Par M. Claude Lara
La remise en cause du Droit classique de la mer
«Ce que nous voulons c’est que se crée un nouveau droit international, approprié aux conditions actuelles de l’économie, aux conceptions sociales et à la vie juridique internationale, qui fasse du bien-être humain l’objet primordial du droit» (1). Les Etats appartenant au Système tripartite du Pacifique-Sud vont participer aux Conférences de Genève en 1958 et 1960 conformément à la Résolution 1105 (XI) de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui précise que le rôle de la Conférence est d’étudier tous les aspects du problème et d’ériger un nouveau droit.
Les Etats du Système tripartite vont participer aux Conférences de Genève, estimant que face à des situations nouvelles, il fallait adapter une législation approprié. Ces Etats faisaient partie du groupe régional latino-américain et grâce aux réunions officielles interaméricaines de nouveaux principes avaient été revendiqués s’inspirant de la Déclaration de Santiago. Leur adhésion aux Principes de Mexico devait unir ces pays tout au long des Conférences et par cette cohésion influencer l’élaboration du nouveau Droit de la Mer. En effet, étant donné les réalités nouvelles pour les Etats riverains du Pacifique-Sud, le nouveau Droit de la Mer devait tenir compte des divergences étatiques à l’égard de la mer et donc remettre en question le principe de l’égalité des Etats et celui d’une liberté abstraite, celle des mers.
I. L’égalité formelle des Etats
L’égalité abstraite des Etats à l’égard de la mer correspondait à une réalité ancienne que les pays du Pacifique-Sud vont dénoncer en affirmant leur particularisme. Le délégué de l’Equateur, M. Correa, présente avec une grande concision ce particularisme (2). De cette dépendance à l’égard de la mer, l’Etat côtier invoque un «intérêt vital». Pour cette raison: «Les Etats riverains ont un intérêt vital à l’adoption de mesures légales, administratives et techniques pour la conservation et l’utilisation prudente des ressources naturelles existant dans les régions côtières… à leur propre profit et à celui du continent» (3). Cette dépendance est multiple, et tout d’abord géographico-géologique. Nous connaissons maintenant l’influence déterminante du courant de Humboldt, mais il faut ajouter à cette interaction du courant et du climat, ainsi qu’à celle de la mer et de la terre ferme, celle de la flore et de la faune marine (4).
Cette sujétion est aussi d’ordre socio-économique. Ces pays ont beaucoup investi dans les différentes activités de la mer, ils font remarquer qu’une industrie de pêche se développe, qu’elle emploie un nombre élevé de personnes dans leur pays (5). Aussi que le développement des ressources de la mer est un moyen peu coûteux de combattre la sous-alimentation, de pourvoir à la croissance démographique, de compenser une agriculture stérile et de pallier à une géographie désavantageuse surtout pour le Chili et le Pérou (6).
Les pays riverains du Pacifique-Sud ne pouvaient accepter cette égalité qui avantageait les Etats les plus riches et appauvrissait encore les plus pauvres en paralysant toute possibilité de développement. Ces Etats vont invoquer leur situation particulière pour remettre en cause le principe d’égalité des Etats. Cette revendication se base sur la conservation des ressources biologiques de la haute mer et contre l’exploitation abusive des ressources marines dont leur population dépend étroitement. Les pays du Pacifique-Sud, tout au long des Conférences de Genève, exprimeront constamment cette différence.
Lors de la séance plénière de la Conférence de Genève de 1958, les pays riverains du Pacifique-Sud vont publier une Déclaration commune qui remet en cause légalité fictive de tous les Etats en haute mer au bénéfice de l’intérêt spécial ou particulier de l’Etat côtier pour conserver et utiliser les ressources biologiques de la mer (7). Il est nécessaire de rappeler que cette notion d’intérêt spécial est reconnue depuis longtemps. En 1930, lors de la Conférence de la Haye, on avança la nécessité de la conservation des pêcheries pour réclamer l’octroi de pouvoirs spéciaux pour l’Etat côtier dans la zone contigüe. Cette idée, selon laquelle l’Etat riverain avait des droits spéciaux pour conserver et protéger les ressources de la mer, avait été reprise en 1945 dans les Proclamations Truman et particulièrement celle sur les pêcheries. Ces Proclamations ont eu une répercussion internationale que nous avons déjà exposé (8), notamment en Amérique latine, en déclenchant une série de déclarations unilatérales qui ont donné naissance à un principe de droit international coutumier américain. Par ailleurs, cette notion sera reconnue par la Conférence de Genève en ces termes: «Tout Etat riverain a un intérêt spécial au maintien de la productivité des ressources biologiques dans toute la partie de la haute mer adjacente à sa mer territoriale» (9).
Cette Déclaration des chefs des Délégations des trois pays traduit la cohésion et la volonté de faire reconnaître l’intérêt spécial de l’Etat côtier pour conserver et utiliser les richesses de la mer ainsi que pour protéger leur économie et garantir les moyens de subsistance de leur population. Ce principe faisait déjà partie d’une nouvelle pratique des Etats dont il fallait tenir compte: «Au cours des dernières années, la nécessité de protéger les intérêts des Etats riverains dans les eaux adjacentes a été de plus en plus souvent admises» (10). Le Chili, l’Equateur et le Pérou vont affirmer que la Déclaration de Santiago correspond aussi à ce nouveau droit international qui reconnaît l’intérêt spécial de l’Etat côtier sur la zone maritime contigüe à ses côtes. Et la revendication de cette souveraineté pour protéger et conserver les richesses de la mer, comme pour la Proclamation Truman, passe par l’attribution de la reconnaissance de droits spéciaux à l’Etat riverain. Pour des raisons politiques et d’opportunité, les trois pays vont interpréter la Déclaration sur la Zone Maritime comme la revendication d’une souveraineté limitée sur une zone de 200 milles (11). Cette interprétation liée à une conjoncture politique, les Conférences de Genève, va évidemment renforcer la position des partisans de la souveraineté limitée au sujet de la nature juridique de la Zone Maritime de 200 milles. Cependant, il nous semble que cette interprétation politique, circonstancielle ne modifie en rien celle que nous avons présentée lorsque nous avons exposé la controverse au sujet de cette Déclaration et nous pouvons avancer, dès maintenant, qu’il s’agit même d’une nouvelle conception de la mer territoriale (12). Mais à Genève, pouvait-on parler d’un nouveau statut juridique de la mer territoriale quand les Etats n’arrivaient pas à s’accorder sur la délimitation de la mer territoriale? Ainsi les trois pays vont défendre la Déclaration de Santiago comme une mesure vitale édictée selon des circonstances particulières en fonction d’un intérêt spécial: préserver et conserver leurs ressources naturelles aussi bien que leurs possibilités de développement. Ce principe, nous l’avons vu, a été entériné par de nombreuses réunions officielles interaméricaines comme la Dixième Conférence Interaméricaine qui s’est tenue à Caracas en 1954 et surtout dans les «Principes de Mexico sur le régime juridique de la mer» proclamée en 1956 par le Conseil Interaméricain de Jurisconsultes (13). Les Etats latino-américains dans leur grande majorité se sont dressés contre cette égalité fictive des Etats dans la haute mer. Ils demandaient surtout une égalité de fait: «La délégation du Pérou n’entend pas proposer un régime uniforme s’appliquant à tous les cas, qui serait sans lien avec la réalité. Elle se borne à affirmer que lorsqu’il existe une situation particulière, il faut prévoir un régime spécial» (14). Le représentant du Chili, M. Guarelo, a très bien résumé pour les pays du Pacifique-Sud, la signification de la notion d’intérêt spécial et le régime juridique qui l’accompagnait.
a) Il est nécessaire de conserver les ressources naturelles dans toutes les parties de la mer, le terme de ressources englobant non seulement les ressources biologiques mais également les ressources indispensables à l’existence des ressources biologiques.
b) L’Etat riverain a plus intérêt que tout autre à la conservation des ressources de la mer au large de ses côtes.
c) Il appartient à l’Etat riverain d’établir des règles satisfaisantes pour la conservation de ces ressources, et d’assurer l’observation de ces règles.
d) L’Etat riverain doit avoir le droit de tirer profit de ces ressources et la possibilité de déléguer ce droit à d’autres Etats, si tel est son désir.
e) Toutes les mesures prises en vue de conserver ces ressources doivent être scientifiquement et techniquement fondées.
f) Les Etats autres que l’Etat riverain doivent avoir le droit d’exploiter ces ressources à condition de respecter les règles de conservation établies par l’Etat riverain (15).
Mais, si l’article 6 de la Convention de Genève sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer constituait un progrès, les Etats du Pacifique-Sud ont été conscients de cette nouveauté ainsi introduite dans le droit de la mer traditionnelle par la référence à l’intérêt spécial. Cependant ils ont dénoncé la complexité du système précautionneux pour justifier de l’intérêt spécial qui rappelons le était basé sur l’urgence, le fondement scientifique des mesures et leur caractère non discriminatoire: «Le nombre et la nature des conditions auxquelles ce droit est soumis, ont pour conséquence pratique de la rendre illusoire (La réglementation du droit reconnu à l’Etat riverain)» (16). La suite des évènements montre que ces Etats ne se sont pas trompés au sujet de la faillite totale de ce système comme le constatait M. Carroz: «Depuis l’entrée en vigueur de la Convention, le Directeur général de la F.A.O. n’a reçu aucune notification de mesures de conservation prise sur cette base, ni n’a eu à donner son avis sur la constitution de la Commission spéciale chargée de trancher les désaccords en vertu de l’art. 9» . En fait, le Pérou dès 1957 dénonçait déjà la faillite du futur système: «Le paragraphe 1er de l’article 54 (il correspond à l’art. 6 de la Convention sur la pêche) consacre ce principe de façon claire et définitive; mais la réglementation du droit reconnu à l’Etat riverain, comme conséquence de son intérêt spécial, n’atteint pas véritablement son but…Exiger la preuve de l’urgence des mesures de conservation, exiger des négociations préalables avec d’autres Etats, c’est enlever toute valeur pratique au droit de l’Etat riverain d’adopter ces mesures de conservation. Si l’on considère le problème en fonction des réalités politiques actuelles au lieu de l’envisager de façon purement théorique, ces conditions empêcheront un petit Etat d’adopter les mesures de conservation nécessaires si elles risquent de porter atteinte aux intérêts commerciaux d’une grande puissance. Les dispositions proposées par la Commission n’ont à l’heure actuelle guère de valeur pratique pour les Etats riverains; elles semblent s’inspirer des intérêts des entreprises de pêche et reposer sur la notion, maintenant périmée, que les ressources de la mer sont inépuisables» (18).
Cependant, malgré ces critiques très sévères, la notion d’intérêt spécial avec ses limitations excessives constituait une brèche décisive dans le système ancien de l’égalité fictive et comme l’écrit Gilbert Apollis: «Ce principe constitue l’apport le plus novateur de la Conférence de Genève de 1958. Pour la première fois se trouve rompue, théoriquement, l’égalité d’intérêt fictive de tous les Etats en haute mer, au bénéfice de l’intérêt particulier de l’Etat côtier» (20). Ce n’est pas un hasard, si le texte du projet de la Commission de Droit International fut adopté massivement par la 3ème Commission à part le Chili et le Pérou et reçut en plénière l’appui des latino-américains conscients de cette «décision historique de la Conférence» (21). En effet, cette nouveauté introduite dans le Droit traditionnel de la mer ouvrait de larges possibilités aux pays côtiers, car les conséquences de la notion d’intérêt spécial permettront qu’elle se transforme en juridiction exclusive.
2. Le principe de la liberté abstraite des mers
La Convention de Genève énonçait cette liberté en ces termes: «La liberté de la haute mer s’exerce dans les conditions que déterminent le présent article et les autres règles du droit international; elle comporte notamment pour les Etats riverains ou non de la mer: 1) la liberté de navigation; 2) la liberté de la pêche; 3) la liberté d’y poser des câbles et des pipe-lines sous-marins; 4) la liberté de survoler. Ces libertés ainsi que les autres libertés reconnues par les principes généraux du droit international sont exercées par tous les Etats en tenant raisonnablement compte de l’intérêt que la liberté de la mer présente pour les autres Etats». Nihil novi in maribus. En effet, la Convention de Genève conservait la division verticale des océans, la liberté de la haute mer était totalement périmée au regard de la conservation et de l’exploitation des ressources maritimes. Elle n’était pas adaptée aux réalités présentes et affirmait d’une façon inconditionnée une liberté abstraite qui menaçait le littoral des pays riverains du Pacifique-Sud. Cet article témoignait d’une conception ancienne que M. Benites a résumé en ces termes: «Il ne faut pas oublier que le droit international classique se rapporte à la surface de la mer et qu’il est né du fait que les puissances coloniales avaient besoin de la liberté des mers pour exercer leur commerce sans obstacle» (22).
A ce principe absolu de la liberté de la haute mer, qui imposait aux Etats riverains qu’une marge frange de mer territoriale réduite entre 3 milles et 6 milles, les pays du Pacifique-Sud revendiquaient le droit pour l’Etat riverain de conserver ses ressources biologiques dans la haute mer dont ils dépendaient étroitement. Nous savons déjà que régionalement une grande majorité de pays latino-américains s’entendaient sur deux principes, l’extension de la mer territoriale et les nouveaux droits du côtier définis dans les «Principes de Mexico relatifs au régime juridique de la mer» (23). Les trois pays seront solidaires et appuieront ces principes tout au long de leurs interventions. D’ailleurs une proposition du Pérou au sujet de la délimitation de la mer territoriale le confirme (24). Cette revendication pour la conservation et l’exploitation des richesses maritimes nécessitait une extension de la mer territoriale et ces pays vont s’élever contre l’avis de la délégation du Royaume-Uni qui à ce sujet déclarait que: «la limite clairement établie en droit reste de trois milles». Nous le savons, cette «règle» (25) n’est qu’une pratique anglo-américaine et le Chili, l’Equateur et le Pérou rappelaient que la pratique maritime des Etats avait déterminé la largeur de sa mer territoriale en tenant compte de leurs besoins particuliers. De plus, que la recherche d’une limitation uniforme de la mer territoriale avait toujours été vaine.
Mais la réaction la plus violente contre la liberté de la haute mer a surtout été envers la liberté de la pêche. Dès 1832, alors que régnait le principe de la liberté des mers, Andrés Bello, l’illustre juriste vénézuélien, devançait l’avenir en écrivant dans son ouvrage Principes du Droit International: «Nombreuses sont les espèces qui existent uniquement dans certains parages; … pour élevée que soit la fécondité naturelle chez d’autres, nul ne peut douter que, si de nombreux peuples s’y intéressent, la pêche sera plus difficile et moins fructueuse dans ces parages et entraînera finalement l’extinction de ces espèces… Puisqu’elles ne sont donc pas inépuisables, il serait juste, semble-t-il, qu’un peuple s’approprie les parages dans lesquels elles se trouvent et qui n’appartiennent encore à aucun autre peuple» (26). En effet, l’ancien droit de la pêche reposait sur deux axiomes: d’une part la liberté de pêche en mer; d’autre part, le caractère inépuisable des ressources de la mer. Même s’il y a des réserves à cette liberté, nous connaissons l’inefficacité de ces mesures du fait des grandes difficultés de contrôle. Pour ces Etats, elle représentait une menace constante: «des concepts juridiques tels que la liberté de la pêche, formulés à une époque où l’on croyait les ressources de la mer inépuisables cessent d’être valables devant la capacité destructive des grandes entreprises de chasse et de pêche contemporaines. Ceux qui s’efforcent de soutenir qu’il ne faut pas poser de restriction à la pêche en haute mer se refusent à voir la réalité. Les entreprises modernes de pêche sont devenues si importantes et si bien organisées qu’on ne peut appliquer les principes du passé» (27). Cette liberté abstraite était non seulement dévastatrice mais renforçait le privilège des Etats capables de pêcher en haute mer. C’est ce que dénonçait le représentant du Chili: «une liberté dont tous les Etats ne peuvent jouir dans une mesure égale n’est pas une vraie liberté. Des dispositions dont seuls peuvent bénéficier des Etats disposant d’importantes ressources économiques n’instituent pas la liberté, mais un privilège au profit exclusif des Etats puissants» (28). Ces pays qui dépendent tous de la pêche exigeaient la reconnaissance d’une zone de pêche réservée à l’exercice de droits de pêche exclusifs où l’Etat riverain jouit de droits préférentiels où la pêche est réglementée et contrôlée. Les pays du Pacifique-Sud ont présenté les accords tripartites signés en 1952 comme une réponse à cette préoccupation de la limitation des zones de pêche (29). Mais les intérêts en jeu étaient trop importants et la raison de l’échec des Conférences de Genève pour les Sud-américains portent surtout sur cette question de la délimitation des zones de pêche qui est demeurée sans solution. Si un compromis avait pu être trouvé sur la zone de pêche, le problème de la largeur de la mer territoriale aurait perdu de son acuité car l’Etat riverain possédait alors des droits de pêche exclusifs qui lui permettait de réglementer la pêche. Et si les phénomènes de l’extension de la mer territoriale se développaient, c’est parce que les Etats voulaient conserver les ressources biologiques vivantes de la mer pour assurer leur développement.
Ces revendications vont se heurter aux intérêts des Etats traditionnels qui pensaient que «le droit classique de la mer n’avait qu’une dimension: essentiellement droit de la navigation de surface» (30). C’est avec un certain dépit que les pays riverains du Pacifique-Sud constataient que la Conférence avait plutôt été réunie pour consolider des règles anciennes et non comme le voulait la Résolution 1105 (XII) de l’Assemblée générale: «convoquer une conférence internationale de plénipotentiaires chargée d’examiner le droit de la mer en tenant compte non seulement des aspects juridiques , mais aussi techniques, biologiques, économiques et politiques du problème…» (31). Et ainsi, ils en concluaient, malgré quelques aménagements, que la Conférence de Genève s’était tournée vers le passé et qu’il faudrait encore beaucoup de temps pour établir un nouveau droit de la mer: «Dans son remarquable rapport (A/3159), la Commission du droit international a pris note des problèmes qui se posent aux Etats américains du Pacifique-Sud dont le Pérou fait partie. Il eût été sans doute présomptueux de s’attendre à ce que la Commission -composée de juristes éminents formés aux notions traditionnelles du droit- se rallie effectivement aux nouveaux principes énoncés par ces pays. Il se passera beaucoup de temps encore avant que ces principes soient intégrés au droit international, lequel n’évolue que lentement» (32).
Ainsi, les différentes Conférences interaméricaines qui se sont réunies régulièrement dans les années 1950 vont être très profitables aux pays latino-américains, non seulement parce qu’ils recherchent des solutions communes, mais surtout parce qu’il existe une véritable coopération régionale dans le domaine de la mer.
Au cours de la Deuxième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer à Genève, cette cohésion régionale sera certaine entre les pays membres du Système Tripartite du Pacifique-Sud. Pour répondre avec efficacité au principe de l’égalité formelle des Etats, les pays riverains du Pacifique-Sud vont affirmer leur particularisme en montrant qu’il existe des situations distinctes et des divergences entre les Etats face à la mer. Aussi, que le principe abstrait de la liberté des mers n’est plus concevable face à la réalité contemporaine, car il correspond à une conception archaïque liée à la définition des espaces maritimes des siècles précédents.
Les Conférences de Genève, que l’on considère comme un échec, apparaissent maintenant, avec le recul du temps, comme transitoires. De cet échec, on s’est aperçu que le droit classique ne correspondait plus aux réalités de l’époque. Et surtout, que le Droit de la Mer tel qu’il a été codifié dans les conventions de Genève, s’il représente la quintessence des principes classiques du Droit international, laissait apparaître des brèches décisives, notamment avec la construction du régime du plateau continental et la notion d’intérêt spécial de l’Etat côtier.
NOTES
(3) Résolution sur la conservation des ressources maritimes du Plateau continental et des eaux surjacentes de la 10ème Conférence inter-américaine tenue à Caracas, en mars 1954, Acte final.
(4) M. Llosa (Pérou): “33. On estime que les fleuves péruviens déversent chaque année, dans l’océan Pacifique, quelques 500 millions de tonnes de limon et, de la sorte, contribuent substantiellement à la vie des plantes marines. En outre, le guano répandu en mer par les oiseaux vivant dans les îles et sur les promontoires du littoral péruvien -on estime leur nombre à 30 millions- représente annuellement quelques 200 tonnes d’engrais naturel à haute teneur d’azote. Les oiseaux se nourrissent d’anchois qui abondent dans cette zone». Doc. A/CONF. 13/41, vol. V, 4ème Com. Cinquième séance 10 mars 1958 p.7.
M. Barros (Chili): «15. Les eaux côtières constituent pour le Chili une zone vitale, essentielle pour compléter les produits du territoire terrestre». A/CONF. 13/42, vol. VI, 4ème com., neuvième séance, 13 mars 1958, p.19.
Déclaration des chefs des délégations du Chili, de l’Equateur et du Pérou [Texte original en espagnol, 27 avril 1958]
Les débats qui ont eu lieu au sein de cette Conférence ainsi que les différents accords qu’elle a approuvés et qui ont trait, directement ou indirectement à la conservation et à l’utilisation des ressources biologiques de la mer, montrent que le droit spécial de l’Etat riverain, inhérent à sa situation géographique, est de mieux en mieux reconnu.
C’est pourquoi, bien que l’on ait pu constater quelque progrès dans l’accueil fait à nos revendications maritimes, nous affirmons notre résolution de saisir toute occasion -soit par des négociations avec d’autres pays, soit au cours de futures conférences internationales- d’aider à la création et au développement d’un régime de la mer plus équitable, qui garantisse efficacement le droit spécial reconnu aux Etats riverains de protéger leur économie et d’assurer la subsistance de leurs populations.
Les raisons qui ont motivé, au cours de ces dernières années, les mesures législatives et les accords souscrits par le Chili, l’Equateur et le Pérou- accords auxquels a adhéré Costa-Rica- subsistent.
L’absence d’un accord international, suffisamment large et juste, qui reconnaisse et équilibre raisonnablement tous les droits et intérêts, ainsi que les résultats obtenus ici-même, laissent en pleine vigueur le système régional du Pacifique Sud, qui sert à protéger des situations présentant un intérêt vital pour les pays de cette région, en attendant qu’interviennent des solutions justes et humaines.
(Signé)Luis Melo Lecaros, Chef de la délégation du Chili
(Signé) José V. Trujillo, Chef de la délégation de l’Équateur
(Signé) Alberto Ulloa, Chef de la délégation du Pérou
(14) Idem nota M. Ulloa Sotomayor, 5º séance. 5 mars 1958, p. 8.
(15) Doc. A/CONF. 13/40, vol. IV, 2º com., M. Guarelo, 13º séance, 19 mars 1958, p. 35.
(21) M. Correa (Equateur): “Déclare qu’il votera en faveur des articles adoptés par la Troisième Commission, car sa délégation souhaite participer à la déclaration historique de la Conférence tendant à ériger en principe juridique le droit des Etats riverains sur les ressources biologiques des eaux adjacentes à leurs eaux territoriales». Doc. A/CONF. 13/38, vol. II, 15º séance, p. 52.
(22) C.F.M., 27 juillet 1972, déclaration de M. Benites (Equateur), doc. A/AC 138/SR. 80, p. 37.
(23) Acte final de la 3º réunion du Conseil Interaméricain de jurisconsultes Mexico. 17 janvier-4 février 1955: “Chaque Etat a compétence pour fixer dans des limites raisonnables la largeur de sa mer territoriale… compte tenu des éléments géographiques, géologiques et biologiques ainsi que des besoins économiques de sa population et de sa sécurité et de sa défense», voir note 8.
Pérou: proposition [texte original en espagnol, 1º avril 1958]
Article 3
Rédiger comme suit: «Chaque Etat a qualité pour fixer la largeur de sa mer territoriale dans des limites raisonnables, compte tenu des facteurs géographiques, géologiques et biologiques comme aussi des nécessités économiques de sa population, de sa sécurité et de sa défense.»
Document A/CONF.13/C.1/L.133/Add.1
Pérou: premier additif [texte original en espagnol, 15 avril 1958]
«A la fin de la proposition (A/CONF.13/C.1/L.133), ajouter la phrase suivante: «Les Etats s’efforceront de fixer la largeur de la mer territoriale de préférence par voie d’accords régionaux.»
Document A/CONF.13/C.1/L.133/Add.2
Pérou: deuxième additif [texte original en espagnol, 16 avril 1958]
«2. Les Etats qui fixeront la largeur de leur mer territoriale conformément aux dispositions du présent article devront informer du régime qu’ils auront adopté et des raisons qui le justifient la Conférence sur le droit de la mer, qui se réunira périodiquement à partir de la signature de la présente Convention -conformément à la résolution générale adoptée à cet effet- pour examiner la manière dont la Convention aura été appliquée ainsi que les faits nouveaux qui auront pu se produire en ce qui concerne le régime de la mer.»
(27) Doc. A/CONF. 13/40, vol. IV. 2º Com., M. García Sayán (Pérou), 9º séance, 13 mars 1958, p. 20.