LE PROBLEME TERRITORIAL ENTRE L’EQUATEUR ET LE PEROU, du conflit du Cenepa à la recherche de la paix (EL PROBLEMA TERRITORIAL ECUATORIANO PERUANO, del conflicto del Cenepa a la búsqueda de la paz, THE ECUADOR-PERU TERRITORIAL PROBLEM from the Cenepa conflict to the seach for peace), Ministerio de Relaciones Exteriores de la República del Ecuador, imprenta IGM, Quito-septiembre 1995; pages 3-40. Traduction Claude Lara.

Au cours des mois de janvier et de février 1995, le Pérou a agressé une fois de plus l’Equateur. Les affrontements se sont déroulés dans la zone du haut Cenepa, mais cette offensive s’est aussi étendue à la Cordillère du Cóndor, le bassin de Coangos, le secteur de Cusumaza-Yaupi et à proximité du fleuve Santiago. Ces secteurs se trouvent dans la région amazonienne, au sud-est de l’Equateur. L’armée équatorienne n’a fait que défendre le territoire national et aucun des postes péruviens n’a été attaqué. En revanche, les troupes péruviennes ont pris à partie, par terre et par air, les détachements équatoriens de: Coangos, Banderas, Tiwintza, Base Sur, Cuevas de los Tayos, Condor Mirador, Etza, Teniente Ortiz et Soldado Monge (1). Les défenseurs ont conservé leur position. Comme cela arrive souvent dans ces cas là, l’attaquant a subi des pertes humaines (2) et matérielles importantes dont neuf aéronefs de combat. L’Equateur déplore 31 tués et aucun avion de chasse n’a été détruit.

Surpris par ces échecs militaire et diplomatique, et devant la faillite de ses moyens de communication, le Pérou a de nouveau émis ses mêmes thèses sur le problème qui l’oppose à l’Equateur depuis 173 ans. Le Pérou les a diffusées dans le monde, tout en cherchant à dénigrer son voisin du nord. Le respect de la vérité oblige l’Equateur à répondre au point de vue péruvien. Cependant, avant de le faire, il est indispensable de se souvenir qu’au travers de son histoire, le Pérou a soutenu sur la question frontalière des arguments qui ne reposent ni sur le droit des gens, ni sur les normes internationales et ni sur des principes universellement reconnus, mais sur l’opinion de ses « juristes » et de ses « sommités », créateurs de doctrines et dont l’unique but est de favoriser ses propres thèses.

Les Vice-royaumes et les Audiences. Le Pérou s’est proclamé successeur des droits du Vice-Royaume du même nom (3). Rien de plus illusoire et de plus inexact (4). Durant l’organisation politico-administrative de la colonie, l’essentiel «ce qui était fondamental et permanent» c’étaient les Audiences (Présidences ou Capitaineries Générales). De là naquirent les Républiques de l’Amérique espagnole. L’Equateur est originaire de l’Audience de Quito; la Bolivie de celle de Charcas et le Pérou de celle de Lima (ou de Los Reyes) et de celle de Cuzco. «Les Vice-Royaumes n’ont pas de territoires définis séparément. Leurs frontières étaient celles des Audiences. La Vice-Royauté donnait au Président de cette Audience une sorte de primauté honorifique et juridique» (5). Cependant, cette nostalgie à caractère monarchique n’a rien à voir avec les droits du Pérou ni des pays voisins.

L’origine du droit. Le territoire de la République de l’Equateur, selon ce qui a été dit, a pour origine l’Audience Royale de Quito, créée en 1563, sur la base de ce que fut l’ancien royaume préhispanique du même nom. Très tôt, depuis Quito, l’Espagne a organisé les plus importantes expéditions vers la région amazonienne. De plus, Quito avec ses hommes et ses moyens a créé une épopée missionnaire qui s’est étendue tout au long du fleuve Marañón ou Amazone et qui, d’une part, allait jusqu’aux confins des possessions portugaises et, d’autre part, des hauteurs des champs de chaume jusqu’aux grands affluent méridionaux: le Ucayali et l’Huallaga (6). Comme l’a dit le juriste bolivien reconnu Eliodoro Villazón pour défendre les droits de son pays, les Audiences de Quito et de Charcas étaient contigües sans que s’interposent entre elles celle de los Reyes (7).

La Découverte du Marañón ou de l’Amazone. Sans chercher à fonder sur ce fait le droit équatorien, on ne peut ignorer que c’est depuis Quito et grâce à ses hommes et à leurs efforts qu’a eu lieu la découverte du fleuve Marañón ou Amazone (8). Des historiens péruviens contemporains ont prétendu nier cette réalité, en affirmant que cette découverte s’est faite depuis Cuzco et que Quito n’a été qu’un point de passage sur la route des découvreurs. Thèse qui a été rejetée par les écrivains espagnols les plus sérieux (9) et même par un illustre péruvien qui, tout à la fois, honore la diplomatie, les lettres de son pays et celles du continent (10). (Carte, voir la note à la fin de cet article «Rapport sur la Découverte du Fleuve des Amazones. Actuellement San Francisco de Quito»).

Carte que le gouverneur de Santa Fé de Bogota, Martín de Saavedra y Guzmán a envoyée au Président du Conseil des Indes, le 23 juin 1639, avec le document intitulé: «Rapport sur la DÉCOUVERTE DU FLEUVE DES AMAZONES ACTUELLEMENT SAN FRANCISCO DE QUITO et repréntation de la carte où il est peint».

L’uti possidetis juris. Durant toute l’époque coloniale Quito par son ardeur et sa détermination a conservé son territoire et cette situation s’est maintenue jusqu’en 1810. Cette année marqua le début des mouvements émancipateurs; instinctivement et unanimement les pays américains héritiers de l’Espagne ont adopté comme base juridique et pour son application le principe de l’uti possidetis juris. En accord avec ce principe et conformément aux titres espagnols correspondants, les pays héritiers de l’Espagne avaient pour frontières celles qu’ils possédaient cette année-là. Pour fixer l’extension originaire du territoire des pays provenant de chacune des audiences il faut se référer à cette date. Le fait même de l’établissement de l’indépendance ou de la fusion de deux ou plusieurs audiences, de façon temporelle ou permanente, durant l’époque républicaine et la date réelle de l’émancipation par rapport à l’Espagne, n’a rien à voir avec l’application de ce principe.

De son plein gré Quito a proclamé son indépendance en 1809 tandis que Lima l’a obtenue sous la pression des troupes étrangères en 1821. Quito est devenu complètement indépendante en 1822, bien que deux ans auparavant une partie de son territoire, la Province de Guayaquil, avait secoué les chaînes qui l’attachaient à la métropole. Immédiatement Quito ainsi que la Nouvelle Grenade et le Vénézuéla ont constitué la République de Colombie ou de la Grande Colombie (11), créée par Bolivar, trois ans auparavant. Cette union a duré jusqu’en 1830. Lima n’a obtenu son indépendance définitive qu’entre 1824 et 1825, après la bataille d’Ayacucho et la capitulation de Rodil, au Callao. Rapidement et en une union passagère, Lima s’est confédérée avec la Bolivie. Cette unité fut rompue quelques années plus tard, Lima perdant durant un peu moins d’une décade son statut de pays libre et souverain, du fait de la guerre du Pacifique et de l’occupation chilienne de son territoire.

Mais rien de ceci, répétons-le, ne change en quoique ce soit le droit acquis par ces pays, héritiers des Audiences, du fait du principe de l’uti possidetis juris de 1809-1810 et qui, dans le cas de l’Equateur et du Pérou, a été repris et inscrits dans le Traité de Guayaquil, de 1829.

L’ordonnance royale de 1802. Cependant on a soutenu que, conformément a l’uti possidetis juris, l’Equateur ne pouvait réclamer les Provinces orientales de Mainas et de Quijos qui ont été détachées du Vice-royaume de Santa Fe et de l’Audience de Quito puis rattachées au Vice-royaume de Lima et à l’Audience de los Reyes par l’ordonnance royale de 1802. Cette ordonnance, présentée tardivement par le Pérou malgré sa parfaite connaissance, fixait deux délimitations différentes: l’une ayant un but ecclésiastique et l’autre militaire. Celles-ci reposaient sur des principes et des processus différents. C’est ainsi que l’une portait sur la navigabilité des fleuves et l’autre mentionnait des circonscriptions et des populations. Comment peut-on avoir une entité politico-administrative avec deux délimitations différentes et qui sont absolument inconciliables entre elles? Le Pérou, conscient de cette réalité, a donné à cette ordonnance le nom «d’acte de fondation de l’Evêché de Mainas», reconnaissant ainsi son caractère ecclésiastique et celui-ci sur la carte officielle du haut et du bas Pérou, éditée en 1826, a ignoré cette ordonnance. Des cartes européennes aussi importantes que celle de Baker, de 1804, ont ignoré cette ordonnance, bien que connaissant son existence.

Quito et la Grande Colombie. En 1822 l’Equateur faisait partie de la République de Colombie, créée trois ans auparavant par Bolívar. Son apport territorial, indiqué dans la loi du 25 juin 1824 comprenait Quijos, un canton de la Province de Pichincha, Jaén de Bracamoros et Mainas, comme Province du Département de l’Azuay et du Département de Guayaquil (12). Ce Département d’une grande importance a toujours fait partie de l’Audience de Quito. Le représentant de la couronne d’Espagne, Francisco de Requena, dans son rapport au Conseil des Indes de 1817 a indiqué que «en ce qui concerne les affaires civiles, criminelles et les finances royales de la Province de Guayaquil, celles-ci resteront toujours soumises à l’Audiences de Quito et que cela devait en être ainsi puisque le Conseil l’a décidé lors de sa libération du 9 novembre 1807». (Carte, voir la note à la fin de cet article «Carte officielle du Pérou publiée par le Gouvernement péruvien en 1828, lorsque l’Equateur étai’ un Département de la Colombie»).

Les prétentions du Pérou pour obtenir l’annexion de Guayaquil furent totalement écartées après la proclamation de l’Assemblée des Représentants de cette Province, le 31 juillet 1822, dans le sens où Guayaquil faisait définitivement partie de la République de Colombie. La persistante affirmation péruvienne selon laquelle Guayaquil a envoyé son représentant à la Première Constituante de ce pays en 1823 (13), ne repose sur aucun fondement.

La bataille de Tarqui et le traité de Guayaquil. Le problème territorial avec le Pérou a commencé le 20 juin 1822 lorsque la Grande Colombie a réclamé au Pérou l’adoption d’un règlement électoral qui comprenait les Provinces de Quijos et de Mainas; quelque chose de similaire se produisit aussi avec la Province de Jaen. Bien que postérieurement le Pérou limita ce type de convocation à des secteurs situés au sud du Marañón; ses prétentions n’ont pas cessé. La situation s’est aggravée le 27 février 1829 lorsque les deux nations s’affrontèrent. L’armée péruvienne en nombre deux fois supérieur, fut taillée en pièces à la bataille de Tarqui.

Comme conséquence des négociations postérieures à cette bataille, le Traité de Guayaquil a été signé le 22 septembre 1829. La République de Colombie, à la demande du Pérou, loin de réclamer la totalité de ses droits a cédé tous les territoires qui au sud Marañón-Amazone avaient appartenu traditionnellement a Quito, c’est-à-dire l’actuelle République de l’Equateur. Le Traité a été amendé et il a été établi, comme frontière entre les pays, ce que le Pérou avait demandé dans le troisième protocole préalable au Traité. Ainsi, la ligne de démarcation «pouvait avoir comme origine le fleuve Tumbes, suivre une diagonale jusqu’au Chinchipe et continuer son cours jusqu’au Marañón. Cette limite étant la plus naturelle et la plus marquante entre les territoires des deux pays. Elle a été reportée sur toutes les cartes géographiques anciennes et modernes». Le Pérou s’est réjoui de cette ligne transactionnelle qui signifiait, pour la République de Colombie, de renoncer au «scrictum jus». (Carte, voir la note à la fin de cet article «Carte de la République de la Colombie»).

Le Protocole Mosquera-Pedemonte. Le 11 août 1830, à Lima, a été signé le Protocole Mosquera-Pedemonte exécutoire du Traité de Guayaquil et par lequel il fut établit que la frontière suivrait les fleuves: Tumbes, Macará et Marañón. Ainsi il était reconnu que la rive septentrionale du fleuve Marañón ou Amazone faisait partie de la République de Colombie et que cette dernière devait décider si la ligne suivrait le tracé du fleuve Huancabamba, comme l’exigeait ce pays, ou bien celui du Chinchipe comme le soutenait le Pérou.

Le Pérou a soutenu que ce Protocole n’existait pas, malgré la multiplicité des preuves de son authenticité. De nombreux documents officiels péruviens reconnaissent l’existence de ce Protocole. Dans le Mémorandum de la Commission Spéciale de 1889 il y est dit que: «…ensuite en 1830, apparaît le Protocole Pedemonte-Mosquera, dans lequel le Plénipotentiaire péruvien mentionne l’existence de l’ordonnance royale de 1802…» (14). En 1890, le Ministre Plénipotentiaire péruvien à Quito, monsieur Arturo García, négociateur du Traité Herrera-García écrivait que: «cette affaire, déjà si défavorable pour nous (les péruviens)…viendrait à se compliquer davantage et nous obligerait peut-être à nous heurter à un jugement contraire à nos intérêts, lorsque l’Equateur montrera le Protocole souscrit le 11 août 1830 à Lima par les Plénipotentiaires Monsieur Carlos Pedemonte et le Général Tomás C. Mosquera…» Le Ministère des Affaires Etrangères du Pérou a incorporé en 1891 le texte du Protocole au Mémoire Réservé du Ministre des Affaires Etrangères Alberto Elmore, sous le titre: «Protocole entre le Ministre de la République de Colombie à Lima et le Ministre des Affaires Etrangères du Pérou sur les principes qui doivent servir à la démarcation frontalière exposée dans le Traité de 1829» (15).

Ce fut l’actuelle Colombie qui a remis au Gouvernement de l’Equateur le texte certifié du Protocole et qui l’a mentionné et publié à plusieurs reprises. Le 31 décembre 1907, le Ministre des Affaires Etrangères de Colombie s’est adressé au Chargé d’Affaires à Lima, en ces termes.

«Le Protocole Mosquera Pedemonte qui figure encore dans les recueils officiels du Pérou, est un Accord international en forme solennelle par lequel Monsieur Carlos Pedemonte, Ministre des Affaires Etrangères du Pérou et le Général Tomás C. Mosquera, Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire de Colombie au Pérou ont définitivement levé le doute sur l’exécution du Traité du 22 septembre 1829. Par cet Accord il a été reconnu à la Colombie un droit absolu de souveraineté sur tout le territoire de la rive gauche du Marañón ou de l’Amazone. Il restait en suspens la démarcation qui devait suivre soit le cours du Chinchipe ou du Huancabamba. Ce Ministère des Affaires Etrangères ne voit aucune raison qui permettrait de douter de l’existence de ce Protocole ou de remettre en cause son authenticité».

La dernière publication officielle du Protocole en Colombie est celle qui figure dans l’œuvre de José María de Mier, «la Grande Colombie», éditée par le Secrétariat du Ministère des Affaires Etrangères de Colombie, à Bogota en 1983, pages 1795 à 1797, présentée personnellement et sous les auspices du Président de la République, Belisario Betancourt. Nier l’existence et l’authenticité de ce Protocole équivaudrait à injurier gravement la République de Colombie et ses plus illustres magistrats.

En faveur de la thèse de l’inexistence du Protocole, le Pérou a soutenu comme argument clef qu’à cette date le négociateur colombien, Mosquera, n’était pas à Lima, selon les affirmations de la presse péruvienne de l’époque. Il est vrai que Mosquera était parti de cette ville plusieurs jours avant le 11 août. Fatigué par de permanentes réclamations adressées au Pérou et parmi celles-ci le retard dans le paiement de la dette due à l’indépendance et sans ressources pour subsister à Lima, Mosquera a décidé de rejoindre la frégate «Colombia» qui mouillait dans le port de Callao. Celui-ci y resta jusqu’à la signature du Protocole.

Le problème limitrophe durant l’époque républicaine. En 1830 l’Equateur se sépare de la Grande Colombie et s’ouvre à l’indépendance avec les limites qui ont été fixées par le Traité de Guayaquil et le Protocole Mosquera Pedemonte. La Constitution du 11 septembre 1830 ratifie cette délimitation, suivie quelques années plus tard par l’Espagne, qui tout en reconnaissant l’Equateur, admet aussi cette délimitation.

Dans le projet du Traité d’Amitié Noboa-Pando de 1832 les deux pays indiquent que: «jusqu’à ce que l’on parvienne à conclure un accord sur les frontières entre les deux Etats, les Traités actuels seront reconnus et respectés»; les deux parties se référant bien à ceux de 1829. Cependant, le Pérou a affirmé que le Traité de 1832 «reconnaissait la souveraineté du Pérou sur: Tumbes, Jaen et Mainas». Cette position contredit le principe de l’uti possidetis juris que le Pérou devait respecter. De plus, pour ne pas avoir échangé les instruments de ratification, ce Traité n’est jamais entré en vigueur et quelqu’ait été l’intention du Pérou, ce ne fut qu’un simple projet de convention. Celui-ci ayant même estimé que «juridiquement il n’était pas entré en vigueur».

Depuis lors et durant l’époque républicaine, l’Equateur a fait les plus grands efforts pour trouver une solution pacifique, juste et honorable à cette controverse contre le Pérou en recourant à tous les modes de règlement pacifique des différends existant comme la médiation, l’arbitrage, les formules mixtes, les négociations directes, etc. Efforts qui se sont toujours heurtés au refus déterminé du Pérou ou à des manœuvres de sa part pour faire traîner les choses ou les faire échouer. Il continua d’occuper le territoire équatorien et consolida ses positions pour, finalement, justifier l’emploi de la force, comme ce fut le cas avec le Protocole de Rio de Janeiro de 1942.

C’est ce qui se produisit avec le Traité Herrera-García de 1890 qui reconnaissait le droit équatorien sur le fleuve Marañón ou Amazone jusqu’au point de rencontre avec le Pastaza. Cependant, après avoir été approuvé par l’Assemblée Nationale équatorienne, le Pérou l’a modifié unilatéralement de façon inadmissible. De même en 1910, du fait des manœuvres du Pérou, le processus d’arbitrage du Roi d’Espagne a échoué de peur que la sentence lui soit défavorable; pareillement les négociations de Lima, en exécution du Protocole Ponce Castro Oyanguren de 1924 ont échoué. Le Pérou a cherché à profiter de ces négociations pour faire valoir comme ligne de «statu quo» les possessions orientales de l’Equateur. En l’interprétant à sa manière, le Pérou a passé sous silence ses propres appropriations. Ses positions étaient bien éloignées de celles de l’Equateur. Du fait de la volonté contraire du Pérou, les négociations de Washington portant sur des points qui n’avaient pas pu faire l’objet d’accord entre les Parties ont non seulement échoué, mais également la proposition d’arbitrage du Président des Etats-Unis d’Amérique.

L’invasion péruvienne de 1941. Selon son plan d’occupation du territoire équatorien, qu’il avait déjà mis en place depuis les origines même de l’Equateur, le Pérou, au travers de ses institutions militaires préparait depuis longtemps et avec grand soin l’invasion de notre pays. Le passage à l’acte débuta le 5 juillet 1941 par une agression «test» dans la Province équatorienne de «El Oro». L’Argentine, le Brésil et les Etats-Unis d’Amérique, qui agissaient en qualité de médiateurs (16), ont suggéré de mettre un terme aux hostilités. Cependant, malgré l’acceptation de cette proposition par l’ensemble des Parties, le 23 juillet, le Pérou repris son offensive contre quelques postes militaires équatoriens dégarnis. Ceux-ci furent conquis le 26 du même mois. Durant les premières semaines d’août, les forces péruviennes attaquèrent dans l’Amazone équatorienne plusieurs de ces postes affaiblis qui ne présentaient plus que l’existence d’une souveraineté symbolique.

Le Pérou a agi de la sorte afin de tirer parti de la grave crise que traversait l’Equateur et du fait de la faiblesse de son dispositif militaire. Le déséquilibre des forces, aussi bien en combattants qu’en matériels, était gigantesque. L’Equateur ne pouvant guère résister, aucun succès militaire n’était donc possible. Cette agression a créé un précédent pouvant conduire à la répétition de situations semblables.

Le Protocole de Rio de Janeiro. En décembre 1941, après l’attaque japonaise sur la base nord-américaine de Pearl Harbor, la Troisième Réunion de Consultation des Ministres des Affaires Etrangères Américains avaient été convoquée à Rio de Janeiro pour fixer une position commune des nations américaines à l’égard de l’agression extra continentale (vu le peu d’intérêt porté à l’agression continentale). Les délibérations se déroulèrent entre le 15 et le 28 janvier 1942. A la fin de cette réunion, le 29 janvier 1942, le soi-disant Protocole de Paix, d’Amitié et de Délimitation des Frontières avait été signé par l’Equateur et le Pérou.

L’article II de ce Protocole constate l’occupation militaire péruvienne des Provinces équatoriennes de «El Oro» et «Loja», en établissant un délai de quinze jours, à partir de la date de signature pour que le Pérou retire ses troupes sur la ligne de frontière indiquée à l’article VIII. D’autres articles confirment cette même occupation. L’ensemble du processus de perfectionnement formel du Protocole a été effectué sans que le Pérou n’ait enlevé toutes ses forces militaires du territoire équatorien. Le Pérou ne s’est jamais retiré de certaines localités qui demeurent sous son contrôle. Peu de temps après la signature de cette convention, la brochure intitulée: «Le Protocole de Rio devant l’histoire», a été largement diffusé et est parue en même temps que le traité. Le Pérou soutenait que, grâce à ce traité, il avait obtenu 200.000 kilomètres carrés de plus que le Traité de Guayaquil, du 22 septembre 1829 (17).

La démarcation. Comme on pouvait le craindre, l’exécution du Protocole de Rio de Janeiro n’a pas eu de suite juste. Ni l’arrogance, ni la contrainte, qui avaient dominé jusqu’alors, n’ont pu être écartées. Le Pérou a continué d’agir avec inimitié en essayant de causer le plus grand dommage possible à l’Equateur et en annexant davantage de territoires qu’il en avait déjà obtenus par les armes. De cette façon, la ligne de frontière, jusqu’où la démarcation avait été possible, a connu de nombreuses et de sérieuses variations avec ce qui avait été approuvé à Rio de Janeiro. Bien plus, le Pérou qui soi-disant se faisait le champion de l’intangibilité des traités, non seulement par cette attitude a modifié unilatéralement le Protocole, mais, en allant ouvertement à l’encontre de la sentence de l’arbitre brésilien Dias de Aguiar qui avait résolu plusieurs des controverses limitrophes, occupait illégalement plus de 80 kilomètres carrés de territoire, dans le secteur de Lagartococha. Cette zone avait été assignée à l’Equateur par l’arbitre brésilien. Des diplomates péruviens sérieux ont regretté cette conduite gouvernementale durant le processus de démarcation. C’est la raison pour laquelle, à ce jour, les problèmes entre les deux pays sont restés sans solution (18).

Le problème de Zamora-Santiago. Dans le secteur septentrional de la zone comprise entre les fleuves Zamora et Santiago, au nord de la source du Cenepa, est apparu un problème de démarcation dû au fait que le Pérou voulait tracer une ligne jusqu’au confluent des fleuves Paute-Zamora pour la prolonger ensuite jusqu’à la conjonction du fleuve Yaupi avec le Santiago. L’Equateur au contraire considérait que la frontière devait se situer juste à l’embouchure du fleuve Yaupi sans passer par cette confluence. Lors de la sentence de 1945 l’arbitre a donné raison à l’Equateur.

Dans le secteur méridional de cette zone aucun problème n’avait surgi à la date où la sentence avait été rendue et on avait commencé la démarcation par l’accident géographique que l’on supposait être le «divortum aquarum» prévu par le Protocole. Pour faciliter le processus de démarcation et à cause des difficultés topographiques de cette zone, les deux pays ont demandé l’appui de la force aérienne des Etats-Unis qui après quatre années de travail, a remis aux différentes Parties un plan aérophotogrammétrique de la région (19). Ce plan montrait qu’entre le Zamora et le Santiago il n’y avait pas qu’une seule division entre ces cours d’eau, mais plusieurs, du fait de l’interposition d’un troisième système fluvial, celui du Cenepa, dont la véritable extension de plus de 190 kilomètres était alors inconnue (20). La présence du Cenepa, affluent direct du Marañón, faisait apparaître l’existence d’au moins deux divisions majeures de ces cours d’eau: une, entre le Zamora et le Cenepa et l’autre, entre le Cenepa et le Santiago. Le texte du Protocole ne les avait pas pris en compte comme frontière. Cette réalité géographique rendait inexécutable physiquement et juridiquement le Protocole de Rio de Janeiro dans ce secteur à cause d’une erreur capitale, inscrite dans le texte même.

Les efforts pour résoudre ce problème. En 1949, pour régler ce problème, l’Equateur proposa au Pérou de constituer une Commission Mixte Spéciale qui se chargerait de vérifier la réalité géographique de la zone Zamora-Santiago. Le Pérou n’a pas accepté cette proposition et il prétendit que la démarcation continuerait, selon son bon vouloir. En mars 1950, l’Equateur insistait sur sa requête et obtenait le même résultat. En 1956, le Ministère des Affaires Etrangères péruvien rejeta également une proposition des Pays Garants qui suggéraient que cette affaire soit soumise à l’étude de «l’Interamerican Geodesic Service». Depuis lors, le Pérou a maintenu qu’il n’y avait aucun problème en suspend entre les deux pays (21). Cette position ne résout rien et ne pallie pas l’inexistence de la division du cours d’eau, mentionnée par le Protocole.

Les arguments péruviens. Le Pérou a soutenu que le cas de Zamora-Santiago a été résolu par la sentence de l’arbitre brésilien Dias de Aguiar, rendue le 15 juillet 1945 qui portait sur plusieurs divergences apparues lors de la démarcation de la frontière de 1942. Pour cette raison il n’y a pas lieu de poursuivre cette discussion. Cette attitude ne repose sur aucun fondement puisque la sentence de Dias de Aguiar a été prononcée en juillet 1945 et que le litige sur le secteur méridional de cette zone a seulement surgi en 1947, après la connaissance du plan aérophotogrammétrique des Etats-Unis. Comment Dias de Aguiar a-t-il pu résoudre un problème qui n’existait pas encore? Par ailleurs la sentence de Aguiar portait uniquement sur le secteur septentrional de cette zone, où, à cette date était apparu un autre point litigieux dont le contenu et la solution sont complètement différents du secteur méridional. Au nord, le divortium aquarum entre le Zamora et le Santiago existait bien, malgré le fait que cette ligne n’est pas été retenue par l’arbitre. Pour le reste le Pérou a reconnu à plusieurs reprises que le secteur méridional de la zone Zamora-Santiago n’avait pas fait l’objet de sentence arbitrale (22).

Le Pérou en marge du droit. Pour les raisons que nous avons exposées cette zone n’est pas encore délimitée du fait de l’inapplicabilité du Protocole. Celle-ci se situant au nord du Marañón et à l’ouest du Santiago a toujours été équatorienne. Le Pérou a reconnu que «plus encore à cet endroit-là, ses droits ne reposaient sur pas grand-chose», qu’en ce qui concerne ce secteur le Pérou ne pouvait apporter «la moindre justification », qu’il ne pouvait la revendiquer «n’ayant aucun droit digne d’attention » et que ses aspirations ne reposaient sur aucun titre ni aucun motif et qu’il ne pouvait faire aucune revendication «sous couvert de la justice». De plus, à une date récente (23), un Ministre des Affaires Etrangères du Pérou, lors de déclarations à la presse, a reconnu que son pays avait occupé cette zone en septembre 1938 seulement, de façon que pas même la possession -si elle avait été légitime, et ce n’est pas le cas- pourrait lui être favorable. Par cette déclaration, ce Ministre des Affaires Etrangères, admettait que son pays avait violé ouvertement et de façon manifeste une convention solennelle en vigueur sur le «statu quo», comme l’Acte de Lima de 1936.

La Cordillère du Cóndor. Malgré l’inexécutabilité du Protocole de Rio dans le secteur Zamora-Santiago, le Pérou prétend qu’il reste seulement à délimiter 78 kilomètres dans la Cordillère du Cóndor. Le Pérou est allé jusqu’à soutenir que le Protocole mentionnait cette cordillère. Cela est totalement faux. Dans le Protocole même il n’y a rien qui permette d’affirmer que la ligne doive suivre ce relief. C’est contraire à la vérité; il suffit de rappeler en effet la communication adressée le 18 octobre 1943 par le Président de la Sous-Commission péruvienne de démarcation à celui de l’Equateur, dans laquelle il est dit que: «si les grands esprits qui ont conçu le Protocole de Rio et lui ont donné naissance avait estimé que la Cordillère du Cóndor, ou pour être plus précis que la ligne de crête tracée, devait suivre la frontière, ils n’auraient pas hésité à l’écrire ainsi. Mais contrairement à cela, le Protocole n’indique pas que la Cordillère du Cóndor doive servir de frontière, mais à aucun moment il n’en fait mention ». «Il me semble -ajoute le fonctionnaire péruvien- que ce serait aller à l’encontre de l’esprit et de la lettre du Protocole de Rio de Janeiro que de vouloir introduire comme instrument juridique de la démarcation ce relief qui ne correspond pas à celui décrit par le Protocole…»

De la même façon l’arbitre n’a pas retenu la Cordillère du Cóndor comme élément de démarcation. Dans les conclusions de sa sentence il dit que conformément au Protocole, la démarcation «doit suivre le divortium aquarum Zamora-Santiago», «sans se soucier de la Cordillère du Cóndor comme ligne de frontière».

Ainsi, dans cette zone le Pérou a fait valoir que la frontière était la Cordillère du Cóndor, comme cela avait été indiqué en légende sur la carte aérophotogrammétrique de 1947 de la Force Aérienne des Etats-Unis d’Amérique. Ce fait en lui-même n’a pas de signification juridique, de plus, le Département d’Etats des Etats-Unis expliqua dans le Mémorandum du 7 mai 1952, remis à l’Ambassade de l’Equateur à Washington, qu’avec cette carte, «en aucune façon nous n’avons cherché à déterminer la frontière».

Rien n’oblige donc l’Equateur à accepter la Cordillère du Cóndor comme frontière. Mais que ce serait-il passé dans le secteur de Zamora-Santiago si l’arbitre avait voulu que cette cordillère soit la frontière entre les deux pays? Il suffit de regarder la carte dont Dias de Aguiar s’est servi, lors de sa sentence et qui est bien la carte de la région que l’arbitre a remis au Président de la Sous-Commission péruvienne de délimitation, le Colonel Félix Barandiarán. Sur cette carte péruvienne, la Cordillère du Cóndor suit les rives du San Francisco jusqu’au sud-est tout d’abord et ensuite s’infléchit vers le sud, en longeant le fleuve Chirinos puis le Chinchipe jusqu’à la source du Marañón. C’est à cette cordillère, et pas à une autre, que le Protocole faits allusion. Si le Pérou persévère dans cette voie, l’Equateur pourrait accepter que se poursuive cette délimitation jusqu’au fleuve Marañón, conformément à la carte du Colonel péruvien Barandiarán, pour ensuite, depuis un point de ce fleuve aller chercher la ligne la plus directe et la plus facilement reconnaissable jusqu’à la confluence du fleuve Yaupi.

Les conflits de 1981 et 1991. En janvier et février 1981, le Pérou a attaqué à plusieurs reprises les garnisons militaires de Paquisha, Mayaycu et Machinaza, situées sur le versant oriental de la Cordillère du Cóndor, dans le secteur de Zamora-Santiago où, selon ce qui a été dit, il n’y a pas de frontière ni de démarcation, et sur lequel le Pérou n’a aucun droit comme il l’a reconnu lui-même. Les garnisons militaires équatoriennes n’étaient donc pas en territoire péruvien. L’agression était totalement injustifiée. Malgré le succès diplomatique obtenu devant l’Organisation des Etats Américains par l’Equateur et reconnu par le Pérou (24), l’Equateur a été obligé de retirer ses troupes sur le versant occidental de la cordillère. Cependant, lors du message du 25 février 1981 portant sur les conversations militaires et adressé aux gouvernements de l’Equateur et du Pérou, les quatre Pays Garants ont souligné que «rien de ce qui a été accepté par les Parties, lors de ces accords sur le terrain ni les termes employé, n’auraient d’incidences sur leurs positions juridiques».

A aucun moment ceux-ci ont affirmé -et ils ne pouvaient faire autrement- que le versant oriental de la Cordillère du Cóndor, là où se sont produits les incidents militaires, était péruvien. Ce fut le Pérou qui unilatéralement a voulu imposer sa souveraineté dans cette région qui n’était pas délimitée.

Quelque chose de semblable s’est produit en 1991 dans le secteur de Cusumaza-Yaupi, où le Pérou à l’intérieur du territoire équatorien avait créé un poste militaire, le «P.V. Pachacútec». Cette affaire a failli déclencher un nouvel affrontement armé qui a pu être évité grâce à un «gentlemen’s agreement» que le Ministère des Affaires Etrangères Péruvien n’a pas voulu respecter (25). La presse péruvienne a reconnu le bien-fondé de la position équatorienne.

Le conflit du haut Cenepa. Tout ce qui a été exposé ci-dessus n’a pas pour but que de tracer le contour historique et juridique des faits survenus au cours des premiers mois de 1995 dans le secteur du haut Cenepa. Faits non imputables à l’Equateur. Le Gouvernement équatorien, la presse nationale et surtout les médias étrangers ont montré que le conflit a débuté par une attaque surprise des forces militaires péruviennes sur des postes équatoriens situés à la naissance du fleuve Cenepa. Les bombardements et l’attaque massive du Pérou se sont étendus aussi à des zones controversées qui n’étaient pas comprises dans le Protocole de Rio, comme les détachements équatoriens de: Soldado Monge, Teniente Ortiz, Coangos, Cóndor Mirador et de quelques villages environnants.

Les forces armées de l’Equateur n’ont fait que se défendre. La meilleure preuve étant que le Pérou n’a jamais parlé d’attaques équatoriennes contre ses postes militaires, ni contre ses habitants. Ce qui aura attiré l’attention de la Communauté Internationale c’est la volonté péruvienne de faire croire qu’un pays doté uniquement d’armement défensif comme l’Equateur, se soit aventuré à agresser un voisin qui, selon les déclarations de son Président, compte avec l’armée la mieux équipée du continent.

Comme on a pu le constater durant le processus actuel de séparation des forces militaires -démilitarisation et démobilisation- que mène à bien la Mission des Observateurs des Pays Garants, les positions où doivent se replier les forces militaires de l’un et l’autre pays ont été fixées. Au point 4 de la Déclaration d’Itamaraty du 17 février 1995, souscrite par l’Equateur et le Pérou au sujet d’un accord de cessez-le-feu, séparation des forces, démilitarisation et démobilisation, il a été fixé comme cela a été fait en 1981, que ces «modifications géographiques… serviraient seulement pour l’application de ce processus de démilitarisation et de séparation des forces» et qu’en aucun cas, ces références territoriales n’auraient de conséquences juridiques.

Quand le Pérou affirme que ces zones de conflit font parties de son territoire, cette simple comparaison sur ce qui s’est passé au cours de l’un et l’autre conflit, fait ressortir toute cette duplicité, déjà dévoilée antérieurement. Aujourd’hui en 1995, ni l’Equateur et pas plus que les Pays Garants, permettront que le Pérou déforme le véritable sens de cette accord exclusivement militaire, dont l’objectif est la pacification du secteur qui n’est pas délimité et qui restera ainsi jusqu’à ce que soit négocié une ligne de frontière équitable. Le fait que le Pérou soutienne que des régions où se sont déroulés les affrontements lui appartiennent n’a aucun fondement géographique et juridique, puisque ce secteur fait partie du territoire national, depuis des temps immémoriaux.

L’inexécutabilité du Protocole de Rio de Janeiro. Un Protocole de délimitation comme celui de Rio de Janeiro, comportant une erreur capitale vu qu’il fait allusion à des réalités géographiques inexistantes ne peut être exécuté sur la base d’une ligne imaginaire inventée par l’une des parties qui, intentionnellement, soutient contre toute vérité, qu’il existe un divortium aquarum entre les fleuves Zamora et Santiago. Affirmation qui a été techniquement et clairement rejetée.

Comme l’a proposé l’Equateur au Pérou, en 1949, en cas de doute, il faudra réaliser une étude détaillée et technique de la zone Zamora-Santiago pour déterminer avec exactitude la particularité géographique prévue dans le Protocole et s’il y a erreur essentielle, négocier entre les deux pays une nouvelle ligne de frontière dans cette zone. L’inexécutabilité du Protocole de Rio établie par l’Equateur est manifeste et indiscutable et ne peut donner lieu à aucune équivoque, comme le voudrait le Pérou, en adoptant une position qui subordonne le traité à une simple «évolution des connaissances géographiques». Un traité tout en étant en vigueur, peut contenir une erreur essentielle qui empêche son exécution. (Carte, voir la note à la fin de cet article: «République de l’Equateur».

Les impasses subsistantes. Durant les délibérations longues et complexes qui se sont tenues en février de cette année, d’abord à Rio de Janeiro puis à Brasilia, entre les Vice-Ministres des Affaires Etrangères de l’Equateur et du Pérou et les représentants des Pays Garants, la position équatorienne mentionnée antérieurement a été bien comprise par les interlocuteurs puisqu’au point 6 de la Déclaration d’Itamaraty, en soulignant l’obligation des Parties «d’entamer des conversations… pour trouver une solutions aux impasses subsistantes», ils ont fait allusion à ce besoin de négocier pour surmonter l’inexécutabilité du Protocole de 1942. De plus en tenant compte d’autres problèmes liés à l’exécution de ce même instrument, ceux-ci restent à ce jour sans solution.

Bien plus, ce paragraphe ratifie la Déclaration formulée par les Pays Garants, le 5 février 1995 à Rio de Janeiro. Par le biais de cette Déclaration ils lancèrent «un appel solennel aux Parties pour résoudre ce problème, compte tenu de l’urgence d’éviter des pertes humaines et de rétablir la paix».

Cependant, la violente campagne diplomatique du Pérou a jeté un grand trouble en portant des accusations en tout genre contre l’Equateur. Cela s’est accentué quand ce pays a affirmé de manière persistante que dans la Déclaration d’Itamaraty lorsqu’il a était fait référence aux «impasses subsistantes», le Pérou, «ne se sentait nullement engagé». La Communauté Internationale saura apprécier cette attitude et les Pays Garants l’auront dûment pris en compte.

A la recherche d’une solution définitive. A partir de 1942, l’Equateur n’a eu qu’une seule réaction face au Protocole de Janeiro: le rejet. En effet, nous le savons tous très bien, ce Protocole a été imposé par la force à un pays pacifique et sans défense qui n’a jamais prétendu devenir une puissance militaire.

Au cours des dernières décennies, l’Equateur a invité le Pérou à chercher un terrain d’entente qui permettrait de trouver un arrangement définitif au litige par l’un des modes de règlement pacifique des différends. D’abord en surmontant les vices du consentement qui affectent la validité même du Protocole de Rio de Janeiro, comme par exemple l’usage de la force et, ensuite, en incluant une inexactitude géographique évidente qui empêche son exécution dans la zone de Zamora-Santiago, du fait de l’inexistence du divorium aquarum mentionné dans cet instrument.

En s’efforçant de nouveau à rechercher un accord avec le Pérou, l’Equateur a déclaré que ce Protocole était en vigueur, malgré tous les vices qui l’invalident. L’Equateur renouvelle son invitation au gouvernement péruvien pour qu’il accepte de régler les «impasses» subsistantes.

Au vu du travail de pacification que réalise la Mission des Observateurs des Pays Garants dans la zone du conflit, l’Equateur compte sur cette aide de grande valeur pour qu’elle se prolonge et soit couronnée de succès. Ainsi, «dans un climat de détente et d’amitié entre les deux pays» -comme l’indique le point 6 de la Déclaration d’Itamaraty- l’Equateur et le Pérou pourront initier des conversations pour trouver une solution négociée, globale, digne et définitive au problème territorial qui, une fois de plus, a causé tant de dommages aux deux pays et à leur population.

Le Ministère des Affaires Etrangères de l’Equateur a bon espoir pour que le Pérou prenne conscience que la coexistence pacifique est ce que leurs peuples peuvent espérer de mieux. Il faut qu’il accepte de négocier avec l’Équateur la solution définitive au problème territorial, dans un climat de justice et de dignité. Cela permettra de cette façon aux deux nations, unies par des liens anciens et nécessaires, d’ouvrir, dans un futur proche, une nouvelle voie basée sur la fraternité et le progrès.

*Au sujet des cartes se trouvant dans cette publication, voici les traductions des légendes:

– Entre les pages 8 et 9 de la publication du Ministère et entre les pages 2 et 3 de cette traduction:
Carte que le gouverneur de Santa Fe de Bogotá, Martín de Saavedra y Guzmán a envoyé au Président du Conseil des Indes, le 23 juin 1639, avec le document intitulé: «Rapport sur LA DECOUVERTE DU FLEUVE DES AMAZONES. ACTUELLEMENT SAN FRANCISCO DE QUITO et représentation de la carte où il est peint».

– Entre les pages 13 et 14 de la publication du Ministère et entre les pages 4 et 5 de cette traduction:
Carte officielle du Pérou publiée par le Gouvernement péruvien en 1828, lorsque l’Equateur était un Département de la Colombie.

– Entre les pages 14 et 15 de la publication du Ministère et entre les pages 5 et 6 de cette traduction:
Carte de la République de Colombie.

– Entre les pages 22 et 23 de la publication du Ministère et entre les pages 7 et 8 de cette traduction:
République de l’Equateur.

– Entre les pages 36 et 37 de la publication du Ministère et entre les pages 13 et 14 de cette traduction:
Zone Zamora – Cenepa – Santiago.

NOTES:

(1) Et également des villages comme San José de Fátima.

(2) Les affrontements terminés, le Pérou a déploré près de 168 soldats tués. Information qui ne semble pas correspondre à la réalité. Les pertes humaines seraient deux ou trois fois supérieures.

(3) Droits qui, du fait même de l’indépendance même, ont cessé d’exister.

(4) Au sujet du Vice-royaume, le Pérou, selon sa propre décision, a seulement hérité du nom. Cet argument n’a aucune importance mais il faut bien préciser qu’il n’y a aucun lien historique entre l’origine de ce nom et le Pérou actuel.

(5) Julio Tobar Donoso y Alfredo Luna Tobar: Derecho Territorial Ecuatoriano, IV edición, Quito-Ecuador; page 9.

(6) Pour récompenser et encourager cette formidable conquête et leur œuvre missionnaire, le Roi avait accordé à Quito, en 1563, un double district. Le premier à caractère royal avec des provinces et des frontières précises et l’autre virtuel, qui permettait à l’Audience de Quito d’étendre ses droits sur tous les territoires qu’elle découvrirait et coloniserait dans le futur.

(7) Plaidoirie du Gouvernement bolivien lors de la sentence arbitrale portant sur la frontière avec le Pérou, page XIII.

(8) Le Pérou est très contrarié par les prouesses réalisées par les habitants de Quito, surtout quand on associe notre pays à la conquête et à l’évangélisation de l’Amazone. Plus encore, lorsqu’on se réfère à la découverte du fleuve Marañón-Amazone par des gens de Quito; réalité historique, quelqu’en soit les conséquences juridiques. Le Pérou soutient en échange que Quito n’a été qu’un lieu de passage ou une étape durant cette expédition. L’histoire nous apprend tout autre chose. Dans sa lettre au Roi d’Espagne, datée du 3 septembre 1542, à Tomebamba, Gonzalo Pizarro, chef de l’expédition, indique: «Depuis la ville de Quito j’ai écrit à Votre Majesté en lui faisant savoir… que j’ai reçu d’importantes informations de Quito et ses environs et comment de vieux et puissants chefs indigènes ainsi que des espagnols résidents m’ont confirmé que la Province de la Cannelle et de la région du Lac El Dorado étaient très peuplées et très riches; raison pour laquelle je me suis décidé à la conquérir et à la découvrir…». Dans le Mémorial que Francisco de Orellana, découvreur de l’Amazone, a adressé au Roi en 1543, l’informant de son exploit, il signale qu’il est bien parti de Quito. «L’Accord de l’année 1544 qui a été passé avec Francisco de Orellana pour la découverte et la colonisation de la nouvelle Andalousie», signé par le Prince des Asturies futur Roi Philippe II, indique ce qui suit: «Du fait que vous, Capitaine Francisco de Orellana, m’avez assuré avoir servi l’Empereur et le Roi mon Seigneur…et compte tenu du désir sa Majesté, vous êtes parti des Provinces de Quito avec Gonzalo Pizarro…». (Jorge Salvador Lara, Breve Historia Contemporánea del Ecuador, Fondo de Cultura Económico, México, 1994).

(9) Au cas où les citations de l’époque seraient insuffisantes nous pouvons nous reporter aux études des historiens contemporains qui les appuient. L’Espagnol Ladislao Gil Munilla qui a étudié en profondeur le sujet de la découverte au fleuve Marañón-Amazone qualifie la thèse péruvienne d’insignifiante, d’indémontrable et sans intérêt. Le célèbre professeur d’histoire américaine de l’Université de Madrid, Mario Hernández Sánchez Barba, rejette aussi l’hypothèse selon laquelle Quito ne serait qu’un point de passage dans ce haut fait de découverte de l’Amazone.

(10) Parmi ces témoignages, celui du grand poète péruvien José Santos Chocano, d’envergure continentale, a une valeur toute particulière: «en ce qui concerne les litiges territoriaux, l’unique titre que l’on peut prendre en compte c’est le titre initial, c’est-à-dire, celui de la découverte ou de l’incorporation de la ligne litigieuse à la civilisation moderne. Sans la découverte des lieux rien ne saurait être en litige. C’est pour cela que la justice la plus élémentaire fait qu’une plus grande importance doit être accordée à l’effort débouchant sur la découverte, car c’est seulement grâce à lui que naît le droit, bien plus que de telle ordonnance royale ou telle autre. Il est bien connu que la découverte du Napo, de l’Amazone et de la vaste région actuellement en litige est due aux efforts du Royaume de Quito, aux explorations dirigées par les conquérants… et par des indigènes de la République de l’Equateur d’aujourd’hui qui les ont guidé et accompagné ». El Arreglo Perú-Ecuatoriano, juin 1934. In: « EL ESCANDALO DE LETICIA », Santiago de Chile, Talleres Gráficos, “La Nación” 1934, pages 84 à 85.

(11) Pour éviter toute confusion avec l’actuelle Colombie, de nos jours, on a dénommé la République de Colombie, la Grande Colombie et celle-ci comprenait: Quito, la Nouvelle-Grenade (la Colombie et le Panama) et le Venezuela.

(12) Le canton de Machala faisait partie de celui de Guayaquil et comprenait la ville de Tumbes avec son district.

(13) Comme on peut le constater selon les documents de cette Assemblée constituante, publiés par le Pérou dans sa «Colección Documental de la Independencia», tome XV, Premier Congrès de l’Assemblée Constituante, vols. 1 et 2.

(14) Mémoires et Documents; page 619.

(15) L’opinion du Ministre García ainsi que le texte du Protocole ont été publiés dans le Mémoire du Ministre des Affaires Etrangères Alberto Elmore. Le texte de cet instrument est répertorié comme document 64, page 549.

(16) Plus tard le Chili a fait partie de la médiation.

(17) Dans cette même publication apparaissent les noms de trente villages enlevés à l’Equateur par le Protocole de Rio avec la mention «qu’ils redeviennent péruviens» et qu’ils «retournent au Pérou». Ces villages ne furent jamais péruviens. Le village de Tarqui pouvait-il être péruvien s’il rendait hommage au nom de la bataille où nous avons écrasé le Pérou en 1829? ou Rocafuerte nommé ainsi en hommage au deuxième Président équatorien? ou Huachi qui rappelle deux des combats les plus cruels de l’indépendance de Quito qui tous les deux ont éclaté en 1821? ou González Suárez qui perpétue la mémoire de l’archevêque de Quito, rendue célèbre pour ses allocutions patriotiques durant la crise équatorienne-péruvienne de 1910? ou «Vencedores» nom de l’un des bataillons équatoriens -plus connus sous le nom de «Yaguachi»- qui a participé de façon décisive à l’indépendance du Pérou? etc.

(18) Conférence prononcée à Bogota le 14 mai 1981 par l’Ambassadeur du Pérou, monsieur Antonio Belaúnde Moreira.

(19) En 1942, dès que fut signé le Protocole, les Etats-Unis soupçonnaient déjà qu’à cet endroit il se présenterait des problèmes dûs à la possible absence du «divortium aquarum» figurant dans celui-ci, ce qui logiquement confirme l’inexécutabilité de cet instrument. A une date toute récente, le Département d’Etat, en accord avec les lois existantes de ce pays sur l’accès aux documents d’archives, a ouvert au public les archives réservées de cette année-là et de celles qui suivaient ce qui a permis de connaître l’avis des Etats-Unis.

(20) Les cartes de l’époque présentaient ce fleuve comme étant un ruisseau de peu d’importance et de faible longueur.

(21) Cette attitude contredit la doctrine internationale. La Cour internationale de Justice affirmait en 1950 que: «le simple fait qu’il ait une vive controverse prouve qu’elle existe» et de nombreux auteurs ainsi que des autorités péruviennes ont reconnu l’existence du problème.

(22) On peut consulter parmi de nombreux documents la note que le Président de la Sous-Commission de la Délimitation a adressé à l’Equateur le 2 avril 1945. L’arbitre dans sa sentence, il est vrai, s’est référé au «divortium aquarum» entre les fleuves Zamora et Santiago qu’il supposait exister depuis le ruisseau San Francisco. Mais cela n’a pas d’autre sens que celui de répéter ou de citer une mesure du Protocole de Rio de Janeiro. Et même si l’arbitre en 1945 avait délimité la frontière dans ce secteur, sa sentence serait entachée des mêmes erreurs et des mêmes défauts contenus dans ce Traité: elle serait inexécutable.

(23) Mars 1991.

(24) Comme le Vice-Amiral Jorge Dubois Gervasi l’a reconnu dans une conférence prononcée en avril 1991 aux officiers supérieurs des trois Armées du Pérou ainsi que d’autres écrivains de ce pays. A la suite de ce conflit, le Vice-Amiral Dubois a été le délégué péruvien durant les conversations de Huaquillas-Aguas Verdes.

(25)Le Pérou l’a dénommé «gentlemen’s agreement» et le refus de le respecter reposait sur l’incroyable argument que le Ministre qui était à l’origine de ce compromis s’était retiré du Ministère des Affaires Etrangères Péruvien et que celui qui le remplacerait ne serait pas obligé de le respecter. La presse péruvienne a même blâmé cette attitude bizarre.

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