Par Claude Lara* (In Cahiers de la francophonie culturelle nicaraguayenne, Cahier N.1, Série «Diplomate», Éditions du Bureau d’Action Linguistique de l’Ambassade de France au Nicaragua, 1992)

PREFACIO

«Car la France sera toujours notre espérance, la France à l’Amérique donnera sa main la France est la patrie de nos rêves, La France est le foyer béni de tout le genre humain» (1) escribió Rubén Darío en la lengua gala, en París, durante el mes de Junio del año 1914.

Al retomar la entusiasta llama dariana, hemos creado en la Alianza Francesa de Nicaragua un grupo francófilo y, como sustento, una publicación que se intitula: » Cahiers de la Francophonie Culturelle Nicaraguayenne».

A fin de dar a conocer los valiosos aportes culturales de los francófonos nicaragüenses y extranjeros, reunidos en la Alianza francesa, y conservar estos valiosos testimonios, decidimos recopilar en forma de Cuadernos, las Conferencias dictadas por nuestros expositores sobre aspectos variados de la francofonía cultural, en Nicaragua y otros países.

También, desearíamos que estos Cuadernos fueran textos de referencia para las Misiones Diplomáticas y Consulares, así como para las diferentes Alianzas Francesas asentados en países francófonos o interesados en la Francofonía Cultural , al versar sobre múltiples facetas de las relaciones franco-nicaragüenses.

Finalmente, agradecemos el estímulo y el concurso del Instituto Nicaragüense de Cultura (INC) y del Ministerio de Relaciones Exteriores de Nicaragua (MINEX) que, con colaborar en la creación de estos Cuadernos, contribuyen a enriquecer la cooperación cultural franco-nicaragüense.

Christophe Coupry
Servicio Cultural de la Embajada de Francia.
Oficina de Acción Lingüistica.

Managua, 24 de Febrero de 1992.

(1) Poema:» France-Amérique», in: Rubén Darîo, Poesía. Biblioteca Popular de cultura Nicaragüense. Editorial Nueva Nicaragua, Managua, Nicaragua pág. 518.
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L’EQUATEUR ET LA FRANCOPHONIE CULTURELLE* *

Quand j’ai proposé à Christophe de traiter ce sujet: l’Equateur et la francophonie culturelle, c’est tout simplement parce que de nombreux éléments -appelons-les circonstances historiques ou échanges en tous genres- font que l’Equateur se caractérise par une forte influence provenant de la francophonie culturelle.

Une des caractéristiques essentielles d’un pays c’est son nom. Le nôtre se nomme Equateur, ce qui peut paraître curieux. Car pourquoi appeler uniquement mon pays par le cercle qui entoure la terre et la divise en hémisphères nord et sud, alors que d’autres nations: américaines, africaines et asiatiques se trouvent dans la même situation géographique?

La réponse à cette question est avant tout historique et non pas exclusivement géographique. En effet, au XVIIIè siècle les savants européens; et surtout l’Académie des Sciences de Paris, étaient très intéressés par l’une des plus grandes controverses scientifiques qu’aura connu ce siècle: la détermination de la grandeur et de la configuration de la terre. Rappelons qu’il y avait deux hypothèses dominantes qui avaient chacune ses champions et ses détracteurs. Celle de Newton qui soutenait qu’en vertu du mouvement de la rotation de la terre celle-ci était aplatie aux pôles et celle des frères italiens Cassini qui croyaient que cet aplatissement se situait sur l’équateur.

Pour résoudre cette passionante querelle scientifique il n’y avait pas d’autres solutions que de mesurer un arc de méridien entre les régions polaires et un autre entre les zones équatoriales. Si les degrés de cet arc mesuré étaient égaux, notre planète serait parfaitement ronde; si le degré équatorial était supérieur à celui du pôle, la thèse des frères Cassini serait exacte, et finalement, si le degré polaire était supérieur à celui de l’équateur, ce qui fut effectivement démontré, Newton aurait vu juste.

L’Académie des Sciences de Paris, à ses propres frais, décida d’envoyer deux expéditions scientifiques, en 1735, dans les régions polaires de la Laponie et en 1736, à la Présidence de Quito, le nom, à l’époque, de mon pays durant la colonie espagnole (1).

Cependant ce n’était pas facile de voyager en Amérique espagnole, comme le souligna si bien l’écrivain équatorien, Jorge Carrera Andrade:
«Durant les XVIè et XVIIè siècles, l’Amérique espagnole fut une véritable Chasse gardée. Seuls les sujets du roi d’Espagne pouvaient «chasser» en ses domaines. Chasse abondante et variée, qui s’étendait de la collecte des impôts, le comerce légal et la contrebande, jusqu’à l’exploitation des ressources naturelles et l’utilisation de la main – d’oeuvre indigène. Les lois et les ordonnances de la Couronne interdisaient l’accès des colonies américaines aux Gitans, aux Juifs, aux Maures, aux protestants et à tous les non-catholiques qu’on appelait alors «hérétiques». Les bateaux anglais, français et hollandais qui essayaient de faire du commerce avec les ports hispanoaméricains, étaient déclarés pirates et, comme ceux-ci, étaient accueillis par le feu et le plomb. En outre, l’Inquisition ne perdait pas de vue les étrangers et surveillait leurs activités» (2).

Heureusement la situation changea au début du XVIII siècle avec l’arrivée de la dynastie des Bourbons en Espagne. Le petit-fils du roi Soleil montait sur le trône d’Espagne et le prince français, Philippe d’Anjou, devenu Philippe V d’Espagne, amorça une collaboration ample et dynamique avec son neveu, le roi de France Louis XV. En quelques mots: «Les portes de l’Amérique espagnole s’ouvrirent aux Français.» (3).

Le premier acte de cette nouvelle politique fut l’envoi d’une expédition scientifique française avec la collaboration de deux hommes de sciences espagnols fournis par la couronne espagnole: Jorge Juan et Antonio Ulloa, rendus tres célèbres par la publication d’un livre très polémique: «Noticias Secretas de América». Donc cette expédition fut une mission culturelle composée d’académiciens, de géographes, d’astronomes et de naturalistes, et son arrivée en Equateur signifia le premier contact de la culture française avec l’Amérique espagnole.

Nous insistons bien sur le fait que la plupart des savants de cette mission étaient déja célèbres en Europe; il s’agissait donc de grands spécialistes de l’Académie de Paris, en la matière. Ainsi Charles – Marie de La Condamine, mathématicien, naturaliste et géographe; Joseph de Jussieu, médecin et botaniste; Philippe Bouguer, plus connu pour ses travaux d’hydrographie; Louis Godin, astronome, géomètre et architecte; Couplet, astronome; Sénièrgues, chirurgien et Morainville, ingénieur et peintre.

Cette mission resta un minimun de neuf années en terres équatoriennes, et au risque d’être excessivement bref, bien que notre sujet ne soit pas la première mission géodésique française, nous attirerons l’attention sus ses principaux apports: ces savants déterminèrent la longitude du méridien de Quito, tracèrent des plans et des cartes géographiques, découvrirent de nombreuses plantes, résines et gommes diverses, utiles à la médecine et à l’industrie – pensons simplement aux conséquences industrielles à notre époque de la découverte du caoutchouc – et étudièrent les phénomènes volcaniques. Par ailleurs, les calculs effectués par Bouguer sur l’arc du méridien Tarqui-Cochasqui servirent à la Comission des Poids et Mesures, créée par l’Assemblée Constituante française, pour l’implantation du système métrique. Finalement, ils multiplièrent leurs expériences dans d’autres domaines comme: la botanique et l’astronomie. Pour être plus précis, les résultats de ces travaux scientifiques de cette mission furent publiés par P. Bouguer dans la » Théorie de la Configuration de la Terre» et par Ch-M. de La Condamine dans son» Journal du Voyage fait par ordre du Roi à l’Equateur», en 1751.

Avant de poursuivre notre récit ouvrons une parenthèse pour insister sur le fait que La Condamine se lia d’amitié avec le géographe équatorien, Pedro Vicente Maldonado, et qu’ensemble ils descendirent l’Amazone jusqu’à l’Atlantique. Leur amitié fut si profonde qu’à son arrivée à Paris Ch-M. de La Condamine le fit nommer membre honoraire de l’Académie des Sciences de Paris et le savant équatorien s’y était rendu pour faire graver sa carte du Royaume de Quito, oeuvre qu’il ne put voir terminée bien qu’il restât deux ans en France, à la Cour de Louis XV. Malheureusement la mort le surprit à Londres, cependant son fidèle ami et premier biographe, Ch-M. de La Condamine, fit terminer la gravure des planches et remit l’oeuvre, y compris l’ensemble des manuscrits du géographe, à l’Ambassadeur d’Espagne en France qui les envoya à Madrid.

Mais reprenons le fil de notre histoire. Le monde littéraire a repris ce qualificatif, équateur, pour désigner ces terres qui avaient permis aux savants européens de découvrir scientitiquement l’Amérique espagnole. Le mot fit fortune et son premier emploi officiel remonte à Simon Bolivar, Président de la toute nouvelle Colombie. Il l’employa dans un discours capital qu’il prononça le 17 décembre 1819 en prêtant serment de faire appliquer la Constitution d’Angostura qui, entre autres choses, disposait de la nécessité de libérer l’Equateur. Plus tard il tint sa promesse et l’Audience de Quito fut incorporée à la République colombienne créée par le Libérateur. En dictant la «loi portant sur la Division Territoriale» du nouvel Etat, en juin 1824, il divisa l’Audience de Quito en trois Départements dont l’un s’appelait: Département de l’Equateur. Une fois la Colombie dissoute, l’Assemblée constituante réunie à Riobamba, en 1830, dicta notre première Constitution et décida de nommer mon pays Equateur, du fait que ce Département était le plus peuplé et aussi que s’y trouvait la vieille ville de Quito, à l’époque déjà presque tricentenaire. Et c’est ainsi que l’article premier de cette Constitution stipulait:
«Les Départements de l’Azuay, Guayaquil et Quito sont réunis entre eux en formant un seul corps indépendant et en ayant pour nom l’Etat de l’Equateur.» (4).

Voilà bien un exemple qui montre très clairement l’une des raisons principales qui m’ont permis de démontrer cette influence de la francophonie culturelle sur l’Equateur.

Mon exposé est une simple contribution et non pas une analyse détaillée des relations franco – équatoriennes, ce qui pourrait faire l’objet de plusieurs livres. Pour cette raison avant d’aborder, par un rapide survol le «Siècle des Lumières», il est bon de rappeler qu’il y eut de nombreuses révoltes contre le pouvoir espagnol et ceci bien avant la révolution française. L’une des plus célèbres eut lieu précisemment à Quito et éclata le 22 mai 1765 à cause principalement des augmentations d’impôts. «La Revolución de los Estancos» (5) fut considérée comme l’un des principaux mouvements révolutionnaires américains avant l’indépendance et qui au cri de «mort aux espagnols» fut écrasée par ces derniers. Cependant, malgré cet échec, ce Gouvernement révolutionnaire a pu se maintenir au pouvoir durant toute une année entière et il faut bien insister sur le fait qu’il essaya de créer une monarchie créole, qu’il rejeta l’autorité coloniale et les lois péninsulaires, et pour en finir, dicta l’expulsion des espagnols (6).

Les encyclopédistes français influencèrent de nombreux révolutionnaires équatoriens venus à Paris ou qui s’y sont éduqués, comme Vicente Roca Fuerte, ou tout simplement en vivant à Quito, qui y ont lu et étudié les oeuvres interdites, comme ce fut le cas du savant équatorien Eugenio de Santa Cruz y Espejo qui , dès 1780, voyait la nécessité de proclamer l’indépendance, ce qui lui valut de nombreuses arrestations et finalement la mort dans les prisons espagnoles de Quito. Dans ce siècle «éminemment révolutionnaire» comme l’écrivit si bien le grand penseur colombien, German Arciniegas (7), est-ce une coïncidence si le 10 août 1809 la Présidence de Quito lança le premier cri d’indépendance contre l’Espagne et créa le premier gouvernement indépendant de l’Amérique espagnole?

Tandis que des missions culturelles et les explorateurs français se rendaient dans la République de l’Equateur, pays de la ligne équinoxiale, les Equatoriens se tournaient vers Paris pour y chercher l’ambiance propre à l’épanouissement des idées et à la formation artistique.

Prenons un exemple, peut – être le plus marquant, celui de Juan Montalvo. Pourquoi? Montalvo est un des grands maîtres de la prose espagnole des XIXè et XXè siècles et le créateur de l’essai moderne hispano-américain.

Comme nous sommes au Nicaragua rappelons que Juan Montalvo a été l’un des grands maîtres de Rubén Darío. Dans son épître de 481 vers, écrite à Leon en 1884 à 17 ans, et cinq ans avant la mort de Juan Montalvo, le grand poète proclama:
» En la región del arte luz es todo;
gran artista, te sientes dominado
por esa claridad como encendida
por la mano de Dios. Oye, ya suena
ese vago, incesante clamoreo,
de una generación que se entusiasma
al ver la obra que brota de tu mente.
La emulación llenando el pecho núbil,
de esperanza y deseo. Tu obra grande
es una voz que suena poderosa
dando aliento y vigor. Loor eterno
al hispano gigante celebrado
que creo la epopeya de la burla
mezclada con las lágrimas dolientes;
y gloria de la América garrida
hijo osado, que el vuelo tiende ahora
hasta donde los astros resplandecen.
Mira, ya sobre ti flota la lumbre,
y tú penetrarás su excelso arcano
(¿Cómo no has de acercarte hasta la cumbre
si Cervantes te leva de la mano?» (8).

Juan Montalvo vécut en France à trois époques bien déterminées (9). En 1857, l’ex-Président Equatorien José Marra Urbina fut désigné en poste à Paris et nommé à la catégorie de Ministre et il choisit notre écrivain comme Attaché civil. Mais pour des raisons politiciennes J.M. Urbina dut abandonner son voyage. Malgré ce contre-temps, Juan Montalvo vint à Paris en 1857 et il fut nommé comme Secrétaire de la Légation équatorienne, le 1er. juillet 1858. Montalvo avait 25 ans, c’est- à – dire qu’il était en pleine force de l’âge, bercé d’illusions, plein d’ambitions artistiques et à la recherche du prestige littéraire. Il étudia donc beaucoup, médita énormément et il apprit intensément. Mais pour des raisons de santé il dut abandonner la France et il retourna en Equateur, en 1860.

Lors de son second séjour il vint comme éxilé politique, après le coup d’état de Garcra Moreno, en 1869. Grâce à l’aide d’un autre Equatorien non moins célèbre, Eloy Alfaro qui vivait à Panama pour les mêmes raisons, il put voyager à Paris mais son séjour fut plus court et il abandonna la France du fait de la pauvreté dans laquelle il se trouvait et à cause de l’approche de la guerre franco-prussienne. Il retourna en Equateur en 1875, quand Garcia Moreno fut assassiné, le 6 août 1875, et alors il s’exclama: «mi pluma le mató»; ce qui d’une certaine manière était tout à fait juste.

Son troisième déplacement, encore comme éxilé durera jusqu’à sa mort puisqu’un autre dictateur avait pris le pouvoir, le Général Ignacio Veintimilla (1876-1883), contre lequel comme grand polémiste il écrira une des satires les plus féroces de toute la littérature hispano-américaine sur la dictature:»Las Catilinarias». Ce furent sept ans de vie difficile où il souffrit terriblement de son exil, malgré les joies de la vie familiale. Et il mourut à Paris, en 1889, au 26 rue Cardinet, où l’on peut voir actuellement inscrit sur une plaque ce qui suit:
» Juan Montalvo
Né à Ambato Equateur le 13 avril 1832
mort éxilé à Paris, le 17 janvier 1889
polémiste, essayiste, penseur
maître insigne de la prose espagnole
choisit la France son pays d’élection pour y finir ses jours
et mourut dans cette maison «.

Soyons audacieux et en quelques lignes parlons de l’oeuvre de Juan Montalvo, en France. Comme l’affirma Jorge Carrera Andrade:
» Les critiques français comparèrent Montalvo à Montaigne, lui donnèrent le titre de ‘Miroir des chroniqueurs’ et qualifièrent de sublimes ses pages sur la ‘ Mendicité ‘. De la fenêtre de sa modeste chambre, dans une maison de la rue Cardinet, Montalvo contemplait le spectacle de la rue et se rappelait les jours de sa correspondance avec Lamartine -auquel il s’empressa de rendre visite dès son arrivée à Paris- ainsi qu’avec Victor Hugo, tandis qu’il donnait à ses derniers écrits ce ‘scintillement mental ‘qui lui valut de figurer parmi les écrivains qui ont honoré le genre humain. C’est dans les livres de Montalvo – publiés par leur auteur en France – que nous, Equatoriens, avons appris pour la première fois à connaître les parcs et les rues de Paris. Montalvo est le premier de cette lignée d’écrivains latinoaméricains qui offrirent à la ‘capitale de la culture occidentale’, non seulement leur vie, mais leur mort. ‘Mourir à Paris’ fut la consigne de ces hommes qui aimaient la liberté plus que leur propre vie (10).

En effet Juan Montalvo publia plusieurs de ses écrits à Paris et en 1975 lors du «Colloque de Besançon», le premier organisé en France au sujet de son oeuvre, en mémoire du centenaire de la publication des «Siete Tratados» à Paris, de nombreux universitaires se réunirent pour aborder divers points de la création littéraire de Juan Montalvo (11).

Cependant comme essayiste, polémiste et chef de file intellectuel du libéralisme, Juan Montalvo connut bien des déboires. Prenons quelques exemples. Nul n’est prophète dans son pays, peut-être qu’une affirmation si courante n’a jamais été aussi exacte en ce qui concerne la carrière littéraire de notre écrivain. Lisons ce terrible pamphlet contre un de ses grands écrits, «El Cosmopolita»:
«ULTIMA CARICIA DEL AUTOR COSMOPOLlTA:
Tu pluma al fin se movió
y el ensayo fue ruin
aunque tu soberbia al fin
a la perfección llegó.
Pero con burlas y veras
se te ha dado mucho azote…
Vete, infeliz neo-Quijote
Vete a Ambato a comer peras» (12).

Ces attaques répétées et bien souvent par les plus grands intellectuels équatoriens de l’époque, presque toujours fruits de l’envie et de la convoitise, firent réagir Juan Montalvo bien souvent avec grande violence, ce qui l’amena parfois à renier sa patrie, notamment dans cette phrase restée célèbre:

«Denme un Ecuador Libre, ilustrado, digno y soy ecuatoriano; de lo contrario me quedo sin patria» (13).

Comme l’ a écrit l’un des plus grands biographes équatoriens actuels de Juan Montalvo:
«Uno de los hábitos ecuatorianos más perversos y pertinaces es el de organizar grupillos de ostentosa pero infima capacidad intelectual, cuya bárbara y tribal obsesión se dirige a encumbrar a la fama – una fama local, inválida y maloliente o cualquier cacique de los suyos, y a derramar en cambio sudores copiosos por rebajar el mérito de los talentos superiores, o por sepultar la obra de éstos en el silencio de una mañosa indiferencia» (14).

Autre déception ce fut l’attitude de la Royale Académie Espagnole de la Langue qui ne lui ouvrit pas ses portes pour des raisons essentiellement politiques. L’Académie était extrêmement conservatrice et Juan Montalvo, comme nous l’avons déjadit était un des plus grands représentants intellectuels latino – américains du libéralisme.

Il y a deux explications à cette mésaventure. Une qui provient des Académiciens eux -mêmes qui affirmaient que l’Académie ne pouvait désigner de son propre chef comme membre correspondant des personnalités où se trouvait déjà une académie de la langue. C’était précisément le cas en Equateur puisque fondée en 1875, durant la dernière année du Gouvernement de Garda Moreno, elle regroupait, bien évidemment, les plus farouches adversaires de notre écrivain. Il était donc impossible que cette dernière propose le nom de «l’ homme à abattre», mieux encore, elle était bien trop heureuse de pouvoir l’ humilier non seulement en Equateur mais d’ une manière beaucoup plus cruelle, en Espagne, berceau de la langue hispano – américaine.

L’autre version voudrait que sa candidature fût rejetée par la Royale Académie comme l’affirma l’un de ses membres, Luis Carreras, qui dans un de ses articles publié dans la revue» Europa y América», le 15 mars 1885, et après avoir traité les «Immortels» de «Cuervos y Lechuzas», «Gramáticos Cojos» et «Filólogos Zurdos», écrivit:

«Convénzanse éstos (los académicos) de que si hemos de tener Academia conviene que sea, en todos conceptos, una corporación grande y respetable. ¿No es una bajeza, no es una indignidad, no es una infamia? que habiéndose propuesto a la actual el nombramiento de socio correspondiente para un prosista tan importante como el americano Montalvo, a pesar de la simpatía que inspiraba allí la arqueología lingüística de los Siete Tratados, le desechasen porque Aureliano Férnandez Guerra gritó como un energúmeno que Montalvo no creía en la Santísima Trinidad» (15).

Maintenant on sait que sa candidature ne fut jamais présentée; c’est une regrettable injustice commise par les Académiciens d’avoir refusé cette distinction à l’un des plus grands représentants hispano-américains de la langue espagnole.

Un autre désagrément fut la condammation pontificale des Siete Tratados par le Pape Léon XIII, deux mois après sa publication. Juan Montalvo, bien que souvent anti – clérical, était croyant et ses querelles avec le clergé équatorien sont restées célèbres, notament la «Mercurial eclesiastica» qui répondait à la Lettre Pastorale équatorienne du 19 février 1884 parce qu’elle reprochait aux Siete Tratados de contenir des » propos hérétiques, des maximes scandaleuses et des principes contraires aux dogmes révélés». Mais le plus dramatique c’est qu’à cause de cette intolérance et de cette haine farouche du clergé équatorienne il put être enterré dans sa ville natale, Ambato, seulement presque 43 ans après sa mort, en 1932.

Finalement, hasardons une conclusion sur l’oeuvre de Juan Montalvo en reprenant cette phrase de Galo René Pérez:
» Pero entiéndase bien esto: Montalvo fundador del ensayo moderno en lengua castellana, con sus mejores escritos, entre los que estan especialmente lo de El Espectador, abrió el camino a la prosa mas destacada de nuestro siglo.» (16)

Comme dans ce parcours sur l’Equateur et la francophonie culturelle nous avons chaussé nos bottes de sept lieux, nous arrivons donc au XXè siècle et pour essayer d’illustrer la richesse de cet échange culturel franco équatorien je terminerai avec le poète équatorien, Alfredo Gangotena. C’est un cas prodigieux et exceptionnel comme l’a très bien montré le critique littéraire et grand traducteur Claude Couffon:
» Né, comme nous l’avons dit, à Quito, le 19 avril 1904, dans une famille de la haute bourgeoisie, on le retrouvera en 1920 à Paris où il termine ses études secondaires au Lycée Michelet, puis Duvignon de Lanou. Bachelier il étudie l’architecture à récole des Beaux . Arts, mais renonçant sans raison apparente à cette carrière, il entre à l’Ecole des Mines, d’où il sortira ingénieur. C’est comme ‘étudiant français’ que l’illustre école l’admit dans ses murs. ‘Gangotenea fut un des rares étudiants étrangers qui avaient été acceptés avec ce privilège’ constatera plus tard Jules Supervielle» (17).

Ce jeune et brillant ingénieur – poète publiera dans des revues comme; «Intentions, Philosophies, la Nouvelle Revue Française», etc, et au milieu des meilleurs écrivains de son époque: André Breton, Jean Cassou, Jean Cocteau, Paul Eluard, Max Jacob, Valéry Larbaud, Saint – John Perse, Marcel Proust, Raymond Radiguet, André Salmon, Philippe Soupault …. Un génie puisqu’il apprit parfaitement le français à 16 ans et qu’il devint un grand poète francophone. Ecoutons un de ses pairs et maître de la poésie française de notre siècle:

«Quand il se décida à me montrer ses vers en français, confie Jules Supervielle, je restai subitement étonné par la personnalité profonde et la naturelle grandeur de ce poète de 18 ans. L’originalité, la véritable, celle qui vient des sources mêmes du coeur, jaillissait gravement de ces poèmes sombres et brûlants, souvent difficiles mais dont les propres ténèbres se reflètent dans ces eaux merveilleuses et témoignent d’une élévation et de beautés palpitantes» (18).

Ou cette critique de Jean Cocteau lorsque paraîtra bientôt le recueil de poèmes de son ami: Orogénie:

«Gangotena, vous avez du génie. C’est quelques fois dommage -toujours merveilleux. Ne dites à personne notre projet de gloire. Je m’en charge. Venez vite avec le reste. J’ai déja annoncé à (?)que je lui préparais une surprise. votre Jean Cocteau.»

Ou, encore, Max Jacob:
«Votre livre Absence me fait l’effet d’un son de grosse cloche, et on en écoute le son avec plaisir… C’en est fini des amusettes artistiques, des petits pittoresques … Bravo pour ce livre fondamental qui ne quittera plus ma vie» (20).

Et, finalement, Jacques Maritain qui: «admire la grandeur tragique» de sa poésie et affirme:

«Ce n’est pas seulement sa beauté de forme et de volume, sa beauté en quelque sorte minérale qui m’émeut, c’est l’âme qui passe en elle» (21).

Après tous ces éloges et ne pouvant analyser la poésie d’Alfredo Gangotena, je vous propose la lecture d’un de ces poèmes: Le Solitaire. (Anexe N 1).

Mais comme le rappelera son grand ami, Henri Michaux, qu’il avait invité dans son pays et qui après ce voyage avait écrit un livre intitulé Ecuador où il voulut détruire le mythe de l’exotisme, sa santé était bien fragile:
«L’ auteur étant jeune souffrit de plusieurs maladies, dont l ‘hémophilie. Cette maladie atroce qui le mettait à la merci d’une dent arrachée, d’une simple piqûre par où son sang coulait aussitôt sans recours, sans s’arrêter, sans cesse, (à l’abri de la mort derrière ce frêle et unique rideau de l’épiderme), maladie qui le mettait dans une crainte continuelle et pratiquement hors du monde, l’a marqué à tout jamais» (22).

Ce que furent ses dernières années a été résumé en quelques lignes chaleureuses par Jules Supervielle:
«Après les horribles jours de 1940, Gangotena se consacra à notre cause et fit, si l’on peut dire, de la France sa religion. Abandonnant ses affaires et ses études, il consacra tout son temps et toutes ses forces à notre pays. Il fut le porte-parole du Comité de la France Libre en Equateur, devant les autorités de son pays, devant ses amis et, spécialement devant les ennemis de notre cause… C’est ma modeste contribution pour ma patrie spirituelle disait-il. Quelques minutes avant sa mort (le 23/12/1944) en pleine conscience if demanda à sa soeur (mariée au comte de Monlezun partisan dès la première heure du général de Gaulle), à être enterré avec cette Croix de Lorraine qu’il portait toujours sur lui» (23).

Bien, ainsi s’achève ce panorama sur l’Equateur et la francophonie culturelle et nous terminerons sur ce point, l’un des traits de génie du métissage hispano-américain, c’est tout d’abord d’apprendre l’espagnol aux Espagnols, et réciproquement, et ensuite, d’enrichir d’autres cultures différentes de la nôtre dans leur propre langue maternelle. Je vous remercie de votre attention.

Alliance Française de Managua, le 5 février 1992.

** Cet exposé n’est qu’un effort de vulgarisation où nous avons repris des passages des auteurs équatoriens et français qui sont mentionnés dans notre bibliographie. Notre travail n’a consisté qu’à ordonner cetains éléments afin de rendre leur compréhension plus claire et leur valorisation plus accessible.

NOTES:

(1) Francisco TERAN: Geografîa deI Ecuador. Libresa, Quito Ecuador, onceava edición, 1984. Pages 9 a 16.

(2) Jorge CARRERA ANDRADE: » Les Relations Culturelles Franco Equatoriennes». Cahier des Amériques Latines, série arts littératures, Paris 6è. Page 114.

(3) Ibid, page 115.

(4) Idem note l, pages 12 à 13.

(5) Estanco = Prohibición de la venta libre de una mercancia, monopolio.

(6) Alfredo LUNA TOBAR: El Ecuador en la Independencia del Perú. Banco Central deI Ecuador, Quito-Ecuador. Tomo 1ro. Pages 32 à 40.

(7) German ARCIENAGAS: Bolívar y la Revolución. Libro Libre, San José, Costa Rica, 1986. Primera página del prólogo.

(8) Rubén DARIO: Poesía Completa. Biblioteca Popular de Cultura Universal, editorial Nueva Nicaragua. Page 81.

(9) Darío LARA: Montalvo en París. Subsecretarfa de Cultura. 1. Municipio de Ambato. Quito-Ecuador, 1983, tomo 1. Pages 21 à 22.

(10) Idem note 2, page 125.

(11) Juan MONTALVO en Francia, Actas del Coloquio de Besanzon – 15/17 de marzo de 1975. Les Belles Lettres, Paris 1976

(12) Galo René PEREZ: Un Escritor entre la Gloria y las Borrascas-vida de Juan Montalvo. Biblioteca de la Revista Cultura VI, Banco Central de Ecuador, Quito, 1990. Page 266.

(13) Ibid, page 269.

(14) Ibid, page 252.

(15) Ibid, page 449.

(16) Ibid, page 446.

(17) Claude COUFFON: Alfredo Gangotena Poèmes Français recueillis et présentés par Claude Couffon. Collection Orphée, La Différence, Paris, 1991, page 8.

(18)Ibid, page Il.

(19)Ibid, page 18.

(20)Ibid, page 20.

(21)Ibid.

(22)Ibid, page 9.

(23)Ibid, pages 21 à 22.

Anexe N 1 LE SOLITAIRE***

Les yeux soulevèrent la palissade du paragraphe.
Sur l’eau placide,
Comme une fronde,
La pensée réveille les ondes.
Je suis bossu.
Ma mémoire surprend la sieste de l’antipode.

Ce n’est point le noeud de ma cravate,
Mais la solitude que je tords.
Vraiment j’ai tortCar les volets éclatent
Et la chambre sue de me contenir.

Le fleuve de lune soulage les entrailles du cabanon.
Rien
Que les murmures de ma tête
Haletant les violons de l’araignée.
La bougie éteinte:
Un poisson véloce avale
Le sillage de sa lueur.

Est-ce la route des Indes?
Dans ma poitrine grince l’équipage.
Le zodiaque soudain émeut son engrenage
Sur l’impondérable coupole des Andes.

En haut:
La sinistre horloge des astres.
Et l’amorce de l’aube; l’avalanche des cimes;
Les aurores foisonnent dans l’amiante platinée.
Terre de Norvège!
ô murs de glace!

Sagittaire des forêts,
Un vent séculaire me flamboie aux tempes.
Prenez le large,
Ô sombre armée,
Ô nombres coincés dans le golfe de ma pensée!

J’ai beau lézarder le sol de mes cris
– Moi charnière de l’orage -;
Lécher les bavures du silence;
Abattre la digue de mes larmes:
Jamais!

Jamais, dans mon âme, je n’entendrai
Siffler le dard de Votre lumière!

Ah! Seigneur, dès l’étagère,
Daignez entendre ma plainte amère.

*** Idem note 17/ pages 55 à 56.

Bibliographie
– Actas del Coloquio de Besanzon: Juan Montalvo en Francia- 15/17 de marzo de 1975.
– Actas del Coloquio de Ecuador 1986. Cultura; Revista deI Banco Central deI Ecuador. 250 años de la Primera Mision Geodésica, Quito Ecuador, enero-abril 1986, números 24a, 24b y 24c.
– Germán ARCINIEGAS: «Bolívar y la Revolución». Libro Libre, San José, Costa Rica, 1986.
– Jorge CARRERA ANDRADE:» Les Relations Culturelles Franco-Equatoriennes», Cahier des Amériques Latines, Série arts littératures, Paris 6è.
– Claude COUFFON: » Alfredo Gangotena». Poèmes français recueillis et présentés par Claude Couffon. Collection Orphée-La Différence, Paris,1991.
Rubén DARIO: » Poesía Completa». Biblioteca Popular Cultural Universal, editorial Nueva Nicaragua.
– A. Darío LARA: » Montalvo en París «. Subsecretaría de Cultura. I. Municipio de Ambato. Quito – Ecuador, 1983, 2 tomos.
– Alfredo LUNA TOBAR: » El Ecuador en la Independencia del Perú».Banco Central deI Ecuador, Quito-Ecuador, 3 tomos.
– Galo René PEREZ: » Un Escritor entre la Gloria y -las Borrascas- vida de Juan Montalvo». Biblioteca de la Revista Cultura VI, Banco Central del Ecuador, Quito 1990.
– Francisco TERAN:» Geografía del Ecuador» Libresa, Quito-Ecuador, onceava edici6n, 1984.
– Francisco TERAN:»Nuevas Páginas de Geografía e Historia» -Las Misiones Geodésicas Francesas en el Ecuador. Instituto Panamericano de Geografía e Historia, Quito – Ecuador, 1982.
– Neptalí ZUÑIGA:»La Expedición Científica de Francia del Siglo XVIII en la Presidencia de Quito». XI Asamblea General deI IPGH y Reuniones Panamericanas de Consulta Conexas, Quito-Ecuador, 1977.

Claude LARA BROZZESI

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L’amitié de deux hommes de sciences: Charles-Marie de La Condamine et Pedro Vicente Maldonado et l’origine de l’amitié entre deux peuples

* Né en 1959 à Paris. De nationalité Équatorienne; Etudes scolaires en France. Licencié En Civilisation hispanoaméricaine; Docteur en Droit International (Université de Paris X); Diplomate exerçant actuellement les fonctions de Deuxième Secrétaire de l’Ambassade de l’Équateur au Nicaragua. Cofondateur (…) de la revue AFESE (Association des Fonctionnaires et Employés du Service Extérieur équatorien); Collabore aussi aux revues Revista de Ciencias Internacionales, et aux quotidiens équatoriens (…) El Expreso, El Meridiano. Va publier en 1992 aux Editions de la Banque Centrale de l’Equateur: «El territorialismo Latinoamericano en el Derecho lnternacional del Mar». A paraître aussi : «La Doctrina Latinoamericana y el Sistema Marítimo del Pacífico Sudeste».

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