3 250 m.s.n.m.). Pikillacta se distingue des autres sites archéologiques de la Vallée sacrée de Cusco du fait de son appartenance à la culture wari. Ainsi, avant de présenter le site de Pikillacta en tant que tel, mention sera faite des principales caractéristiques de cette culture.
L’Empire wari, le premier à être considéré en tant que tel dans les Andes, fleurit entre 560 et 1 000 de notre ère (période connue sous le nom d'»Horizon Moyen»). Le chroniqueur Cieza de León mentionne son existence en 1534, mais cette-dernière tomba vite dans l’oubli avant d’être redécouverte en 1931 par l’archéologue péruvien Tello, raison pour laquelle les recherches archéologiques sur le sujet sont plutôt récentes (années 50).
La zone archéologique wari se trouve principalement dans la province de Huanta (département de Ayacucho), mais les recherches archéologiques ont établi que son influence s’étendit du pays mochica au nord, jusqu’en territoire nasca au sud, c’est-à-dire, aussi bien dans la Sierra que dans le littoral de l’actuel république du Pérou.
Chronologiquement parlant, quatre étapes sont prises en compte dans l’évolution culturelle de wari: la première époque se caractérisa par l’apparition de la ville de Ayacucho (à 25 km de la ville actuelle du même nom) en tant que centre politique et cérémoniel, sous l’influence de la région Tiahuanaco. Lors de sa deuxième phase, wari connaît un mouvement expansionniste. C’est l’époque de la construction de Pikillacta. Par la suite, l’empire entre en période de crise, ce qui marque une pause dans ce mouvement conquérant, ainsi que d’importants processus de déplacements démographiques, auxquels Pikillacta sembla échapper. Enfin, au cours de ses dernières années, wari connaît une extension territoriale maximale. Cependant, sa capitale ne tarda pas à collapser, comme nous le verrons par la suite.
La nature et l’échelle on ne peut plus impressionnantes du mouvement expansionniste wari ont fait l’objet de grands débats. Ainsi, la culture wari est considérée comme la première dans les Andes Centrales précolombiennes à avoir implanté un patron de développement de centres urbains à partir de centres cérémoniels. Sa dynamique expansionniste s’inscrirait donc dans le contexte de conflits d’ordre politique entre les diverses cités. Pourtant, les centres principaux de cet empire (Ayacucho, Cajamarquilla, Pikillacta) auraient réussi à imposer leur hégémonie sur ce vaste territoire, grâce à leur déconcertante organisation administrative et à une série d’innovations technologiques.
L’on observe ainsi que wari introduit dans ces régions le concept de villes fortifiées, une nouveauté.
Ses centres urbains géométriques, véritables noyaux centralisés de pouvoir administratif et économique, étaient principalement constitués de structures rectangulaires avec des cours intérieures et des places. D’autre part, cette structuration urbaine a révélé l’existence de quartiers occupés par l’élite, mais aussi de secteurs probablement habités par la main d’oeuvre servile. De fait, l’expansion wari signifia un changement radical dans les patrons d’établissement des peuples conquis. Ainsi, les waris déplacèrent des populations occupant traditionnellement les hautes terres, vers les basses terres. Ils implantèrent le mode de concentration démographique en noyaux résidentiels (à la place du patron d’établissement de dispersion spatiale qui dominait auparavant), et diffusèrent le développement de l’agriculture en terrasses, de canaux d’irrigation, ainsi que de variétés nouvelles de maïs et de réseaux de voirie.
Il est communément admis que cette domination politique et technologique de la culture wari fut accompagnée d’une forte idéologie religieuse. En effet, les débuts de l’empire wari furent marqués par une forte sécheresse, raison pour laquelle la mise en place de nouvelles techniques d’irrigation fut associée au culte d’un dieu Tiahuanaco relié à la fertilité. C’est peut-être pour cela que l’on attribue à wari l’expansion de noyaux urbains à partir de centres cérémoniels. Ce qui est certain, c’est que le succès économique atteint par cette dynamique politico-religieuse garantit par la suite une base solide au mouvement expansionniste wari.
Revenons désormais sur Pikillacta, complexe archéologique fortifié habitée entre 600 y 900 de l’ère chrétienne, considéré comme le site wari le plus grand et le mieux conservé du sud du Pérou (une capitale provinciale en quelque sorte). Le site occupe une surface de 1 km² environ. La hauteur de ses murs -qui oscille entre 7 et 12 mètres- impressionne d’emblée. Quelques-unes des structures comptèrent même plusieurs étages, dont les traces sont encore visibles aujourd’hui. Leurs murs furent fabriqués à partir de blocs en pierre non-travaillée extraite des monts environnants, soudés au moyen de boue, et originellement revêtus d’une couche d’argile et de chaux.
La cité en tant que telle fut construite à partir d’un patron géométrique rigide. Elle est entourée d’une muraille et comprend 704 structures rectangulaires, dont quelques-unes sont associées à des résidences de l’élite, d’autres, à des dépôts (greniers) ou encore, à des sortes de petits centres de culte religieux/funéraire. Ces structures sont à leur tour regroupées en «quartiers», chacun d’entre eux entouré par son propre mur fortifié, et séparés par des voies de circulation, en guise de défense (wari est, rappelons-le, une société à la nature militariste nettement marquée).
Il n’est pas à exclure que ce regroupement corresponde à une division entre divers quartiers d’artisans spécialisés. En effet, Pikillacta semble avoir été un centre commercial de premier plan, du fait de son emplacement sur l’un des axes stratégiques du réseau de voirie wari, ainsi que de la présence d’une vaste place à l’entrée du site, à laquelle on attribua la fonction de «tianguez» ou lieu d’échanges commerciaux (une possible fonction rituelle de cette place n’est pas non plus écartée).
D’autre part, de l’autre côté de la route qui longe aujourd’hui le site, l’on observe la présence d’un impressionnant aqueduc lui étant associé. Ce-dernier comprend plusieurs étages en pierre, dont l’accès est assuré par des marches, et qui étaient autrefois reliés entre eux par des canaux de circulation hydriques en provenance des monts environnants, et orientés vers la cité. De fait, tout un réseau sous-terrain d’irrigation fut découvert à Pikillacta. Cet aqueduc fut par la suite réutilisé par les Incas. La légende raconte que sa construction est le fruit d’une compétition entre les dieux…
De nombreux mystères subsistent encore autour de la fascinante culture wari, et de Pikillacta plus particulièrement. Les raisons de son abandon, par exemple: ce-dernier semble avoir été soudain, quoiqu’organisé. Ainsi, l’entrée de plusieurs structures a été intentionnellement scellée, et, chose curieuse, très peu de matériel archéologique a été repéré en surface, ce qui suggère que les habitants du site l’ont intentionnellement «vidé» avant de l’abandonner. Pourquoi? Diverses théories ont été proposées à ce sujet, mais aucune d’entre elle n’offre d’explication totalement satisfaisante. La première par exemple -peu «académique» certes-, se fonde sur l’origine du mot «Pikillacta», du quechua «Piki» (puce), et «llakta» (village). «Village de puces», en raison d’un fléau de ces insectes qui aurait obligé les habitants à quitter les lieux. D’autres versions proposent plutôt que dû à sa vocation commerciale, Pikillacta aurait compté de nombreuses puces. Une dernière hypothèse suggère enfin que l’abandon et la réoccupation de sites faisait partie des stratégies politiques wari, bien que les raisons de cette éventuelle stratégie demeurent pour le moins obscures.
Ceci n’est qu’un exemple des nombreuses énigmes posées par la culture wari aux archéologues d’aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que la configuration de cet empire annonce déjà le surgissement de l’expression étatique majeure connue dans les Andes précolombiennes: l’empire Inca. Ainsi, une plus ample connaissance de la culture wari éclairera sans aucun doute les racines de l’État inca, dont la domination politique eut des répercussions encore palpables aujourd’hui.
*Traduction de l’original en espagnol (Équateur) présenté dans “7355 km en bus… Arqueología de los Andes Centrales”, Laboratorio de Arqueología de la PUCE, Quito, 9 octobre 2007.
SOURCES:
Lumbreras, Luis. Arqueología de la América Andina, éditorial Milla Batres. Lima, 1981.
Mc Ewan, Gordon F. “Archaeological Investigations at Pikillakta, a Wari Site in Peru”, in Journal of Field Archaeology, vol. 23, n.2, summer 1996, pp. 169-186.