Par Catherine Lara*

La portée commerciale et technologique actuelle du premier port du pays surpasse sans doute de loin les techniques de navigation préi-incaïques du littoral équatorien. Cependant, la Banque Centrale de l’Équateur a décidé de rendre un hommage aux premiers «navigateurs nationaux», à travers l’exposition «Peuples Navigateurs du Littoral équatorien», présentée dans le tout récemment inauguré Musée Anthropologique et d’Art Contemporain de Guayaquil. De fait, la technologie «navale» de nos ancêtres dévoile une fascinante richesse culturelle, tel qu’on le verra ci-dessous avec ce bref parcours de l’exposition.

L’itinéraire de la visite s’organise autour des objets les plus représentatifs de la navigation préhispanique du littoral équatorien. Il débute par la célèbre description d’une balsa, réalisée par Bartolomé Ruiz suite à son arrivée à Salango. La balsa représente en effet le principal moyen de navigation de l’époque pré-incaïque en Équateur. Cette fragile embarcation aurait même été à l’origine d’activités commerciales avec diverses populations d’Amérique Centrale, le Mexique en particulier.

Un autre des éléments significatifs de l’exploration sous-marine pratiquée par les cultures préhispaniques du littoral est ensuite présenté. Il s’agit d’un «poids de plongée», une imposante et volumineuse pierre circulaire de 30 cm de diamètre environ, dont la forme était adaptée afin de pouvoir être saisie par le plongeur. On l’imagine: atteindre les profondeurs de l’océan au moyen de cet impressionnant objet a dû signifier un risque élevé pour les plongeurs précolombiens à la recherche de Spondyle.

La cueillette de bivalves signifie sans doute peu de chose pour l’observateur actuel, mais dans la cosmovision andine (voire mésoaméricaine), le coquillage Spondyle était le symbole par excellence de la fertilité. Il semblerait que sa relation avec l’élément aquatique pourrait être liée à un culte à la pluie, en particulier pendant les périodes du phénomène de El Niño. D’après le texte de l’exposition, le coquillage Spondyle s’est fait connaître sous le nom de mullu. En fait, si l’on en croit les études de David Blower autour du concept de mullu (2001), la notion de fertilité incluait un ensemble complexe d’éléments symboliques divers.

Par conséquent, le coquillage Spondyle serait parvenu à intégrer les réseaux commerciaux de la zone, aux côtés d’autres produits. Raison pour laquelle -affirment les auteurs de l’exposition-, les peuples navigateurs pré-incaïques de l’Équateur réussirent à configurer un «capital marchand accumulé», à l’origine de la complexité sociale croissante des sociétés en question, ainsi qu’une spécialisation marquée du travail à l’échelle sociale. En guise d’exemple, il est ainsi signalé que les costumes des élites et des shamans visibles sur les représentations céramiques ont acquis des finitions de plus en plus perfectionnées au cours du temps, révélant ainsi un statut social croissant.

Si l’on tient en compte que les coutumes commerciales pré-incaïques du littoral équatorien sont encore mal connues, et que les vestiges vont plutôt dans le sens de la pratique du troc et de la redistribution, l’on comprend mal ce que l’expression de «capital marchand accumulé» peut vouloir dire dans ce contexte: d’un point de vue strictement économique, celle-ci est sans doute peu adéquate. De fait, l’hypothèse qui explique le surgissement des formes de complexité sociale par l’activité mercantile est encore fort controversée. Dans certaines cultures, ce scénario impliquerait laisser de côté des facteurs d’ordre religieux ou politique.

Malheureusement, les explications qui accompagnent l’exposition sont peu explicites à ce sujet. Ce qui est certain, c’est que, à l’issu du parcours muséographique, le visiteur pourrait avoir l’impression que la classe marchande moderne du littoral s’est formée à partir des pratiques commerciales pré-inca. Si ces mêmes élites étaient celles qui exploraient les profondeurs maritimes au moyen des poids de plongée, ça, l’exposition ne le dit pas…

Malgré une présentation visuelle agréable et l’emploi d’outils virtuels, «Peuples Navigateurs du Littoral équatorien» manque considérablement d’explications et de légendes à caractère didactique dans certaines vitrines, en particulier en ce qui concerne l’origine de certaines représentations céramiques. Beaucoup d’objets paraissent devoir leur présence à la simple idée d’ «accroissement de la complexité sociale à travers la marchandisation», alors que le titre de l’exposition suggère plutôt une présentation plus ample et riche des «peuples navigateurs de l’Équateur»: leur origine, leur développement, leur contact avec d’autres populations, leurs coutumes, leur diversité. Face à un titre plutôt prometteur, l’exposition en tant que telle est relativement limitée du point du vue du matériel présenté. S’il s’agit là d’un effort de synthèse ou de vulgarisation du contenu, ce-dernier mutile néanmoins la portée culturelle annoncée par le thème de l’exposition, décevant ainsi les attentes du public. En comparaison avec la brillante «Amérique exotique» exposée dans la salle contigüe, «Peuples Navigateur du Littoral équatorien» fait grise mine.

L’on conclura cette brève chronique en soulignant que, malgré les quelques faiblesses dans sa conceptualisation, «Peuples Navigateurs du Littoral équatorien» fait toutefois connaître un nouvel aspect de la recherche archéologique en Équateur, et a le mérite de susciter chez le visiteur curieux l’intérêt de chercher plus d’informations sur le sujet.

*Traduction de l’auteur de l’original en espagnol paru dans Apachita N.6, Laboratorio de Arqueología,/PUCE, Ernesto Salazar Éditeur, pp. 5-6. Quito, avril 2006

footer#footer { background: #11283a; }