M. Claude Lara
«La realidad es, pues, ésta -realidad que nos debe enorgullecer a los Ecuatorianos-: que el Bolívar que ha pasado a la inmortalidad es el Bolívar de Olmedo», (1) Aurelio Espinosa Pólit S.I.

Le livre de Víctor Manuel Rendón Olmedo; homme d’État et poète américain, chantre de Bolívar, publié à Paris en 1904 (2), est selon le grand homme de culture, le jésuite Aurelio Espinosa Pólit «le plus grand effort littéraire réalisé par un diplomate équatorien à l’étranger» (3).

Cependant l’œuvre de Víctor Manuel Rendón Pérez -Ministre Plénipotentiaire de l’Équateur en France et en Espagne de 1903 à 1914, Docteur en médecine de la Faculté de Paris, écrivain (4) et traducteur- reste bien méconnue. Pour cette raison, en transcrivant sur notre blog, en plusieurs parties, ses traductions poétiques -publiées dans son livre sur Olmedo, ce très grand poète équatorien (5),- nous voulons lui rendre un hommage tout particulier, en présentant ainsi cette production:

-La victoire de Junín, hymne à Bolívar et la correspondance entre José Joaquín Olmedo et Simón Bolívar sur ce chant épique.
-La bataille de Miñarica et les lettres de José Joaquín Olmedo au Général Juan José Flores.
-Poèmes en français de José Joaquín Olmedo (Prologue à une tragédie, mon portrait, à la mort de Marie-Antoinette de Bourbon, l’arbre, à un ami, sur la naissance d’un enfant et à la mort de ma sœur).

«La victoire de Junin, Hymne à Bolivar, a consacré la célébrité d’Olmedo en Amérique et immortalisé son nom de poète» écrivit si bien Víctor Manuel Rendón (6). Pour introduire ce chant épique de 909 vers, (7) entièrement traduit en alexandrins par notre traducteur, nous commencerons par reproduire sa «Genèse», ensuite les traductions: des lettres de José Joaquín Olmedo à Simón Bolívar, «la victoire de Junin, Hymne à Bolivar», les réponses du Libérateur et, finalement, les répliques d’Olmedo.

Ensuite, pour conclure la première partie de cet hommage nous reproduirons sa seconde grande composition lyrique, la «Bataille de Miñarica» ainsi que plusieurs lettres adressées au général Flores.

NOTES:

(1) Aurelio Espinosa Pólit: José Joaquín Olmedo: Poesía-Prosa, Quito-Ecuador, Biblioteca Ecuatoriana Mínima. Editorial J.M. Cajica JR. S.A. Puebla-México, 1960; page 45.

(2) Cependant il faut prendre en compte cette indication: «This book may have occasional imperfections such as missing or blurred pages, poor pictures, errant marks, etc. that were either part of the original artifact, or were introduced by the scanning process. We believe this work is culturally important, and despite the imperfections, have elected to bring is back into print as part of our continuing commitment to the preservation of printed works worldwide. We appreciate your understanding of the imperfections in the preservation of process, and hope you enjoy this valuable book”. Olmedo; homme d’État et poète américain, chantre de Bolívar, imprimé le 24 mai 1904 par Buissière, Sain-Amand, 1904.

(4) Son roman Lorenzo Cilda, publié au Journal des Débats, a reçu le Prix de l’Académie Française, in: «À la Mémoire du Général Clavery, quatre sonnets» par Dr. Victor-Manuel Rendon, Le Vésinet, imprimerie Ch. Brande, 1938; p. 12.

(5) Au sujet de la descendance française d’Olmedo, voir la lettre qu’écrivit Jean Lahondé y de Olmedo dans Correspondencia de Jorge Carrera Andrade con intelectuales de lengua francesa tome II, L11JCA*, Abya-Yala, Quito-Ecuador, 2004; pages 125-127, ainsi que l’étude de A. Darío Lara: “Estudio genealógico de algunos familiares del Ilustre Cantor de Junín”.BOLETÍN DE LA BIBLIOTECA MUNICIPAL DE GUAYAQUIL – No. 88 Guayaquil, mayo de 2004.

(6) Idem note 2; page 108.

(7) Dans la première édition de Guayaquil (1815), le chant de «Victoire à Junín» comprenait 824 vers, dans celle de Londres (1828), 909 vers ainsi que dans celle de Paris (1826) et la dernière de Valparaíso (1846), 906 vers. In: Darío Guevara Olmedo, editorial Casa de la Cultura Ecuatoriana, Quito, 1958, note 1; page 273. À ce sujet voir aussi l’étude très approfondie de Aurelio Espinosa Pólit: “XIII Composición y notas acerca de las primeras ediciones de la Victoria de Junín. Canto a Bolívar”, idem note 1; pages 82-100.

***

«VII
Genèse de La Victoire de Junin, Hymne à Bolivar.- Lettres du poète au Libérateur.- Olmedo diplomate.

Le nom de Bolivar était, depuis longtemps déjà, le symbole de la liberté en Amérique lorsqu’il remporta au Pérou, le 6 août 1824, la victoire de Junin. Le succès de cette terrible charge de cavalerie qui, fauchant à l’arme blanche, sabre ou lance, des milliers d’ennemis supérieurs toujours en nombre, était commandée par Bolívar en personne, donna lieu à des manifestations de joie immense sur tout le continent américain. Olmedo, qui était l’admirateur passionné du héros et qui avait autant d’attachement que de reconnaissance pour le pays où s’était écoulée sa jeunesse d’étudiant, sentit son cœur bondir à la nouvelle de ce triomphe qui présageait la liberté prochaine du Pérou. Débordant d’enthousiasme, dans un grand élan d’inspiration, il traça sur le papier les premières strophes de son célèbre chant. Mais, esclave de ses multiples occupations quotidiennes, il voyait son travail interrompu à tout heure; aussi, n’en était-il qu’au début quand, le 9 décembre de la même année, le général Sucre remporta dans la plaine d’Ayacucho l’éclatante victoire qui lui valut le bâton de maréchal et mit fin, pour toujours, sur le continent américain, à la domination espagnole. Olmedo, de plus en plus embrasé du feu sacré, ne put arrêter désormais le jet de son génie et, se donnant tout entier à son poème, n’eut de cesse de le terminer. Au lieu d’un exploit unique il lui fallait pourtant en chanter deux et Bolívar, -«bien qu’on vit son âme reflétée sur le front du vainqueur», – comme le poète l’a dit dans ses vers, ne se trouvait pas sur le champ de bataille d’Ayacoucho. Nous verrons plus loin comment Olmedo se tira du mieux qu’il put de cet embarras, non sans honneurs, en imitant d’illustres modèles.

Les lettres qu’il écrivit à Bolívar sur le poème composé à sa gloire disent plus éloquemment que nous ne saurions le faire, la genèse, le plan de l’œuvre, l’ardeur du poète pour y réussir et jusqu’aux imperfections qu’il croit y reconnaître, tout en la défendant avec ferveur certaines critiques formulées par son héros. Voici ces lettres, qui prouvent encore l’intimité respectueuse qui régnait déjà entre ces deux grandes âmes et la bonhomie charmante et spirituelle, familière au style du poète. Dans la première il ne s’agit pas encore du chant; mais, seulement, de la victoire.

LETTRES D’ OLMEDO A BOLIVAR (A)

Au Libérateur, au vainqueur de toujours Simon Bolivar.

Cher Monsieur et ami très vénéré,

En ce moment on m’annonce qu’un navire part pour le Pérou et je ne veux pas perdre la première occasion de vous féliciter pour la mémorable victoire d’Ajax-couco… Avec ma licence poétique je modifie ainsi le nom d’Ayacoucho, dont la tonalité est désagréable, et rien de ce qui est laid n’est digne de l’immortalité.

Maintenant, maintenant oui, je m’avoue absolument surpris, car bien que je n’aie jamais douté du succès, il fallait une inspiration divine pour prévoir un triomphe aussi complet et aussi rapide. L’effet de la surprise lui-même a rendu plus agréable la victoire.

Cette journée-là a été véritablement celle de l’Amérique, la journée de Bolivar.

J’ai lu avec ravissement votre proclamation: elle est belle, elle est sublime. Elle ne laisse rien à désirer, rien, si ce n’est… que quelques mots ne fassent naître quelques jalousies sur la terre… et quelque tempête sur la mer.

Vous avez perdu tout droit de me reprocher ma liberté de parole depuis que vous avez laissé s’étaler impunément, en y applaudissant même, mes observations sur votre première proclamation datée de Pasto. La dernière, de Lima, est un des documents classiques de notre sainte révolution.

Les trois derniers mots sont dignes du marbre et du bronze. Fi donc! (1) Ils sont dignes des cœurs. Ne plus commander! (2) Expression divine, expression exhalée par une âme qui ne peut plus supporter sa propre gloire. Elle me représente l’image d’un homme qui, ayant fixé les yeux grands ouverts sur le soleil, les baissent et les ferment accablés par tant de lumière.

Entends-tu? Entends-tu? Est-ce moi qui me trompe? Quel est ce vacarme? C’est le char de la Liberté qui, triomphalement, se promène depuis les rives majestueuses de l’Orénoque jusqu’au bord le plus reculé du lac orageux où surnage l’île de Titicaca et, dans sa course, il dessine les couleurs de l’arc-en-ciel (3).

Salut et gloire,

OLMEDO.

(A) Ces lettres ont été insérées par M. Caro dans les numéros des mois d’avril et d’août 1879 du Repertorio Colombiano de Bogota. Les sept premières ont été retirées des archives de la famille O’Leary. Les deux suivantes se trouvaient entre les mains de M. Martin de Ycaza, beau-père d’Olmedo et furent publiées par son petit-fils, M. Francisco Pablo de Icaza, dans le journal de Guayaquil Los Andes. La dernière incomplète, figure dans les Essais Biographiques de Torres Caicedo. (Note de M. Ballen).

(1) Ces deux mots sont en français dans le texte original.

(2) «Péruviens! La paix a succédé à la guerre; l’union à la discorde; mais n’oubliez jamais, je vous prie, que vous devez tout cela aux illustres vainqueurs d’Ayacoucho. Péruviens! Le jour où votre Congrès se réunira sera le jour de ma gloire, car il sera le jour où je verrai comblés les vœux ardents de mon ambition: ne plus commander!» (Fin de la proclamation du Libérateur, dont parle Olmedo. Elle fut promulguée à Lima le 25 décembre 1824). (Note de M. Ballen).

(3) Allusion aux couleurs, jaune, bleue et rouge du drapeau colombien, assemblées, comme nous l’avons dit par Miranda, l’immortel précurseur de Bolivar, et qui ont été conservées par le Venezuela, la Colombie et l’Equateur avec de légères modifications de largeur. Miranda sépara les couleurs jaune et rouge du drapeau espagnol par la couleur bleue qui est celle de la mer pour indiquer que celle-ci séparait à jamais le pays de l’or, du pays de la conquête.

A Simon le Gothique

Guayaquil, 31 janvier 1825

Je ne pensais pas vous écrire aujourd’hui, parce que je vous ai déjà dérobé beaucoup trop de temps; or, j’aimerai mieux passer pour n’importe quoi aux yeux des autres que pour un être ennuyeux. Je ne dois pas, pourtant, vous laisser languir de curiosité au sujet du nom de Simon le Castillan que je vous ai donné dans ma lettre de décembre.

Vous savez que dans les temps antiques les capitaines prenaient le nom du pays où ils avaient triomphé. Ainsi, Paul Emile fut appelé le Macédonien et l’un des Scipions, l’Africain. Mais vous allez me dire que vous n’avez pas triomphé en Castille pour être surnommé le Castillan. Peu importe. L’un des empereurs d’Orient ne fut-il pas appelé le Vandale et le Gothique pour avoir vaincu les Vandales et les Goths? Pourtant, il ne les avait pas vaincus en Vandalie ou en Gothie, mais en Italie et en Allemagne.

Quant à vous, choisissez et dites-moi quel est le surnom qui vous sourit le plus (dans le même ordre d’idées, bien entendu). Est-ce le Gothique, le Vandale ou le Castillan ? etc. Le Péruvien, non pas, car vous n’avez pas remporté de victoire sur des Péruviens et le pays de vos triomphes n’est pas un pays lointain ou ennemi de l’Amérique…

Afin de m’épargner tout reproche pour vous avoir dit que le Pérou était une terre «d’épreuve et glissante», je vous dirai seulement qu’en m’exprimant ainsi, je ne pensais pas m’adresser à l’ami, au soldat, mais à l’homme. Autrefois, il y avait à Lima la rue du Danger qui, en effet, était glissante et fort dangereuse. Beaucoup de philosophes s’y décortiquèrent et montrèrent qu’ils n’étaient que des hommes.

Mais supposez, néanmoins, que j’aie voulu parler au point de vue militaire. Rien n’est perdu pour cela, car c’est une affaire que le terrain soit glissant et s’en est une tout autre que les hommes y glissent forcément. Vous savez fort bien que la glace est très glissante et, malgré cela, on y court admirablement. J’entends par là que, plus on trouve d’obstacles et de périls sur sa route, plus on a de gloire à parvenir au but. N’allez pas vous vantez tous de votre grande expérience, ni croire que le sol des galeries de Lima est aussi aisé que celui des champs de Junin et d’Ayacoucho!

Je regrette que vous me conseilliez de chanter nos derniers triomphes. Voici longtemps, très longtemps que j’agite cette idée là dans ma tête. La bataille de Junin eut lieu et mon chant commença. Je me trompe. Je commençai alors à tracer des plans et des châteaux; mais j’avançai peu pendant un mois. De petites occupations qui, sans grande importance, suffisent à distraire; de petites préoccupations pour les besoins de l’existence; de petits soins domestiques; de petites rumeurs montant de la ville; tout contribua à tenir ma muse a court d’haleine. Mais Ayacoucho fut et je me réveillai lançant un coup de tonnerre (1). J’en restai moi-même tout étourdi et je fis peu de pas en avant. Il m’aurait fallu à tout prix quinze journées à la campagne et cela, pour le moment, m’est impossible. D’un autre côté, je vous certifie qu’à mesure que j’écris, tout ce que je fais me semble mauvais, tout à fait inférieur au sujet. J’efface, je déchire, je corrige et c’est toujours mauvais. J’en suis arrivé à me persuader que ma muse ne peut se hausser au niveau du géant. Cette conviction me décourage et me refroidit. Avant d’en arriver là, j’étais tout fier et je croyais faire un poème qui m’emporterait avec vous vers l’immortalité. Mais, le moment venu, j’avoue que je suis tout à la fois battu et abattu. Comme il est escarpé, le sommet du Parnasse! Comme elle est glissante, la montagne de la Gloire!

J’ai à peine écrit cinquante vers; le plan en est superbe et, par cela même, je me sens impuissant à le réaliser. Ces jours derniers, l’on me demanda les paroles d’une marche qui devait être chantée dans une des fêtes par lesquelles nous avons célébré la victoire d’Ayacoucho. Cette marche je la fis à pas redoublés. Elle a paru dans le Patriote du 22 janvier et voici que j’en ai honte. Vous allez penser que je suis extrêmement ambitieux de gloire, tout en ayant l’air de la mépriser. Je ne sais pas trop si vous vous trompez…, mais mon découragement actuel provient de cette idée dont je suis intimement pénétré: que rien de vulgaire, rien de médiocre, rien de périssable ne peut convenir à ce triomphe. Je n’aime pas la gloire autant que je déteste la médiocrité. Et que vais-je répondre a celui qui me dira, après voir lu mon ode: «si tu manquais de souffle pour un tel travail, à quoi bon l’avoir entrepris? Pour en ternir l’éclat? Tu aurais mieux fait de te taire!» Que pourrai-je répondre alors, mon cher Monsieur ?

Vous voyez mon humilité. Attendez donc un peu et vous verrez ce que sont les poètes. Vous me défendez de prononcer votre nom dans mon poème. Vraiment, parce que vous avez été à deux ou trois reprises le dictateur des peuples, croyez-vous pouvoir de même dicter des ordres aux Muses? Non Monsieur! Les Muses sont des demoiselles entêtées, désobéissantes et rebelles, tyranniques, (bien femmes en cela), libres au point d’être libertines, indépendantes au point d’être séditieuses. Je ne dois pas acquiescer à votre désir en cette occasion et je ne le dois pas pour beaucoup de raisons; la première et la meilleure, c’est que je ne le pourrais pas. J’ai déjà fait mon plan après un travail impondérable. J’ai déjà écrit une cinquantaine de vers; je ne puis reculer. Sucre est un héros; il est mon ami et il mérite un chant spécial; mais cette fois-ci, ce sera pour lui une dose d’immortalité bien suffisante de se voir nommer dans une ode consacrée à Bolivar. Enfin, de grâce, laissez-moi faire et n’allez pas m’apporter une entrave qui m’empêcherait, je ne dis pas de m’envoler ou de courir, mais même de marcher. Laissez-moi faire. S’il vous déplait qu’on vous loue, pourquoi ne vous êtes-vous pas plongé dans le sommeil, comme moi, pendant quarante années? Cependant, j’ose vous faire part de cette pensée colossale: si l’heure de l’inspiration arrive et si je puis mener à bout le plan magnifique et hardi que j’ai conçu, vous et moi, tous deux ensembles, nous nous trouverons réunis dans l’immortalité. Si, par malheur, cet heureux quart d’heure n’advient pas, je me contenterai alors de ma joie, (car les joies suffisent parfaitement dans tous les cas), de voir l’Amérique libre et triomphante, de me rappeler le nom de son Libérateur et de câliner ma fille, plein de philosophie, dans mon obscurité.

Votre respectueux ami,

OLMEDO

(1) Allusion au début du chant (Note autographe)

Guayaquil, le 15 août 1825

Mon ami très respecté et cher Monsieur,

Je vous ai toujours dit que vous aviez une imagination singulière et que, si vous vous exerciez à faire des vers, vous dépasseriez Pindare et Ossian. Les imaginations ardentes découvrent des liens communs entre les objets les plus différents les uns des autres. Il n’y a que vous pour trouver une corrélation entre un poète qui chante sur sa flûte le long des rives et un ministre chargé de représenter une nation à la cour des rois (1). Eh bien, soit! pour vous représenter, le plus que je puisse faire, le plus que je puisse vous promettre, c’est d’y mettre tout mon zèle, d’agir avec intégrité et de vivre modestement pour ne pas déshonorer votre choix et mon titre de républicain.

Par le courrier j’enverrai ma requête au gouvernement de la Colombie; mais je n’attendrai pas son acquiescement, s’il faut partir avant de recevoir la réponse; car, du moment que ces provinces sont sous vos ordres, à plus forte raison doit l’être la plus infime chose de la République: ma personne.

J’ai besoin d’instructions très claires et minutieuses; mon intention est de ne pas m’excéder d’une ligne dans mes attributions. Je voudrais même que la part laissée d’habitude à l’initiative des Représentants, suivant les circonstances, fût restreinte et circonscrite autant que cela sera possible. Ceux qui n’ont pas la main bien sûre tracent leurs lignes de travers quand ils écrivent sans modèle.

***

Mon chant s’est allongé plus que je ne le supposais. Je pensais que l’œuvre aurait trois cents vers et certainement elle en aura plus de six cents. En voici 520 de faits et, bien que je me presse d’être au bout, je ne sais si en route il n’arrivera pas que je fasse un bond ou que je prenne mon essor vers quelque région inconnue. Il n’était pas possible, mon cher Monsieur, de passer sous silence tant de choses mémorables. J’ai souffert de la maladie à la mode, d’une fluxion, c’est-à-dire que j’ai perdu près d’un mois. Or, celui qui tousse ne sent pas sa poitrine disposée à chanter. Je voguerai toutes voiles dehors afin de vous adresser ma poésie par le prochain courrier, quelle qu’elle soit.

Je croyais avoir jeté l’ancre pour toujours et me voici livré à la mer. Mais, puis-je m’appartenir? Et puis, est-ce une si grande affaire de ne pouvoir disposer de moi quand, vous-même, vous ne vous appartenez pas, vous à qui la Patrie pourrait accorder la liberté que vous avez si bien méritée.

Je m’étais dit souvent: Que faut-il à l’abeille? Des fleurs et une ruche. Et je commençais à vivre tranquillement, alors même que le miel en rayon n’était pas extrait.

Le courrier de Lima est arrivé peu d’heures avant le moment fixé pour son départ. C’est à peine si j’ai le temps de vous adresser mes sincères remerciements pour votre souvenir et pour la bonne opinion dont vous honorez le plus respectueux et le plus dévoué de vos amis.

OLMEDO

(1) Bolivar venait de désigner Olmedo et M. Paredes pour remplir une mission diplomatique à Londres et à Paris.

Guayaquil, le 30 avril 1825

Cher Monsieur et ami très respecté,

J’ai pensé que cette lettre serait aussi longue que mon chant; mais cela ne peut-être, car le courrier me presse et j’ai passé mon temps à copier les vers pour tenir la promesse que je vous ai faite de vous les envoyer aujourd’hui. Dans la prochaine, je vous communiquerai toutes les réflexions qui sur moi-même me passeront par la tête. Car je ne suis pas content de mon œuvre. Je songeais à la laisser dormir un mois pour qu’elle se bonifie et la réduire de trois cents vers au moins; sa longueur étant un de ses principaux défauts. Comme vous allez-vous ennuyer!

Je vous prie de séparer les défauts du poète des sentiments de votre respectueux ami.

OLMEDO

Si dans les lettres précédentes apparaissent clairement le sincère enthousiasme, la grande modestie du poète, ses nobles efforts pour chanter dignement le demi-dieu et ces découragements, si fréquents chez tout vrai génie; dans la suivante il va nous exposer longuement le plan qu’il avait médité et qui lui semble magnifique. Plus loin il nous élèvera son cœur attendri, préoccupé de l’avenir de sa famille au moment où, pour plaire à Bolivar et servir les intérêts américains, il va traverser les mers de nouveau.

Guayaquil, le 15 mai 1825.

Cher Monsieur et ami très respecté,

Vous avez dû voir déjà l’accouchement de la montagne. Moi-même je ne suis pas satisfait de mon œuvre. Aussi, je n’ai le droit d’attendre de personne approbation ou pitié. Ce fut un vrai malheur de n’avoir pas eu pendant plus de deux mois deux jours d’isolement, de tranquillité, d’insouciance de toute chose terrestre pour habiter le séjour des esprits. L’enthousiasme qui est à chaque pas interrompu par des occupations impertinentes ne peut inspirer rien de grand, rien d’extraordinaire. Heureux celui qui dans de telles conditions ne se traîne pas terre à terre. Mais quand l’enthousiasme est soutenu et qu’il est délivré pour quelques temps de toute impression extérieure, on voit toujours arriver le moment des miracles. Dans le premier cas la Muse se met à courir à travers les vallées, à grimper sur les monts; elle explore les arbres, les lacs et les fleuves; son voyage est long et peut-être ennuyeux. Dans le second, tout le contraire, elle déploie ses ailes, prend son essor, dédaigne la terre, franchit les sommets, s’approche du soleil, ouvre les cieux et, s’il lui plaît, s’engouffre dans les enfers pour interrompre les pleurs et les tourments des damnés. Je me suis vu dans le premier cas; aussi, mon chant s’en est trouvé long et froid, ou, ce qui est pire, médiocre. Peut-être, si j’avais pu m’isoler quinze jours à la campagne, eussé-je fait davantage que pendant trois mois. J’aurais épié le moment propice et dans trois cents vers seulement j’aurais parcouru plus d’espace que je n’en ai parcouru dans mes huit cents vers. Je rends, je cède et je transmets à d’autres la part d’immortalité que je m’étais promise au début. Soyez seul triomphant.

Quand je vous ai menacé de vous ravir une part de votre gloire, vous avez dû me prendre pour un vaniteux; mais, comme ma vanité ne faisait tort à personne, je n’ai pas à m’expliquer plus longuement là-dessus. Pourtant, quand je vous ai annoncé ce plan que j’ai conçu, grand et sublime, peut-être l’avez-vous cru; en lisant mon poème, vous pouvez penser que j’ai menti, me voici obligé de me justifier.

Mon plan fut le suivant: ouvrir la scène avec une idée originale et pindarique. La Muse transportée par la victoire de Junin s’élève d’une aile rapide; dans son vol elle aperçoit le champ de bataille; elle suit les combattants, se faufile parmi eux et triomphe à leurs côtés. Elle trouve ainsi l’occasion de décrire l’action et la déroute des ennemis. Tous célèbrent cette victoire qui, croyaient-ils, devait sceller les destins du Pérou et de l’Amérique; mais, au milieu des célébrations, une voix terrible annonce l’apparition d’un Inca dans les cieux. Cet Inca est à la fois empereur, grand prêtre et prophète. Celui-ci, en revoyant pour la première fois les champs qui furent le théâtre des horreurs et des calamites de la conquête, ne peut s’empêcher de déplorer le sort de ses fils et de son peuple. Ensuite, il applaudit la victoire de Junin et annonce que ce ne sera point la dernière. C’est le moment favorable de prédire la victoire d’Ayacoucho.

Comme le poète n’avait pour but que de chanter le triomphe de Junin et que le chant resterait défectueux, boiteux, incomplet s’il n’annonçait pas la seconde victoire qui elle fut décisive, l’oracle de l’inca y a été introduit aussi minutieusement que possible pour ne pas amoindrir la gloire d’Ayacoucho. Le nom du général qui commande et le triomphe et ceux des chefs qui s’y firent remarquer y ont été rappelés pour rendre hommage à leur mérite et pour leur donner dès Junin l’espoir d’Ayacoucho avec le courage et l’intrépidité nécessaires à la nouvelle bataille. L’Inca termine en souhaitant que le sceptre de l’empire ne soit pas rétabli, car il peut conduire le peuple à la tyrannie. Il conseille l’union indispensable pour le progrès de l’Amérique; annonce le bonheur qui nous attend; prédit que la Liberté dressera son trône parmi nous et que cet exemple aura une influence sur la liberté de tous les peuples de la terre; enfin, il certifie le triomphe de Bolivar. Mais la plus grande gloire de ce héros sera d’unir et lier tous les peuples d’Amérique dans une confédération et assez étroitement pour qu’ils ne forment qu’un seul peuple, libre par ses institutions, heureux par ses lois et sa richesse, respecté pour sa puissance.

Aussitôt que l’Inca se tait, les cieux applaudissent de tous côtés. Soudain, on entend une harmonie céleste: c’est le chœur des Vestales du Soleil qui entourent l’Inca, leur Pontife Suprême. Elles chantent les louanges du Soleil, demandent la prospérité de l’empire, le salut et la gloire du Libérateur. Enfin, elles décrivent le triomphe prédit par l’Inca. La ville de Lima fait crouler ses murailles pour accueillir la pompe triomphale; le char du triomphateur est entouré des Muses et des Arts; les peuples captifs ouvrent la marche; toutes les provinces de l’Espagne y sont représentées par des chefs vaincus, etc.

Ce plan, cher Monsieur, est grand et beau, (bien que ce soit le mien). J’ai pris la liberté de faire cette analyse craignant que, malgré votre perspicacité, vous ne puissiez découvrir toute la beauté de l’idée ensevelie sous cette quantité de vers, qui est le principal défaut de mon chant. Excusez-moi donc, car, mécontent de l’exécution, je me réjouis de la beauté du plan et c’est ce que je voudrais seulement faire entrer dans l’esprit de tous pour prévenir de mon mieux le blâme.

Voulez-vous savoir jusqu’où peuvent atteindre les prétentions de l’amour-propre? Sachez donc que, dans mon malheur d’avoir si peu réussi, je me console avec cette pensée que j’étais capable de faire mieux.

Je désire que vous m’écriviez assez longuement sur tout cela, en m’indiquant avec une entière franchise toutes les idées que vous auriez voulu me voir supprimer. Je le désire et je l’exige de vous, car, pendant mon voyage, je compte beaucoup parfaire ce chant et en faire à Londres une édition convenable; or, pour ce moment-là, je voudrais connaître votre opinion et vos critiques.

Comme cette composition vous appartient tout entière, je n’avais pas voulu prendre la liberté de l’imprimer. Mais j’ai été assailli par plusieurs de mes amis et, bien que j’aie eu réponse à tous leurs raisonnements, en voici un qui réduit au silence. Je leur disais, parmi d’autres choses, que cette composition était votre bien et que je ne pouvais pas en disposer à mon gré; tous m’ont répondu que vous n’avez aucun bien personnel, car tout ce qui est à vous doit être mis en commun avec vos amis et vos bons compatriotes. Alors, je me suis dit à moi-même: si les choses les plus estimables et les plus précieuses de Bolivar ne sont pas à lui, mais à ses amis, comment n’en serait-il pas de même d’un pauvre chant? J’en étais convaincu et l’œuvre reste sous presse. Il y aura un avantage à cette impression, faite avec de mauvais caractères, puisque nous n’avons pas mieux: elle pourrait servir de modèle à celle qu’on en ferait à Lima, car j’ai apporté un grand soin à la correction des épreuves afin qu’elle soit claire et sans fautes.

***

N’allez pas dire que je suis aussi ennuyeux en prose qu’en vers. Je termine donc en me répétant, comme toujours votre très dévoué et très respectueux serviteur.

OLMEDO.

Guayaquil, le 5 août 1825

Très cher monsieur et ami très respecté,

Je pars aujourd’hui pour Panama. Comme, depuis ma nomination, je suis prêt, mon voyage s’effectuera aussitôt que mon collègue Paredes sera arrivé avec les documents officiels et les instructions.

Je pars aujourd’hui. Je vais laisser mon foyer tranquille pour le tumulte des cours ou, ce qui revient au même, j’abandonne les ondes riantes du Guayas pour les flots majestueux de l’océan.

Je pars aujourd’hui. C’est l’heure où je comprends que le service que je vais vous rendre a quelque valeur. Comme, depuis que je suis époux et père, je ne suis jamais éloigné à une aussi grande distance ni pour aussi longtemps, ni au milieu de tant de périls, ni avec autant d’incertitude sur mon retour, je n’ai jamais éprouvé un chagrin pareil à celui-ci qui, en vérité, est inexprimable…

Ce chagrin augmente avec les tristes réflexions que jamais auparavant je n’avais faites sur les moyens futurs de pourvoir à ma subsistance et à celle de ma famille. Mais les devoirs et l’amour paternel transforment et corrigent avec l’âge les sentiments purement philosophiques. Je vais passer deux ou trois années dans l’inquiétude; déjà l’âge des illusions n’est plus. Il me semble que je reviendrai comme je m’en vais… Dieu conserve longtemps le chef de ma maison! Vous savez quel fut l’héritage d’Alexandre. De toutes façons je pars résigné et, en quelque sorte, content, puisque c’est pour vous obéir et pour vous êtes agréable, et c’est aussi pour servir ma patrie.

Je me recommande donc à votre souvenir et je vous recommande très instamment ma famille que je mets sous votre protection. Adieu, cher Monsieur. Je regrette vivement de partir sans avoir reçu de lettre de vous après la lecture de mon pauvre chant de Junin. J’exige de vous de nombreuses observations qui me seront utiles pour mon édition de Londres.

Adieu, encore une fois. C’est le dernier mot de congé de votre très affectionné et très respectueux ami.

OLMEDO

Les lettres qui précèdent sont des documents précieux, autant pour nous éclairer sur l’état d’âme du poète à la veille de son nouveau départ pour l’Europe, en qualité d’agent diplomatique, cette fois, que pour nous initier au plan et à l’élaboration du poème La Victoire de Junin. Dans son humilité, Olmedo nous ferait croire qu’elle fut difficile et laborieuse. Avec plus de sincérité, croyons-nous, il nous déclare que les deux principaux défauts de l’œuvre sont le manque d’unité et sa longueur. Il s’expliquera plus longuement sur ses différentes parties dans sa réponse aux lettres très intéressantes de critique que Bolivar lui adressa. Nous les publions plus loin, car il faut auparavant que le lecteur connaisse le poème. Nous l’avons traduit de notre mieux fidèlement, sinon littéralement, chose impossible. Nous avons préféré pour cette traduction le vers alexandrin. N’est-ce pas le mètre le plus noble et le plus souvent employé par les poètes français dans les genres épique et lyrique. Olmedo, lui, obéissant moins aux règles de l’ode dans la prosodie castillane qu’à son goût personnel, a écrit son chant comme presque toutes ses grandes poésies, en vers dont les mètres ne sont pas toujours égaux. Le vers de onze pieds, qui correspond à l’alexandrin français, y domine, c’est vrai et, pendant de longues périodes, il se fait seul entendre. De temps en temps, pourtant, un vers de sept pieds apparait, selon la fantaisie du poète, soit qu’il veuille frapper l’imagination par une idée mise en relief et contenue dans un seul vers court, comme un joyau dans son écrin spécial, soit qu’il lui convienne de précipiter le récit. Le lecteur par la variété du mètre savamment combinée, est ainsi tenu constamment en éveil dans la lecture d’un poème de longue haleine et trouve comme des haltes où la voix se repose, non sans charme pour l’esprit. Dans d’autres endroits encore, comme dans le cantique des Vestales, pour alléger la strophe et lui donner plus de douceur, les vers de sept pieds se présentent plus fréquemment; deux ou trois se suivent, recherchant un effet musical, ou ils alternent avec les grands hémistiches sonores, quand l’image requiert de l’ampleur. Olmedo possédait ainsi l’art de graduer les nuances des idées et de les adapter à la cadence de la phrase poétique. Il pressait ou retardait le mouvement en artiste délicat qui, possédant à fond le métier, atteint sûrement la perfection ou s’en approche le plus possible.

On a dit avec raison qu’Olmedo avait parfois recours à l’allitération. Dès le début du chant il donne un exemple heureux d’harmonie imitative en entassant les r dans les deux premiers vers:

“El trueno horrendo que en fragor revienta
Y sordo retumbando se dilata
Por la inflamada esfera
Al Dios anuncia que en el cielo impera.”

A la simple vue, comme à la simple prononciation des vers précédents, ceux-là mêmes qui ne parlent pas espagnol peuvent se rendre compte de l’effet obtenu par la facture du poète qui a la science du mot juste placé dans le vers à la juste place , comme rappelant le proverbe américain: «The right man in the right place». Voyez comme il imite avec bonheur le vacarme horrible du tonnerre qui, après avoir éclaté avec fracas, résonne pendant quelques instants encore dans les airs embrasés, mais dont les grondements successifs diminuent d’intensité, s’amenuisent et s’éloignent progressivement. Olmedo, après avoir choisi quatre mots sonores, éclatants, qui, par la répétition de la même consonne, rappellent le roulement céleste, emploie un mot plus court qui marque le ralentissement qui a lieu dans la nue entre deux grondements et se sert aussitôt après de mots lourds, amples et polysyllabiques qui retardent le mouvement, tout en prolongeant la cadence.

Les quatre premiers vers cités attirent aussi l’attention, dès le début du poème, sur les réminiscences et les adaptations fréquentes d’idées puisées chez les poètes de l’antiquité. Ils nous rappellent, en effet, le «Coelum tonantem credidimus Jovem Regnare» de l’ode V du livre III d’Horace. Chemin faisant, nous en indiquerons d’autres, quelques-unes depuis longtemps signalées, et cela à titre de curiosité, car l’imitation d’Olmedo, qui a tant d’envergure et de puissance, est aussi heureusement créatrice que celle de Corneille, Racine ou La Fontaine, quand ils imitèrent Guilhem de Castro, Sophocle, Esope, pour créer des chefs-d’œuvre. Virgile lui-même, ne l’a-t-on pas dit souvent, prit son bien partout où il le trouva chez ses devanciers, chez Homère surtout.

Malgré ces réminiscences arrivant toujours de propos délibéré, sans heurter le goût et qui semblent: «…des pierres arrachées aux monuments de la Grèce et de Rome pour élever un monument à un héros moderne,» ce chant est loin d’être un décalque plus ou moins habilement travesti d’œuvres fameuses des maîtres du passé. Sans cela, aurait-il force l’admiration des lettrés, même en Espagne?

Qu’on nous permette un mot encore sur le style du poète. Olmedo a été appelé le Pindare américain. Dans tous les pays qui ont une littérature, il y a au moins un poète à qui ce qualificatif glorieux est appliqué. Mais il est certain que Pindare «dont le nom est aujourd’hui plus célèbre que celui des héros qu’il a chantés», comme Olmedo l’a dit lui-même, devait se présenter souvent à son esprit et faire miroiter devant ses yeux un exemple fameux. Cette obsession, confessée par lui-même dans ses lettres à Bolivar et au général Flores, est encore très évidente dans ce même chant où il évoque Pindare, en consacrant à sa muse une belle strophe, comme dans les vers où il rappelle l’ardeur des chars se disputant le prix dans les arènes olympiques. Olmedo, pourtant, est aussi distant de la manière du maître grec que de la forme bizarre qu’il donnait à ses hymnes. Sa seule ressemblance réside en ce que: «… avec une âme tout aussi lyrique, il eut l’élévation solennelle et religieuse de la pensée qui transforme la victoire d’un jour en un sujet idéal, de très haute contemplation sur les destinées humaines, et en ce que, tout comme lui, il connut l’art de souder en une chaine d’or les choses humaines et les choses divines avec la ferveur patriotique et familière qui, dans ses vers, ennoblit et transforme tout» (1).

Pour forger ces chaines d’or, au feu de son inspiration, maintenu vivant par l’enthousiasme patriotique, Olmedo possédait un outil précieux qu’il maniait à merveille: son style débordant de nerf, brillant, très personnel dans sa recherche d’innovations originales et dans le choix d’épithètes lumineuses où il apportait une correction impeccable et une sobriété de bon goût. Tout en conservant une majestueuse allure à la phrase, qui rappelle toujours la noblesse de son origine classique, son style se montre plein de sève vigoureuse et jeune, revêtu de resplendissante couleur locale. La souplesse de sa plume, la richesse de sa palette montrent que son âme vivait en harmonie constante avec les lieux environnants. C’est ainsi qu’au milieu des scènes de carnage et de mort puissamment tracées, soudain souffle la brise agréable de son fleuve qui rafraîchit l’air alourdi par l’orage; et les suaves senteurs exhalées par les délicieuses campagnes qui le bordent ont bientôt fait de chasser l’acre odeur de la poudre et du sang. Dans un langage clair et dans une forme concise, mais élégante, il sait présenter les saines maximes, les sages conseils, les nobles leçons qui font image et qu’on retient.

Hélas! Combien toutes les qualités incontestables des poésies d’Olmedo, en passant, par nos soins, d’une langue dans une autre, perdront-elles de leur valeur intrinsèque!

«Croire connaître les poètes par les traductions, ce serait vouloir apercevoir le coloris d’un tableau dans une estampe. Les traductions augmentent les fautes d’un ouvrage et en gâtent les beautés».

A ces réflexions justes de Voltaire on peut, pourtant, toujours répondre qu’il vaut mieux chercher à connaître le génie d’un poète étranger célèbre, même à travers une pâle traduction, que de l’ignorer tout à fait. Mais, forcement, le coin qui servit à un esprit supérieur pour frapper son or doit, dans la main d’un simple ouvrier, s’émousser ou se fausser!

(1) M. Menéndez y Pelayo, loc. cit.
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