Par Catherine Lara*

La découverte -en 1999- de la «pucelle de Lullaillaco», enterrée 500 ans auparavant au sein du volcan homonyme situé au nord de l’Argentine, émut alors le monde entier. De fait, la science la déclara la momie la mieux conservée connue à ce jour, tandis que les scientifiques s’étant penché sur son contexte funéraire en concluaient que l’adolescente et ses deux accompagnants avaient été victimes du rituel inca de sacrifice humain connu sous le nom de capac hucha, capacocha ou capaccocha.

Au-delà de l’aspect funèbre d’une pratique plutôt perçue comme cruelle, la capac hucha rend compte d’une logique complexe d’articulation entre facteurs politiques et religieux précis liés à l’idéologie impériale inca, tel que l’ont révélé les études archéologiques et ethnohistoriques menées sur le sujet. En quoi consiste le rituel et quelle signification incarne-t-il?

D’un point de vue étymologique, hucha signifie «devoir, dette, obligation», au manquement desquels le concept prend le sens de «faute». Ainsi, si l’on en croit Gerald Taylor (1987), «le capac hucha correspond à l’accomplissement d’une obligation rituelle à l’importance et rayonnement (capac) majeurs».

En effet, ce rituel était avant tout une assemblée d’oracles en provenance de tout le Tahuantinusyo, effectuée à l’occasion de l’Inti Raymi, du couronnement de l’Inca ou de quelque événement catastrophique subi par l’Empire. Dans l’idéologie religieuse du Tahuantinsuyo, les oracles et les élites de prêtres qui les contrôlaient jouaient un rôle fondamental. Par conséquent, l’Inca consultait régulièrement les oracles des «huacas» (lieux de culte) impériales, qui étaient représentées au Cusco pendant le rituel de la Capac hucha. Chaque huaca offrait son tribut à l’Inca sous la forme d’enfants destinés à être sacrifiés. Ces-derniers se rendaient au Cusco aux côtés de leurs caciques et des représentations de leurs dieux locaux. Une fois sur la place du Cusco, les «pèlerins» rendaient hommage à l’Inca et aux divinités principales de l’Empire: le soleil, la lune, les momies royales. Ensuite, le Fils du Soleil consultait les dieux de ses provinces sur des sujets militaires ou administratifs. L’Inca récompensait les déités de chaque huaca en fonction des réponses données par leurs oracles respectifs. Cette récompense prenait la forme des enfants offerts en tribut par chaque huaca à l’Inca, dont la plupart étaient sacrifiés sur leur lieux d’origine, à leur retour du Cusco (Cieza de León, n/d; Gose, 1996).

Les victimes devaient être des enfants en pleine santé et physiquement parfaits. L’analyse ADN des momies de Llullaillaco a révélé que les victimes avaient été «engraissées» avant leur mort. Il semblerait qu’au courant de la plus grande partie de leur vie, l’alimentation de ces enfants était principalement constituée de pommes de terre, mais un an avant le sacrifice, elle s’était surtout caractérisée par la consommation de maïs et de viande de lama séchée, un type d’aliments sacré (La Hora, 2007). Le chroniqueur Cobo (1964) souligne le traitement privilégié accordé aux victimes avant le sacrifice. Dans le cas de Lullaillaco, l’on estime que trois ou quatre mois avant leur mort, ces-dernières avaient effectué un pèlerinage à travers les montagnes vers leur dernière demeure, probablement en provenance du Cusco. Peu de temps avant leur décès, de la chicha et des feuilles de coca leur auraient été administrées, contre le mal d’altitude ou encore, en guise d’anesthésiant (La Hora, 2007). A partir d’études précédentes menées sur d’autres momies trouvées dans la même région, il fut établi que les victimes avaient été asphyxiées, bien que Cobo (1964) signale qu’elles étaient enterrées vivantes, dans des nécropoles associées aux divinités, en compagnie d’un riche mobilier funéraire et vénérées par un groupe de prêtres chargé de leur culte.

Les interprétations au sujet du sens de la capac hucha sont variées.

D’un point de vue religieux, les chroniques établissent qu’être choisi pour ce rituel était un honneur: par leur mort, les enfants s’unissaient à leurs ancêtres et veillaient sur leurs communautés (Silverblatt, 1988).

Le sens symbolique et ethnique du contexte spatial où les victimes étaient enterrées -des montagnes, souvent- est essentiel ici. En effet, dans la cosmovision andine, ces-dernières étaient associées aux divinités (comme Pariacaca), aux centres cosmogoniques (pakarinas ou pakarishkas), ou encore, à la fertilité (Reinhard, 1985).

Par ailleurs, sous un angle politique, l’hypothèse de la mise en place de ce rituel comme mécanisme pour semer la terreur parmi les populations conquises et assurer ainsi leur contrôle, a été avancée. À partir d’une analyse approfondie du rituel et son contexte, Gose (1996) explique que le recours aux oracles était avant tout un acte politique qui permettait de consolider la soumission et la dépendance des caciquats locaux envers l’autorité inca. Ainsi, c’était l’Inca qui décidait au sujet de la pertinence de chaque oracle, et les récompensait le cas échéant, créant ainsi une hiérarchie parmi les huacas, où, bien entendu, le dieu soleil occupait la première place. D’autre part, le fait de réunir les dieux locaux au centre de l’Empire était pratiquement une façon de se les approprier. Pour chaque localité en revanche, la pratique de la capac hucha représentait une manière de redéfinir leurs cultes traditionnels dans le cadre des nouvelles logiques de l’Empire, réussissant ainsi à obtenir la reconnaissance de celui-ci (Silverblatt, 1988).

En guise de conclusion, il convient de signaler que bien que ce type de pratique fasse souvent l’objet de répulsion et de dégoût, les études archéologiques et ethnohistoriques ont permis de surmonter leur côté «sensationnaliste», sanguinaire, voire fascinant. D’un point de vue anthropologique, le rituel de la capac hucha est un exemple éloquent de la façon à travers laquelle une manifestation culturelle à priori isolée est en fait reliée à un ensemble de facteurs, non seulement religieux dans ce cas, mais aussi politiques et historiques.

*Traduction de l’auteur de l’original en espagnol [Équateur] paru dans Apachita N. 12, Laboratorio de Arqueología/PUCE, Ernesto Salazar Éditeur, pp. 3-4. Quito, janvier 2008).

BIBLIOGRAPHIE:

Cieza de León, Pedro. El señorío de los Incas, Collection «Autores Peruanos», Éditorial Universo. Lima, n/d.

Cobo, Bernabé. Historia del Nuevo Mundo, t. II, Biblioteca de autores españoles. Madrid, 1964.

Gose, Peter. «Oracles, divine kinship and political representation in the Inka state», in Ethnohistory, vol. 43, N. 1 (winter 1996), pp. 1-32.

La Hora (quotidien). «El secreto de los sacrificios incaicos», 7/10/2007.

Reinhard, John. «Sacred mountains: an ethno-archaeological study of high andean ruins», in Mountain Research and Development, vol. 5, N. 4, (nov. 1985), pp. 299-317.

Silverblatt, Irene. «Imperial dilemmas, the politics of kinship, and Inca reconstructions of history», in Comparative studies in society and history, vol. 30, n. 1, (jan. 1988), pp. 83-102.

Taylor, Gerald. Ritos y tradiciones de Huarochiri del siglo XVII, IFEA/Instituto de Estudios Peruanos. Lima, 1987.

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