La littérature est universelle, un point c’est tout, conclut l’intellectuel, catégorique.
Le professeur peut avoir raison, mais à l’heure d’étudier les oeuvres littéraires dans le monde, on se frotte au fait incontestable que celles-ci furent créées par des hommes et des femmes qui sont nés et ont vécu dans un pays déterminé, dans un cadre géographique clairement délimité et dans un temps historique défini. On parlera de périodes et de courants. La qualification de « bonne » ou «mauvaise» littérature est laissée aux critiques et aux lecteurs qui, somme toute, sont les seuls à décider. Quand Cervantes publia Don Quichotte, les lettrés espagnols de l’époque le qualifièrent des pires épithètes et méprisèrent complètement le travail de l’écrivain. Cependant, au fil du temps, ce roman deviendra l’oeuvre phare de la langue espagnole et sera l’un des chefs-d’oeuvre de la littérature universelle. Enrique Vila-Matas, l’auteur catalan de Suicides exemplaires, qui a si bien sondé les vies et les oeuvres d’une infinité d’écrivains et de femmes de lettres, de lieux différents et d’époques diverses, concluait récemment, dans une conversation avec un groupe d’admirateurs, que la littérature doit être considérée comme de la nourriture : « […] c’est en la goûtant qu’on peut savoir s’il s’agit d’un mets ou d’un breuvage et personne ne mange de breuvage ». En somme, ce qui est un mets délicat pour un Vietnamien peut avoir un goût exécrable pour un Italien.
Parler de la littérature équatorienne du début du XXIe siècle se révèle une tâche bien difficile. L’Équateur est un pays peu connu au Québec et dans le reste du Canada. Je peux d’autant plus l’affirmer que j’ai vécu à Ottawa de 1989 à 1994. J’ai vu mes enfants revenir affligés de l’école parce que leurs camarades leur avaient demandé s’ils vivaient dans les arbres. De même, la littérature équatorienne comporte de nombreuses zones d’ombres. Seuls quatre ou cinq noms d’auteurs latino-américains très privilégiés et sans nul doute talentueux continuent à représenter toute la littérature latino-américaine.
Les apports de l’Équateur
Alors que commence le XXIe siècle, il existe en Équateur un groupe de romanciers et de poètes dont l’oeuvre publiée est intéressante et vaste. Malheureusement, peu de livres ont été traduits. Cette littérature est à peu près inconnue dans le monde anglo-saxon et francophone. Ces dernières années, plusieurs anthologies de prose et de poésie équatoriennes contemporaines ont été éditées et l’on pourra apprécier une production soutenue, aussi bien d’écrivains que d’écrivaines (1).
Poètes et romanciers essentiels
Dans leurs genres respectifs, des poètes comme César Dávila-Andrade (1918-1967), Efraín Jara-Hidrovo (1926), Jorge Enrique Adoum (1926), Filoteo Samaniego (1928), Francisco Granizo (1928), Ulises Estrella (1939), Violeta Luna (1943), Julio Pazos (1944), Humberto Vinueza (1944), Iván Oñate (1948), Iván Carvajal (1948), Javier Ponce-Cevallos (1948), ont contribué de façon substantielle à la littérature équatorienne contemporaine. Comme l’ont fait des nouvellistes et romanciers tels que Miguel Donoso-Pareja (1931), Alicia Yánez Cossio (1929), Raúl Pérez Torres (1941), Abdón Ubidia (1944), Francisco Proaño-Arandi (1944), Iván Egüez (1944), Javier Vásconez (1946), Huilo Ruales (1947), Eliécer Cárdenas (1950), Raúl Vallejo. Ces écrivains se sont nourris des apports remarquables de la Génération des années 1930.
Jorge Enrique Adoum (1926) est sans contredit l’écrivain vivant le plus important de l’Équateur. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages dans des genres aussi divers que le théâtre, la poésie, le roman, l’essai, les mémoires (il vient de publier son livre De cerca y de memoria, où il présente de façon anecdotique des auteurs et des personnalités qu’il a connus tout au long de sa vie et qui ont influencé son oeuvre). Il fut le secrétaire du poète chilien Pablo Neruda (Prix Nobel de littérature) et depuis la publication de son premier livre de poésie en 1949, Ecuador amargo, il n’a cessé d’enrichir la littérature équatorienne. Son roman Entre Marx y una mujer desnuda, traduit en français, a été porté sur grand écran (le film a gagné plusieurs prix) et a fait l’objet de fréquents colloques en Équateur ainsi que sur d’autres continents.
Gabriela Alemán (1968) est jeune et talentueuse ; elle a déjà publié les recueils de nouvelles Maldito corazón, Zoom et Fuga permanente, ainsi que le roman Body-time. Ses textes explorent les attitudes les plus secrètes et les plus sordides des êtres humains telles qu’elles se révèlent en ce début de siècle. Elle crée des atmosphères et des personnages d’une main de maître.
Raúl Vallejo (1959), poète, conteur, romancier, est l’auteur le plus fécond peut-être de la nouvelle génération. Son oeuvre est originale, novatrice, variée et fait preuve d’une recherche permanente. Elle apparaît dans les principales anthologies de la littérature équatorienne. Son roman le plus récent, El alma en los labios, recrée la vie du poète équatorien moderniste du début du XXe siècle, Medardo Ángel Silva.
Fernando Balseca (1959) Directeur de l’École de Lettres de l’Université Andine Simón Bolívar est poète et critique. Dans son livre le plus récent, A medio decir, publié par Siex barral, il rassemble ses dernières créations poétiques.
Les nouveaux venus et l’intérêt des maisons d’éditions étrangères
Parmi les écrivains nés après 1960, déjà plusieurs romanciers, nouvellistes et poètes importants ont donné leurs premiers fruits: Carolina Andrade, Raúl Serrano, Alfredo Noriega, Lucrecia Maldonado, René Báez, Leonardo Valencia, Jenny Carrasco, Viviana Cordero en prose; Leopoldo Tobar, Margarita Lasso, María Fernanda Espinosa, Aleida Quevedo, en poésie, pour n’en mentionner que quelques-uns. Il semble que des maisons d’éditions étrangères commencent à s’intéresser à la publication et à la traduction d’auteurs équatoriens : le roman Cuando se fueron las garzas de Gustavo Alfredo Jácome a été traduit en français et publié à Paris par les éditions de L’Harmattan ; de même le roman Entre Marx y una mujer desnuda de Jorge Enrique Adoum. Existent déjà en français et en allemand plusieurs nouvelles équatoriennes, sélectionnées par les éditions Librimundi et des romans d’Abdón Ubidia, de Huilo Ruales, d’Iván Egüez, de Marco Antonio Rodríguez et de Javier Vásconez ont déjà été traduits en allemand et en italien. Le roman Destino Estambul de Jaime Marchán, publié par la maison d’édition espagnole Verbum, est maintenant disponible en turc.
*Écrivain équatorien né en 1956. Auteur de recueils de nouvelles : En la misma caja, La dama es una trampa et El turno de Anacle. Membre du conseil éditorial de la revue littéraire Eskeletra et collaborateur dans d’autres publications culturelles. Diplomate de carrière du Ministère des Affaires Étrangères de l’Équateur au Nicaragua, à Cuba, aux États-Unis, au Canada et en France.
1. À cet effet, notons les anthologies suivantes : Cuentan las mujeres : antología de narradoras ecuatorianas, de Cecilia Ansaldo (Édition Seix Barral, Biblioteca Breve, Quito, 2001); Cuento ecuatoriano contemporáneo de Vladimiro Rivas (Editorial Difusión Cultural de la Universidad Autónoma de México, México, 2001); Poesía ecuatoriana del siglo XX de Jorge Enrique Adoum (Edición Bilingüe español/francés, Editorial Patino, Genéve, 1992); et Catorce novelas claves de la literatura ecuatoriana de Antonio Sacoto (Editorial Casa de la Cultura Ecuatoriana, Quito, 19-98).
2. Pour de plus amples informations sur ces auteurs et leurs ouvrages en circulation au Québec, voir «70 écrivains équatoriens du XXe siècle publiés en français» sur le site web http://www.consecuador-quebec.org/ecrivains%20equatoriens.htm [Malheureusement cette page web a été supprimée par la nouvelle Consule, en 2005].
Oeuvres d’auteurs contemporains
à connaître
En prose : El éxodo de Yangana d’Angel F. Rojas ; les nouvelles et romans de Pablo Palacio (la collection Archivos de l’UNESCO vient de publier en un seul volume une magnifique édition de cette oeuvre fascinante) ; El Chulla Romero y Flores de Jorge Icaza (de ce roman Claude Couffon a fait une excellente traduction en français, intitulée L’homme de Quito); Siete lunas y siete serpientes de Demetrio Aguilera Malta; Tren nocturno y otros cuentos d’Abdón Ubidia; El viajero de Praga de Javier Vásconez; La Linares d’Iván Egúez; El hacha enterrada d’Iván Oñate; Mal de ojo de Huilo Rúales; La luna nómada de Leonardo Valencia.
En poésie: les oeuvres de Jorge Enrique Adoum, de Iván Carvajal, de Julio Pazos, de Francisco Tobar et de Humberto Vinueza.